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L’élite dirigeante canadienne déterminée à défendre ses intérêts dans l’Arctique

Par Louis Girard
25 avril 2009

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Dans les dernières semaines, les tensions montantes entre le Canada et la Russie au sujet du contrôle des ressources naturelles immenses de l’Arctique et d’une éventuelle route maritime passant par le Pôle Nord ont fait surface.

À la fin février, le gouvernement conservateur de Stephen Harper a réagi de manière agressive à une supposée tentative d’incursion de deux avions militaires russes dans l’espace aérien canadien. Le premier ministre Stephen Harper, rappelant que la Russie aurait agi de la sorte récemment à plusieurs reprises, a déclaré que ce geste « représente une agression non seulement dans l'Arctique, mais une agression de façon générale ». Environ un mois après l’incident, lors d’une rencontre entre le ministre canadien de la Défense, Peter MacKay, et le ministre russe des Affaires étrangères, Sergei Lavrov, MacKay a déclaré que « chaque fois que vous allez envoyer des avions, on va vous envoyer des avions aussi. »

Contrairement à ce que laissent entendre Harper et MacKay, la Russie n’a pas outrepassé les droits que lui confère la loi internationale. Selon l’officier américain Gene Renuart, qui est responsable du NORAD (le système de défense aérospatiale canado-américain), « les Russes se sont conduits de manière professionnelle... et ne sont entrés dans l’espace aérien interne d’aucun pays ». Toutefois, la décision de la Russie de reprendre pour la première fois depuis la fin de la Guerre froide ses patrouilles au-dessus de l’Arctique fait partie d’une stratégie géopolitique plus agressive.

Au début avril, le ministre canadien des Affaires étrangères, Lawrence Cannon, a rencontré son homologue russe Sergei Lavrov et lui a demandé de prévenir le Canada chaque fois que la Russie compte envoyer des avions près de la frontière canadienne. Un haut responsable de l’ambassade russe au Canada a répliqué que le Canada devrait officiellement proposer un traité afin d’obtenir une telle demande.

Le gouvernement conservateur canadien a réagi de manière tout aussi agressive lors de l’annonce, faite au mois de mars par le gouvernement russe, de la mise sur pied d’un plan pour l’Arctique qui était inscrit dans un document du Conseil de sécurité de la présidence et qui a été signé en septembre 2008 par le président russe Dimitri Medvedev.

Ce document stipule que l’Arctique deviendra une base stratégique de première importance pour la Russie et que, d’ici 2020, cette même région deviendra la source principale de ressources naturelles pour ce même pays. « Il est nécessaire de créer des unités militaires [...] dans la zone arctique de la Fédération de Russie afin d'y assurer la sécurité militaire ». Le document ajoute que Moscou vise à « utiliser la zone arctique [...] en tant que base stratégique de ressources naturelles pour assurer les besoins de la Russie en hydrocarbures, en ressources biologiques, en eau et autres matières premières stratégiques ».

Le ministre Cannon a aussitôt réagi à l’annonce du gouvernement russe en disant que le Canada ne se laisserait pas « intimider » par les visées de la Russie dans l’Arctique et qu’il serait « intraitable » face aux pays qui pourraient avoir des visées dans cette région du globe.

Cette montée des tensions entre le Canada et la Russie arrive dans un contexte où la fonte des glaces en Arctique, causée par le réchauffement de la planète, ouvre d’immenses opportunités pour les pays impérialistes.

Selon certaines estimations, la région de l’Arctique pourrait contenir jusqu’à 25 pour cent des réserves de pétrole et de gaz naturel qui restent à découvrir dans le monde. Avec la calotte glaciaire qui fond plus rapidement que prévu, ces ressources naturelles qui gisent sous les eaux de l’Arctique deviennent de plus en plus accessibles.

Dans une entrevue diffusée sur le site web de l’OTAN, Soren Grade, le ministre de la Défense du Danemark, un pays qui a aussi des intérêts importants en Arctique par sa possession du Groenland, a présenté de manière explicite les immenses possibilités qui s’ouvrent pour la bourgeoisie : « En raison du fait qu’il y a beaucoup de pétrole dans cette zone, elle a une grande importance pour toutes les nations, parce qu’en fait vous pouvez être très riche s’il y a beaucoup de pétrole et s’il vous appartient et si vous voulez l’explorer. Peut-être pas aujourd’hui quand le baril de pétrole vaut 40 $, mais à 140 $ ça peut faire une différence. »

Le retrait des glaces pourrait également entraîner l’ouverture de nouvelles routes maritimes, dont le passage du Nord-Ouest entre les océans Atlantique et Pacifique. Cette route permettrait d’économiser des ressources importantes pour le commerce entre l’Asie du Nord-Est et les marchés principaux de l’Europe et de l’Amérique.

Depuis son arrivée au pouvoir, le gouvernement Harper a fait de l’Arctique un thème central de son mandat. Il a investi des milliards de dollars pour développer une présence militaire importante dans cette région et pour acheter de nouveaux brise-glace afin de patrouiller dans la région. Il envisage aussi de construire un port en eau profonde ainsi que de nouveaux centres de recherche.

Récemment, le gouvernement Harper a lancé l’opération Nunalivut (« terre qui est à nous » en Inuktitut) et qui a pour but de développer des opérations militaires en Arctique comme des patrouilles de surveillance terrestres et aériennes ainsi que de faire avancer la cartographie du Grand Nord, particulièrement la carte des fonds marins.

En août 2008, Ottawa avait annoncé l’investissement de 100 millions de dollars sur cinq ans afin de cartographier le Grand Nord. En plus de se servir de ce projet pour mieux connaître le potentiel énergétique de la région, la cartographie du Grand Nord permettra à Ottawa de mieux défendre ses intérêts auprès des Nations unies afin d’étendre sa juridiction sur les eaux arctiques.

Selon la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, tout Etat possède une souveraineté sur les 200 milles marins (370 km) qui bordent ses côtes et elle peut étendre sa souveraineté de 150 milles marins supplémentaires si elle peut prouver que les fonds marins sont le prolongement de son plateau continental sur cette distance. Sur cette base, la Russie, qui a planté un drapeau en 2007 au milieu de l’océan Arctique, revendique 37 pour cent du territoire de cet océan.

Par son attitude agressive, Ottawa tente de gagner l’appui des Etats-Unis afin de contrer l’influence de la Russie dans le Grand Nord. Malgré ses investissements majeurs pour défendre ses propres intérêts, l’impérialisme canadien demeure trop faible pour défendre un territoire qui couvre 40 pour cent de sa superficie et doit chercher des appuis auprès des grandes puissances. Ottawa cherche donc à se présenter comme un allié respectable auprès de Washington et comme ayant des intérêts communs avec lui dans sa lutte contre Moscou.

Cependant, les relations entre le Canada et les Etats-Unis au sujet de l’Arctique demeurent tendues. Pour leurs propres intérêts, les Etats-Unis refusent que l’éventuel passage du Nord-Ouest soit contrôlé par le Canada et veulent rendre ces eaux internationales. Des tensions confrontent également le Canada et les États-Unis au sujet de la division de la mer de Beaufort au nord de l’Alaska et du Yukon, une mer qui contient d’importantes ressources énergétiques.

Outre le Canada, d’autres puissances plus faibles convoitent les ressources de l’Arctique. Les pays scandinaves (la Norvège, la Suède, la Finlande, le Danemark et l’Islande) ont proposé une « déclaration de solidarité » qui sera discutée par les ministres des Affaires étrangères de chacun des pays en mai. Cette déclaration serait la base pour un pacte militaire de défense en cas d’attaque sur leur frontière polaire et permettrait une plus grande coopération entre ces pays.

À propos du fait que la Russie modernise son armée pour mieux défendre ses intérêts dans le Grand Nord, Jonas Gahr Store, le ministre des Affaires étrangères de la Norvège, a dit : « Nous ne voyons pas cela principalement comme quelque chose qui est dirigé vers un groupe de pays ou un seul pays. Mais, c’est une façon pour la Russie de réaffirmer sa présence. Nous devons suivre cela avec beaucoup de précautions et nous devons répondre, je crois, en conséquence. »

Dans un autre signe que les tensions entre les grandes puissances, de même qu’entre les petites, pour le contrôle des ressources s’accentuent dans l’Arctique, l’OTAN a affirmé qu’elle souhaite étendre sa présence militaire. Lors d’une réunion à la fin janvier à Reykjavik en Islande, le secrétaire général de l’OTAN, Jaap de Hoop Scheffer, a déclaré : « Je serais le dernier à m’attendre à un conflit militaire, mais il y aura une présence militaire… Ça doit être une présence militaire qui n’est pas exagérée et il y a une coopération économique et politique qui est nécessaire. »

Les immenses ressources énergétiques rendues plus facilement accessibles par la fonte des glaces en Arctique ne seront pas utilisées rationnellement pour satisfaire les besoins énergétiques de la population mondiale. Plutôt, chaque puissance tente d’exploiter à son avantage les changements climatiques et de gonfler les profits de la bourgeoisie qu’elle représente. Loin de favoriser la « coopération », la division du monde en État-nations qui entrent en compétition pour l’accaparement des ressources mènera les puissances à entrer de plus en plus ouvertement en conflit dans cette région longtemps désertée par ces mêmes puissances.

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