Voici la première des deux parties d'une
série concernant une lettre ouverte publiée par le Socialist Workers Party en
Grande-Bretagne.
Le Socialist Workers Party (SWP) en
Grande-Bretagne a publié une lettre ouverte sous le titre : « La gauche doit
s'unir pour créer une alternative ».
Il a publié son appel le 9 juin, deux jours
après les élections européennes qui étaient couplées avec les élections
municipales au Royaume-Uni.
Ces élections ont incontestablement souligné
la nécessité de construire une direction politique différente pour la classe
ouvrière. Le vote pour le Parti travailliste aux élections européennes s'est
effondré, atteignant son plus bas niveau historique et arrivant en troisième
position derrière les conservateurs et les nationalistes de droite de l’United Kingdom Independence Party. Pour la première fois, le British National Party (BNP)
d'extrême-droite a réussi à faire élire deux candidats au Parlement européen
après avoir recueilli plus de 6 pour cent des voix.
La réponse nécessaire est de construire un
nouveau parti socialiste et internationaliste, indépendant des bureaucraties du
Parti travailliste et des syndicats, s'appuyant sur l'héritage théorique et
programmatique du mouvement marxiste.
Le SWP est âprement opposé à cette
perspective. Son but est, au contraire, d'utiliser la crise du Parti
travailliste pour réitérer sa vieille demande pour un regroupement des diverses
tendances de gauche de Grande-Bretagne en un nouveau véhicule électoral dominé
par la bureaucratie syndicale et tous les députés travaillistes mécontents
qu'ils pourraient attirer. Il espère qu'une insistance exagérée sur la menace
posée par le BNP peut servir à faire avancer ce projet – à convaincre des
sections de la bureaucratie qu'un vide politique s'est ouvert et qu'il pourrait
être comblé par d'autres forces et à demander que ses rivaux « de gauche » fassent tout ce qui est nécessaire pour se rendre acceptables par les
bureaucrates qu'il veut séduire.
« Jamais
auparavant les fascistes n'ont remporté un tel succès en Grande-Bretagne », affirme le SWP. « L'histoire nous enseigne que le fascisme peut être combattu et arrêté,
mais seulement si nous nous unissons pour résister. »
Le public que vise le SWP transparaît dans la
manière dont la lettre propose de réagir aux résultats des élections
européennes. « Une réponse au
problème serait de dire que nous devons avaler tout ce que le Parti
travailliste a fait et de le soutenir pour maintenir David Cameron [le
dirigeant du Parti conservateur], et le BNP à distance. »
Qui présenterait un tel argument, mis à part
des bureaucrates ?
L'évolution la plus importante révélée par les élections européennes, c'est
l'effondrement général du soutien à la social–démocratie. Que des partis de
droite, conservateurs voire même fascistes, bénéficient d'un certain succès ne
démontre pas un virage à droite. On a plutôt observé que des millions de
travailleurs ont tourné le dos à leurs vieux partis parce qu'ils ne croient
plus qu'ils soient différents, d'une manière ou d'une autre, des partis
traditionnels du grand patronat, mais ils l'ont fait principalement en refusant
de voter pour qui que ce soit.
En moyenne, à travers toute l'Europe, les partis sociaux-démocrates, socialistes et
travaillistes, n'ont obtenu que 22 pour cent des voix avec la participation
historiquement la plus faible de tout juste 43 pour cent en moyenne.
Les résultats britanniques ont été
l'expression la plus aboutie de ce processus. Les gouvernements travaillistes
successifs ont imposé une politique économique thatchérienne de privatisations
et de réductions d'impôts pour les riches, lancé les guerres profondément
impopulaires d'Irak et d'Afghanistan, et mis en application une offensive
permanente contre les droits démocratiques. La croyance que le remplacement de
Tony Blair par Gordon Brown au poste de premier ministre donnerait au parti une
bouffée d'air frais a été contredite. Au lieu de cela, les luttes de factions
et les scandales sur les dépenses des députés ont menacé de désintégrer le
parti.
Le Parti travailliste a été abandonné par son
ancienne base sociale dans la classe ouvrière, et il risque l'anéantissement
électoral. Il n'a obtenu que 16 pour cent des voix avec une participation de
34,5 pour cent. Le fait que seulement 5 pour cent des électeurs ont voté pour
le Parti travailliste tient à ce qu'il n'est pas perçu comme une
alternative aux conservateurs. Le vote travailliste a baissé d'un quart à
Londres, d'un tiers dans le nord-ouest, et a été presque divisé par deux dans
le Yorkshire et le nord-est.
C'est pourquoi, en répondant à sa propre
question, le SWP prévient, « Mais
il faudrait un miracle pour que Gordon Brown soit réélu à Downing Street. Le
danger est qu'en s'y accrochant simplement on serait entraîné dans le naufrage
du Parti travailliste. »
Le BNP n'est parvenu à dépasser le seuil
requis pour être élu, suivant le mode de représentation proportionnelle, qu'en raison du déclin massif
du soutien pour les travaillistes et du niveau de l'abstention. La région du
nord-ouest et celle de Yorkshire et Humber sont celles qui ont connu l'effondrement le plus fort du vote
travailliste et qui ont eu le niveau d'abstention le plus élevé, avec des
participations de 31,9 et 32,51 pour cent respectivement, soit un déclin de 10 pour cent depuis 2004.
Nationalement, la part des voix allant au BNP n'a augmenté que de 1,3 pour cent
depuis 2004, passant de 808 200 à 943 598 voix.
Le SWP anticipe depuis des années que la
trajectoire vers la droite du gouvernement travailliste amènerait une scission
de la part d'une section du Parti travailliste et des syndicats, à laquelle il
pourrait servir de conseiller « de gauche ». Mais la
tentative de constituer un nouveau parti sur une telle perspective s'est soldée
par un échec cuisant, car à ce jour aucune section importante de la
bureaucratie n'a rompu avec le Parti travailliste.
La coalition « Respect – the Unity
Coalition » soutenue par le SWP a été créée pour accueillir un unique
député venu du parti travailliste, George Galloway, qui se trouvait en manque
de structure politique après avoir été exclu du parti travailliste en
octobre 2003 en raison de sa prise de position contre la guerre en Irak. Le
SWP a accepté que Galloway prenne la direction de Respect, s'est plié à
son orientation opportuniste vers les hommes d'affaires musulmans, les groupes
islamistes et les régimes du Moyen-Orient, et a tenté de s'en servir pour
accroître son propre profil politique. Cette alliance ne s'est rompue que
lorsque Galloway a décidé qu'une association avec les « trotskystes » du SWP le mettait en porte-à-faux vis-à-vis de ses soutiens politiques
anti-communistes, et il s'est alors dispensé de leurs services.
Le SWPespère que la crise du Parti
travailliste lui ouvrira les portes de la bureaucratie qui lui étaient fermées
jusqu'ici, et il veut utiliser les succès du BNP pour donner une légitimité
politique à ses projets. La position de base du SWP est d'être prêt à accepter
n'importe quel compromis politique nécessaire pour atteindre ce but, et, en
particulier, de faire en sorte que ses efforts pour garder une rhétorique
socialiste et révolutionnaire ne sapent pas sa respectabilité politique aux
yeux de la bureaucratie.
Le NPA en France
Le SWP n'est pas seul à chercher un
regroupement « de gauche ». Il a été placé en position de
faiblesse par l'échec de Respect, comparé, en particulier, à la Ligue
communiste révolutionnaire, membre français du Secrétariat unifié pabliste, qui
a formé cette année le Nouveau Parti
anticapitaliste (NPA).
Les pablistes ont affirmé qu'il faut maintenir
une distance rhétorique avec les sociaux-démocrates et insister sur le caractère de gauche du NPA. Ils sont
arrivés à cette conclusion non seulement après avoir contemplé le naufrage de Respect
et du Scottish Socialist Party, mais aussi après s'être rendu compte des dommages politiques subis lors
de leur soutien et participation à Rifondazione Communista (PRC) en
Italie et dans d'autres tendances staliniennes « dissidentes » et réformistes.
En tant que membre du gouvernement d'Union de
Romano Prodi élu en 2006, le dirigeant du PRC Fausto Bertinotti a été élu
président de la chambre des députés. Le PRC est resté au gouvernement alors que
celui-ci imposait des réductions budgétaires et des mesures d'austérité, il a
voté pour la poursuite de la présence militaire italienne en Afghanistan et a
envoyé des troupes au Liban.
Les pablistes italiens, travaillant dans le
PRC, ont été directement impliqués dans cette trahison politique. Parmi
ceux qui ont soutenu Prodi lors d'un vote de confiance en 2007, vote qui
s'appuyait sur un ultimatum en 12 points incluant le soutien à l'intervention
militaire italienne en Afghanistan et la « réforme » du système de retraites italien, il y avait le sénateur Franco
Turigliatto de l'organisation pabliste Sinistra Critica (gauche
critique).
Polémiquant contre le NPA dans le journal
théorique du SWP International Socialism, ("Revolutionnary Paths :
A reply to Panos Garganas and François Sabado," le 31 mars), Alex
Callinicos s'est opposé aux pablistes sur leur posture de refus de collaborer
avec les sociaux-démocrates.
« Nous au Socialist Workers Party (SWP)
sommes enthousiastes pour le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) affirme Callinicos. Mais, poursuit-il, « il y a d'autres cas où les ruptures les plus importantes sont le fait
de forces qui rejettent le social-libéralisme, mais qui n'ont pas rompu avec le réformisme déclaré – Die Linke (La Gauche) en Allemagne, le Partito della Rifondazione Communista
(PRC) en Italie aussi bien sous son ancienne direction que sous la nouvelle,
Synaspismos en Grèce, et quelques éléments du bloc de gauche au Portugal ».
Après avoir déclaré que, en Grande-Bretagne et en Allemagne, « La social-démocratie
était profondément ancrée », il
continue, « C'est pour cela
que l'émergence de Die Linke en Allemagne est un développement aussi
historique… Pour la première fois depuis des décennies, le déclin de la
social-démocratie a produit une rupture sérieuse vers la gauche. Bien sûr, la
politique de Die Linke est du réformisme de gauche : comment pourrait-il en être autrement étant donné l'équilibre des
forces en Allemagne ? »
Die Linke a été formé en juin 2007 par une
alliance entre les ex-staliniens du Parti du socialisme démocratique de
l'ex-Allemagne de l'Est et des forces qui ont quitté le Parti social-démocrate à l'ouest, il est dirigé par
l'ex-ministre des Finances Oskar
Lafontaine et constitué principalement de bureaucrates syndicaux. Les
partenaires allemands du SWP fonctionnent dans Die Linke sur la base de leur
acceptation du programme réformiste établi par Lafontaine.
Callinicos insiste sur le fait que c'est là
tout ce qui est possible, allant jusqu'à affirmer que le développement de la
lutte des classes ne ne fournit
aucune occasion de gagner la classe ouvrière à une perspective révolutionnaire,
mais, plutôt, « en attirant
de nouvelles couches de travailleurs vers les activités nécessitant une
conscience de classe, tendra à étendre la base de la politique réformiste ».
Il dit de la propre expérience du SWP, « L'influence continue du réformisme nous
limite de différentes manières. Finalement ce qui a causé la perte de Respect
c'est qu'il n'a pas réussi à créer une scission importante dans le Parti
travailliste… Un parti de gauche radicale c'est comme un front uni classique en
ce qu'il met ensemble des forces politiquement hétérogènes. C'est en partie la
conséquence du caractère relativement ouvert des programmes de tels partis, qui
jonglent généralement entre réforme et révolution. »
Pour Callanicos, la leçon à tirer de Respect
c'est que, ce que les travaillistes et la bureaucratie syndicale demandent, les
groupes de gauche doivent l'exécuter. Dans un article suivant, « l'effondrement du parti travailliste,
les victoires du BNP – fusion politique » de juillet 2009, il met en garde ses
partenaires « de gauche » : « si nous sommes d'une honnêteté brutale concernant nos propres forces et
faiblesses, il faut admettre que la gauche radicale est mal-en-point. »
Pour que le BNP et d'autres partis
d'extrême-droite ne profitent pas de l'effondrement du Parti travailliste, « nous avons besoin d'agir ensemble
électoralement. Pour cela il faut, de la part des différents fragments de la
gauche radicale, une admission de notre échec collectif… Tant que nous adhérons
chacun à l'illusion que nous pouvons réaliser cette percée seuls, nous sommes perdus. »
Le cynisme politique du SWP est sans limites.
Tout en menaçant ses alliés électoraux potentiels du spectre de la droite,
Callinicos reconnaît dans le même texte que « il est important de ne pas surestimer » cette menace. « Le
vote BNP a en fait diminué dans les deux circonscriptions où il a obtenu des
places. Les nazis sont entrés au
Parlement du fait de l'abstention massive des électeurs travaillistes» et « il y a très peu de signes donnant
à penser à un virage à droite généralisé de la société britannique semblable à
celui qui a amené Thatcher au pouvoir il y a 30 ans. »
En d'autres termes, le SWP est poussé à
publier sa « lettre ouverte » non par souci sincère d'un
risque fasciste – sa polémique aurait été largement inchangée si le BNP s'était
effondré. Sa motivation politique essentielle est de botter en touche toute
opposition socialiste authentique à la bureaucratie travailliste et syndicale.
Callinicos se plaint même de la « faiblesse chronique, historique, de la
gauche travailliste » en Grande-Bretagne, avant d'insister que « cela ne serait pas si important si leurs
idées n'étaient pas encore soutenues par des millions de gens (comme le montre
l'immense popularité dont jouit Tony Benn à plus de 80
ans) ».
Il faut faire remarquer que Benn, qui n'est
plus vraiment une force de première importance en politique aujourd'hui, a
déclaré qu'il mourrait comme il a vécu, à savoir comme un membre loyal du Parti
travailliste.