Il y a deux mois déjà, les syndicats allemands, les comités
d’entreprise et le gouvernement fédéral avaient annoncé le
« sauvetage » d’Opel, General Motors Europe (GME), sur la base d’un
soi-disant protocole d’accord (« Memorandum of Understanding » soumis
par le groupe Magna. Dans le même temps, le WSWS avait qualifié l’ensemble du document
non contraignant d’« importante manœuvre de diversion » destinée à
empêcher une révolte des travailleurs.
Le gouvernement de coalition de Merkel est décidé à donner l’impression
d’être occupé à trouver une « solution socialement compatible » pour
Opel, du moins jusqu’en septembre, date des élections législatives.
Entre-temps, toutefois, il devient clair que le gouvernement avait déterminé
dès le début qu’il allait laisser aller l’entreprise automobile à la faillite.
Une discussion projetée lundi dernier entre les patrons de GM, les
représentants du gouvernement et les deux investisseurs dans Opel restants
n’eut pas lieu. Après que l’un des postulants, l’entreprise chinoise BAIC, se
fut retiré la semaine passée de la course, deux autres postulants restaient en
lice : l’équipementier austro-canadien Magna avec ses partenaires russes,
le constructeur automobile russe GAZ et la banque russe Sberbank qui est entre
les mains de l’Etat, ainsi que la holding financière belge RHJ International
(RHJI).
Jusqu’à tout dernièrement, le gouvernement allemand et les
gouvernements des pays où sont implantés des usines Opel, s’étaient
publiquement déclarés être en faveur d’une reprise par Magna, tandis que les
négociateurs de GM avaient préconisé RHJI. La semaine dernière des signes
apparaissaient cependant selon lesquels le gouvernement allemand penchait
publiquement en faveur de la solution proposée par le ministre fédéral de
l’Economie et de la Technologie, Theodor zu Guttenberg (Union
chrétienne-sociale, CSU) qui avait affirmé dès le départ que l’insolvabilité
d’Opel était la meilleure solution.
Les intentions réelles du gouvernement de Berlin sont révélées par le
fait qu’il a choisi l’ancien PDG de l’équipementier Continental, Manfred
Wennemer, pour le représenter au sein du trust, l’organisme allemand chargé
d’administrer temporairement Opel, et qui présentement détient 65 pour cent
d’Opel Europe (GM détenant les 35 pour cent restants). Wennemer s’était forgé
chez Continental la réputation d’être un chasseur de coûts intransigeant aux
dépens des salariés en délocalisant des milliers d’emplois vers des pays à bas
salaires et en exerçant un chantage sur les autres salariés. Il a également
imposé la semaine de 42-43 heures sans compensation de salaire.
Vendredi dernier, le journal Handelsblatt, avait rapporté que
lors des premiers entretiens avec la direction de GM, Wennemer avait proposé
une insolvabilité planifiée pour Opel pour ensuite redémarrer avec l’aide de
l’Etat. D’après le même article, le conseiller d’entreprise Dirk Pfeil (Parti libéral
démocrate, FDP), qui siège au conseil d’administration du trust en tant que
représentant des quatre Länder où des sites d’Opel sont implantés, plaide en
faveur de la vente de l’entreprise à RHJI.
Pfeil entretient d’étroites relations avec le directeur exécutif de
RHJI, Leonhard Fischer, un ancien membre du directoire de la Dresdner Bank et
une personnalité bien connue dans le monde de la finance allemand. Il avait
débuté sa carrière à Francfort dans la banque d’affaires américaine JP Morgan,
puis occupa un poste de haut rang à la Dresdner Bank pour ensuite rejoindre le
Credit Suisse Group. Au début de 2007, il prenait la direction de RHJ
International.
Fischer et le RHJI sont avant tout intéressés à obtenir autant de fonds
publics que possible pour GM-Europe. A la question de savoir pourquoi il était
tellement intéressé par Opel, Fischer avait répondu, « En raison de la
répartition asymétrique des risques, » c’est-à-dire, le risque majeur du
sauvetage d’Opel est porté par l’Etat.
Samedi dernier, le conseil d’administration du trust d’Opel
avait déclaré qu’aucune décision finale n’avait été prise. « A ce jour,
les négociateurs de General Motors n’avaient pas réussi à soumettre ni une
recommandation ni une proposition au trust de l’entreprise. » En plus de
Pfeil et de Wennemer, deux représentants de GM font partie du conseil
d’administration du trust ainsi que le président de la Chambre américaine de
Commerce en Allemagne, Fred Irwin.
Il y a quelques mois toutefois, Reuters avait rapporté que le
cabinet d’avocats d’affaires Clifford Chance était en train de préparer le plan
d’insolvabilité. Selon le milieu des affaires, l’administrateur judiciaire
Jobst Wellensiek, conseillerait aussi la direction d’Opel.
Toujours samedi, l’édition en ligne du Financial Times
Deutschland avait rapporté qu’une étude réalisée par la banque d’affaires
franco-américaine Lazard pour le compte du gouvernement avait conclu qu’Opel et
sa marque sœur britannique Vauxhall étaient trop petits pour survivre en tant
que groupes automobiles indépendants. La masse critique nécessaire à un
constructeur automobile indépendant était « à peine réalisable. » Le
rapport « strictement confidentiel » servira de base à Wennemer et
Pfeil lors de leurs négociations avec General Motors.
Un plan d’insolvabilité entre en jeu dans presque un pour cent
des cas d’insolvabilité, selon l’Institut de la recherche sur les PME de Bonn,
mais aucune référence ne fut faite aux conséquences que cela a pour les
salariés concernés. En effet, le document élaboré par Lazard ne fait que quatre
pages.
Tout comme dans le cas de GM aux Etats-Unis, la faillite
d’Opel Europe touchera les salariés le plus durement. « Le plan
d’insolvabilité présente beaucoup d’avantages, » écrit le Financial
Times Deutschland : « En
moyenne, 60 pour cent des emplois seraient maintenus au sein de l’entreprise en
faillite. » De plus, le processus dans le cas d’une insolvabilité
planifiée est bien plus rapide qu’une insolvabilité normale, et les créanciers
recevraient presque deux fois plus d’argent. « En principe en Allemagne
les exigences des créanciers doivent être satisfaites en priorité selon la
marge de solvabilité de l’entreprise. »
La réaction du syndicat IG
Metall et des comités d’entreprise
Les comités d’entreprise d’Opel (la base syndicale) et l’IG
Metall, le syndicat des travailleurs de l’industrie métallurgique, ont réagi
fébrilement aux développements survenus la semaine passée. Dans une résolution
mentionnée samedi dernier dans le Frankfurter Rundschau, les comités
d’entreprise ont lancé un appel au gouvernement fédéral et aux gouvernements
des Länder concernés de rester conséquent « et de rejeter la reprise
d’Opel par RHJI. » Les comités d’entreprise n’étaient pas disposés à faire
le moindre sacrifice pour RHJI, a précisé l’article.
En fait, les comités d’entreprise ont déjà fait de multiples
concessions. Le comité d’entreprise du groupe et le syndicat IG Metall ont
sacrifié des augmentations de salaire et des primes de vacances déjà convenues
bien que la question du repreneur reste encore ouverte. A Bochum, les
travailleurs ont refusé de sacrifier la prime de vacances après la concession
déjà faite par l’IG Metall d’annuler l’augmentation de salaire. Un travailleur
de Bochum a dit au WSWS, « Je ne veux pas financer la perte de mon emploi avec
mon propre argent. »
S’ajoute à ceci le fait que les comités d’entreprise ont déjà
accepté des « sacrifices » aux dépens des travailleurs s’élevant à un
montant allant de 1 à 1,5 milliard d’euros pour permettre aux comités
d’entreprise de mettre sur pied leur propre société de capitaux. (Voir « Les syndicats divisent systématiquement les travailleurs chez Opel et
GM-Europe. »)
Cette société de capitaux à gestion participative qui devrait
plutôt s’appeler « société pour l’enrichissement des comités
d’entreprise » est cependant mise en danger en cas d’insolvabilité. C’est
pourquoi, les comités d’entreprise s’élèvent contre l’insolvabilité mais pas en
raison de scrupules quant au sort des travailleurs.
Klaus Franz, le président du comité d’entreprise du groupe et
le vice-président du conseil de surveillance d’Opel, a réagi furieusement au
rapport publié par Lazard qui affirme qu’il n’y a pas d’avenir pour Opel et
Vauxhall. Samedi, il a dit aux médias que le ministre de l’Economie cherchait
délibérément à provoquer une insolvabilité. Puis, lundi les comités
d’entreprise d’Opel ont demandé de bénéficier d’une participation plus grande
dans la recherche d’investisseurs pour le constructeur automobile.
Les deux investisseurs restants pour Opel exigent une
importante réduction du personnel. Des milliers d’emplois devraient disparaître,
les salaires réduits et les primes de vacances et de Noël annulées. Dans la
presse il est fait état d’une « contribution d’assainissement »
versée par les salariés et totalisant entre 1,25 et 1,5 milliard d’euros sur
les cinq prochaines années.
Après une réunion extraordinaire lundi, le comité d’entreprise
du groupe a déclaré, « Sans notre participation dans le processus de prise
de décision, nous refusons de verser des contributions dans l’entreprise,
indépendamment de l’investisseur retenu par GM. » Autrement dit, ceci
signifie que si les comités d’entreprise et l’IG Metall sont invités à
participer aux négociations avec les investisseurs, ils sont tout à fait
disposés à ce que les travailleurs versent une «contribution
d’assainissement. »
Les comités d’entreprise et les syndicats ne cherchent qu’à
rehausser leur salaire de honte. Ils ne sont prêts à signer des réductions de
salaire et le démantèlement des acquis sociaux que s’il leur est attribué un
leur rôle plus important dans l’entreprise.
Ils
réclament aussi que la marque Opel devienne une marque mondiale sur tous les
marchés du monde, ce que GM aurait empêché jusque-là. Ils réclament que
l’influence exercée par GM soit réduite et qu’il soit refusé à l’ancien
quartier général du groupe à Detroit tout droit de préemption ou de rachat et
que les filiales européennes Opel et Vauxhall deviennent des entreprises indépendantes
à part entière. Dans le même temps, la coopération avec la firme américaine
devrait se poursuivre en ce qui concerne le développement et les ventes. En
d’autres termes, Opel souhaiterait réaliser ses propres bénéfices sur les
marchés tout en tirant profit de la coopération de GM.
Afin
de pouvoir imposer la réduction des salaires et des acquis sociaux, les comités
d’entreprise exigent une « garantie jusqu’en 2014 pour assurer l’avenir
des actuelles usines d’Opel et de Vauxhall. » Tout le monde sait qu’une
telle garantie ne vaut pas le papier sur lequel elle est écrite. Selon la
déclaration des comités d’entreprise, « des alternatives » doivent
être trouvées pour les usines d’Anvers (Belgique), d’Eisenach (Allemagne de
l’Est), de Luton (Grande-Bretagne) ainsi que pour les usines Powertrain de
Bochum, Rüsselsheim, Kaiserslautern et de Tychy (Pologne), toutes menacées de
fermeture.
Les
comités d’entreprise et l’IG Metall ont fait comprendre le véritable objectif
de leurs exigences : le futur investisseur doit « faire des efforts
substantiels du côté du revenu et du chiffre d’affaires… Il n’est pas
acceptable que le potentiel considérable d’Opel ne soit pas mis en valeur
tandis que dans le même temps des réductions des salaires et des traitements
des employés sont exigées », peut-on lire dans la déclaration. En d’autres
termes : les réductions de salaires et de traitements seront acceptées si
le chiffre d’affaires, et les profits, s’améliorent.
Avec l’intéressement aux bénéfices issu de leur société de
capitaux à gestion participative en vue, les comités d’entreprise et les
fonctionnaires d’IG Metall plaident déjà en faveur de gains élevés, tout à
l’image de la direction du groupe.
Dans le but de concrétiser une telle société de capitaux à
gestion participative, les comités d’entreprise et l’IG Metall sont disposés à
accepter des réductions sans pareil. La chose qu’ils redoutent plus que
l’insolvabilité d’Opel c’est une lutte commune des travailleurs de l’automobile
en Europe, aux Etats-Unis et de par le monde.
Ils sont même prêts à accepter une reprise par RHJ
International qu’ils avaient rejetée avec véhémence samedi par le biais du Frankfurter
Rundschau. Le responsable régional de l’IG Metall et membre du conseil de
surveillance d’Opel, Armin Schild, a dit au Frankfurter Allemeine Zeitung
qu’une reprise commune d’Opel par RHJI et Magna était « concevable… j’ai
toujours dit qu’une combinaison entre un investisseur financier et un
investisseur stratégique pourrait avoir du sens. »