En début d’année,
le président russe, Dmitri Medvedev, avait proclamé la fin de l’opération
« antiterroriste » menée de longue date dans le Nord du Caucase.
Dans un discours prononcé en avril, Medvedev avait annoncé que
les stratèges militaires du Kremlin initieraient le retrait de milliers de
troupes de la région. Une récente montée de violence entre les forces de
sécurité russes et les militants locaux indique cependant que Moscou n’a pas
l’intention d’assouplir son emprise sur la région.
Moscou a maintenu une vaste présente militaire sur le
territoire en émoi depuis que des forces séparatistes de la république russe de
Tchétchénie avaient déclaré leur indépendance en 1994. Le Kremlin avait espéré
réduire ses opérations dans la région qui représentent une saignée importante
dans les ressources au moment où la crise économique s’accroît en Russie.
Un attentat-suicide a tué dimanche six personnes ainsi que
l’auteur lui-même devant une salle de concert dans la capitale tchétchène. Une
dizaine d’autres furent blessés. Le nombre des affrontements violents en
Tchétchénie et dans d’autres parties de la région du Caucase du Nord russe a
augmenté cette année à la suite d’une réduction des meurtres après la seconde
guerre sanglante de 2001.
Les républiques russes voisines d’Ingouchie et du Daghestan ont
connu le gros de l’accroissement des violences liées aux conflits existant
entre les séparatistes islamistes et les forces fédérales russes et leurs
alliés locaux. En mai, le ministre de l’Intérieur du Daghestan fut assassiné
par des tireurs. Le mois suivant, le président d’Ingouchie fut gravement blessé
dans un attentat à la voiture piégée. Neuf policiers tchétchènes furent tués
dernièrement lorsque des militants attaquèrent leur véhicule durant une
opération en Ingouchie.
En juillet, la militante russe des droits de l’homme, Natalia
Estemirova, fut enlevée à Grozny et trouvée assassinée en Ingouchie. Elle avait
été une critique éminente du régime pro-Kremlin en Tchétchénie.
Cette semaine, les forces de sécurité russes ont tué huit
présumés militants islamistes au Daghestan après une fusillade de quatre heures
dans une forêt près de la capitale, Makhachkala. A peu près au même moment un
autre militant était tué en Tchétchénie. Ce qui fait que pour le seul mois de
juillet un total de 20 présumés militants furent tués par les forces de
sécurité russes dans les trois républiques russes de population à majorité
musulmane.
Des responsables pro-russes ont été en négociations avec
certains séparatistes tchétchènes. Au début du mois, la BBC avait rapporté
qu’un représentant du gouvernement tchétchène de Ramzan Kadyrov, fils d’un
ancien seigneur de guerre tchétchène qui avait combattu contre Moscou dans les
années1990, avait été en pourparlers avec Akhmed Zakaev dans la capitale norvégienne
à Oslo.
Zakaev affirme être le chef du gouvernement tchétchène en
exil. En 2007, Zakaev s’était séparé du dirigeant séparatiste tchétchène Doku
Umarov, président de la République autoproclamée d’Itchkérie (Tchétchénie).
Umarov avait déclaré que la Tchétchénie devrait être gouvernée selon la charia,
la loi islamique, et que les pays occidentaux étaient les ennemis de l’Islam.
Zakaev avait rejeté ce point de vue et préconisait l’établissement de liens
étroits avec les puissances occidentales et un rapprochement avec des forces
plus séculaires en Tchétchénie.
Bien que largement autonome, il est très improbable que le
gouvernement Kadyrov à Grozny s’associe à de tels pourparlers, les premiers
depuis huit ans, sans la bénédiction de Moscou. Les hôtes norvégiens de la
réunion ont dit que le dialogue avait été coordonné « avec la plus haute
hiérarchie du Kremlin. »
L’on dit que Zakaev et ses partisans sont proches mais
distincts des militants séparatistes qui combattent encore en Tchétchénie. Le
représentant du gouvernement tchétchène a déclaré que les pourparlers s’étaient
concentrés sur « la stabilisation politique totale de la République tchétchène
et la consolidation finale de la société tchétchène. » Kadyrov a précisé
que Zakaev pouvait retourner en toute sécurité en Tchétchénie où il devrait
jouer un rôle « pour faire revivre la culture tchétchène. »
A la question de la BBC de savoir s’il allait accepter
l’offre, Zakaev a dit, « Sans aucun doute je retournerai dans la
république tchétchène et je n’y attacherai pas de condition. »
L’élite russe a des intérêts considérables dans la région. Les
républiques du Caucase du Nord servent de voie de transit pour le pétrole et le
gaz d’Asie centrale et sont considérées comme vitales pour la politique de
défense de Moscou. De plus, la sécession de l’une de ces provinces risquerait
de déclencher des mouvements d’indépendance de la part des autres républiques
formées de minorités ethniques et nationales de Russie, tel le Tatarsan.
Les divisions nationales et ethniques avaient été maintenues
par le régime stalinien de l’ancienne URSS pour créer des divisions au sein de
la classe ouvrière soviétique et de la paysannerie. La bureaucratie insufflait
le chauvinisme russe et les griefs nationaux et ethniques étaient exacerbés par
de brutaux actes répressifs, telle l’expulsion de masse par Staline du peuple
tchétchène vers l’Asie centrale après la Deuxième Guerre mondiale.
Les mouvements séparatistes existant aujourd’hui dans la
Fédération russe reflètent l’incapacité de l’élite russe à satisfaire les
aspirations démocratiques et sociales de tous les Russes tandis que les élites
ethniques locales et nationales, tel Kadyrov en Tchétchénie, considèrent
l’indépendance ou l’autonomie comme un moyen de s’enrichir soi-même et une
petite clique de leurs acolytes.
Avec l’économie russe en crise en raison de la chute des prix
du pétrole et d’autres ressources naturelles, et de problèmes majeurs au niveau
de l’infrastructure, Moscou et ses mandataires locaux seront contraints de
compter davantage sur la violence de l’armée et de la police pour sauvegarder
leur autorité alors que le fardeau de la récession est reporté sur le dos de la
population laborieuse.
Moscou est pleinement conscient du rôle joué par la politique
étrangère américaine dans la région du Caucase et redoute le risque que des
« révolutions de couleur » ne se propagent dans ses républiques. Bien
que la série de meurtres semble avoir lieu entre l’armée russe et des groupes
islamistes, les moyens mis en œuvre par le Kremlin sont destinés à signaler à
toute faction dissidente par quels moyens il assurera son règne.
Après leur actuel sommet avec le président américain Barack
Obama, Medvedev et le premier ministre russe Vladimir Poutine saisirent
l’occasion pour avancer les intérêts de l’élite russe dans la région. En
échange de l’aide accordée par Moscou à la guerre en Afghanistan, avant le
sommet Medvedev avait autorisé l’armée de l’air américaine à survoler la Russie
à destination du pays occupé par les Etats-Unis, Washington semble avoir cédé
pour le moment aux intérêts russes dans l’ancienne république soviétique de
Géorgie, pays frontalier de la Tchétchénie, d’Ingouchie et du Daghestan.
Dans un état d’esprit hautement provocateur et peu de temps
après le départ d’Obama de Moscou, Medvedev se rendait en Ossétie du Sud, la
province qui fit scission avec la Géorgie et qui fut l’année dernière au centre
de la guerre entre Moscou et le gouvernement de Tbilissi soutenu par les
Etats-Unis. Ce qui fut une déclaration d’intention comme quoi Moscou cherchera
à consolider son pouvoir dans la province ainsi qu’en Abkhazie, l’autre
territoire pro-russe de la Géorgie.
En cherchant à minimiser son
nouveau rôle de partenaire dans la guerre de Washington en Afghanistan, Moscou
poursuivra sa propre « guerre contre le terrorisme » dans le Caucase
du Nord, tout en cherchant à étendre son autorité sur le côté Sud des montagnes
du Caucase.