La publication des notes secrètes du département de la
Justice sous Bush qui décrivent et approuvent diverses formes de torture est
maintenant au centre d’une crise politique qui marque une nouvelle étape dans
la décomposition de la démocratie américaine.
La divulgation des mémos et le fait que l’administration
Obama s’oppose à toute enquête criminelle des tortionnaires de la CIA et des
officiels de l’administration Bush qui ont donné les ordres, à commencer par
les anciens président et vice-président, sont lourdes de conséquences pour
l’administration Obama et la future trajectoire politique des Etats-Unis.
Le débat sur la publication des notes de service a provoqué
un conflit acerbe au sein de l’Etat. L’administration elle-même était divisée,
le directeur de la CIA Leon Panetta y étant farouchement opposé et le ministre
de la Justice Eric Holder étant en faveur. Comme à sa manière habituelle, Obama
a tenté d’en arriver à un compromis entre les factions, mais sous des
conditions favorables aux forces le plus à droite.
De façon typique, Obama a tenté de créer l’image d’une
rupture avec les politiques de son prédécesseur en publiant les notes de
service, tout en essayant de masquer la complicité de tout l’establishment
politique et médiatique et rassurer la CIA et l’armée que son administration
allait maintenir l’essentiel des politiques antidémocratiques de Bush.
Obama et ses conseillers politiques ont clairement cru que
cette solution allait contenir la controverse sur la torture. En fait, cela a
eu l’effet contraire.
D’autres révélations ont suivi sur l’étendue et la gravité
des mauvais traitements. L’administration s’est retrouvée dans une position
légalement intenable où elle admet que la loi américaine et la loi
internationale ont été violées, bien qu’elle protège les criminels de toute
poursuite. Cette position, comme l’a déclaré le rapporteur sur la torture aux
Nations unies, constitue en soi une violation du droit international qui exige qu’un
gouvernement entame des poursuites contre des officiels impliqués dans la
torture.
Cela n’a fait qu’envenimer le conflit au sein de l’Etat.
L’ancien directeur de la CIA sous l’administration Bush, Michael Hayden, un
général de l’Air Force à la retraite, s’est opposé publiquement à divulgation
des mémos. Il s’est présenté à l’émission « Fox News Sunday » pour
défendre les méthodes d’interrogation et dénoncer Obama pour supposément mettre
en danger la sécurité nationale des Etats-Unis et faciliter la tâche des
terroristes en rendant ces mémos publics.
Obama s’est senti obligé de visiter les quartiers généraux
de la CIA lundi à Langley en Virginie dans une tentative pour étouffer la
dissidence à l’intérieur de l’agence.
La défense des tortionnaires par la Maison-Blanche fait
ressortir la montée du pouvoir du complexe militaire et du renseignement, un
Etat dans un Etat qui est, en pratique, au-dessus de tout contrôle ou de
responsabilité démocratique. Le Congrès et la Maison-Blanche s’inclinent
habituellement devant lui, dans une large mesure parce qu’ils craignent qu’une
situation pourrait émerger où l’establishment de la sécurité nationale
défierait ouvertement l’autorité d’un gouvernement élu.
L’état alarmant de la démocratie américaine trouve son
expression dans des méthodes traditionnellement associées à des gouvernements
totalitaires. C’est le résultat d’un long processus de déclin. Il y a un
parallèle saisissant dans la montée, lors des trois dernières décennies, d’une
aristocratie financière basée sur l’économie de marché et le parasitisme
financier et l’éruption du militarisme américain.
Alors que l’establishment militaire et du renseignement a
grandi en pouvoir et en influence, le gouffre économique de plus en plus large
qui sépare l’élite financière des masses de la population a affaibli les bases
socioéconomiques pour des modes de gouvernance démocratique.
Il n’est seulement possible ici de montrer les principaux
indicateurs du déclin de la démocratie américaine dans les trente dernières années.
Les années 1980 ont vu l’affaire Iran-Contra. L’administration Reagan, en
violation directe de l’amendement Boland passé par le Congrès au début des
années 1980, a mené une guerre en sous-main au Nicaragua qui a coûté la vie à
des dizaines de milliers de civils. Mais, contrairement au scandale du
Watergate, le Congrès est intervenu pour couvrir les crimes commis par Reagan
et ses lieutenants et bloquer toutes tentatives pour destituer Reagan ou
poursuivre ses complices au criminel.
Les années 1990 ont vu une conspiration sans relâche des
forces de droite, appuyées par le Parti républicain, les tribunaux et les
médias pour déstabiliser l’administration Clinton, culminant en 1998 avec la
première destitution d’un président élu de l’histoire. Cela fut suivi du vol
des élections de 2000 par Bush lors duquel une majorité de droite de la Cour
suprême a sanctionné la suppression des votes et a installé George W. Bush à la
Maison-Blanche.
Ensuite ont suivi les attaques terroristes du 11 septembre
2001 qui ont servi de prétexte à la poursuite d’un programme de droite qui
était en préparation depuis longtemps, composé d’agressions à l’étranger et de
répression à l’intérieur du pays. Le rôle des services du renseignement pour
avoir permis, et très probablement facilité, les attaques a été masqué par une
série de fausses enquêtes du Congrès qui a culminé par l’étouffement de
l’affaire par la Commission sur le 11-Septembre.
Le 11-Septembre a été l’occasion pour lancer la
« guerre au terrorisme », une fausse guerre qui n’a jamais été
officiellement déclarée et qui est restée mal définie ayant servi de prétexte à
l’accord entre les deux partis pour des agressions de l’armée américaine, en
premier contre l’Afghanistan et ensuite, sur la base de mensonges grossiers,
contre l’Irak. La « guerre au terrorisme » a aussi été utilisée comme
un prétexte pour ériger le cadre d’un Etat-policier (le Patriot Act, le
département de la Sécurité de la patrie, le Northern Command, la grande
expansion de l’espionnage aux Etats-Unis mêmes, la formation de goulags à
Guantanamo, en Irak et en Afghanistan et les prisons secrètes de la CIA de par
le monde, le refus de respecter l’habeas corpus, la détention indéfinie,
la restitution extraordinaire et la torture).
Tout cela a été mis en place avec la complicité du Congrès
et sans la moindre opposition de la part du Parti démocrate. Ces importants
changements régressifs de la structure de la société américaine ont modifié de
façon fondamentale la physionomie sociale et la pensée politique de l’aile
libérale de l’élite dirigeante, érodant tout attachement aux réformes sociales
ou à la défense des droits démocratiques.
D’importantes sections de la base sociale du libéralisme
ont profité des politiques de la réaction sociale au pays même et de l’agression
impérialiste à l’étranger, partageant l’enrichissement général des sections les
plus privilégiées de la société américaine. Ils n’avaient, et n’ont toujours,
que peu d’intérêt à chercher à refréner l’oligarchie financière et
l’establishment de l’armée et des agences du renseignement. Leur plus grande
crainte est de voir une éruption de la lutte de classe et d’avoir à affronter
une classe ouvrière demandant la fin du statu quo.
L’agonie mortelle de la démocratie américaine est
inséparable de la faillite des Etats-Unis et du capitalisme mondial. Le
développement de tendances autoritaires est d’autant plus dangereux qu’il a
lieu dans le contexte d’une crise économique s’approfondissant. La possibilité
de voir s’accroître la résistance populaire envers le chômage et la pauvreté
signifie que l’appareil de sécurité nationale sera de plus en plus directement
utilisé contre la classe ouvrière américaine.
La seule base sociale pour un mouvement de masse pour
défendre les droits démocratiques est la large masse des travailleurs, guidée
par une perspective socialiste et internationaliste. Un tel mouvement doit
demander sans équivoque une enquête et qu’on amène devant les tribunaux tous
les criminels responsables de la torture et de tous les autres crimes de guerre
à laquelle elle est associée.
Le développement d’un tel mouvement et le programme sur
lequel il doit se baser feront l’objet de la discussion des conférences
régionales organisées par le Parti de l’égalité socialiste, l’Internationale
étudiante pour l’égalité sociale et le World Socialist Web Site qui
débuteront le 25 avril à Ann Arbor au Michigan. Nous demandons à tous ceux qui
ont à cœur la défense des droits démocratiques et qui cherchent une alternative
au système capitaliste de participer à ces conférences.