Un jour seulement après avoir été contraint de démissionner
de son poste de premier ministre du gouvernement tchèque, Mirek Topolanek, qui
assure actuellement la présidence tournante de l’Union européenne, a
ouvertement critiqué la politique financière du gouvernement américain en
disant aux députés du parlement européen que les Etats-Unis étaient engagés sur
une « voie vers l’enfer ».
S’adressant mercredi au parlement européen, Topolanek
a averti que les coûts énormes des plans de sauvetage et des aides financières
débloqués par le gouvernement américain mené par le président Barack Obama
« nuiraient à la stabilité du marché financier mondial ». Le
président de l’UE a alors déclaré que le gouvernement américain était
coupable de protectionnisme et que le gouvernement d’Obama risquait de
répéter les erreurs commises lors de la Grande Dépression des années 1930.
Les remarques de Topolanek, faites en tant que porte-parole
officiel de l’Union européenne, représentent un défi sans précédent lancé
au gouvernement américain et à sa politique, à une semaine seulement de la
rencontre des dirigeants européens avec Obama, pour discuter lors du sommet du
G20 à Londres des mesures visant à venir à bout de la crise économique
mondiale. Topolanek lui-même doit accueillir le président américain lorsque
celui-ci se rendra dans la capitale tchèque, Prague, la semaine prochaine pour
son premier sommet de l'OTAN.
Alors qu’une poignée de députés européens se sont
empressés de critiquer les commentaires de Topolanek, il ne fait pas de doute
que l’ancien premier ministre tchèque a exprimé les sentiments ressentis
par nombre de députés européens et de chefs de gouvernement européens qui sont
de plus en plus alarmés par la politique financière agressive du gouvernement
américain. Lors de leur sommet de printemps qui s’est tenu à la fin de la
semaine dernière les dirigeants européens avaient déjà rejeté les exigences
américaines pour l’adoption de nouveaux plans de relance alors que
certains responsables européens avaient ouvertement critiqué les méthodes de
« harcèlement » employées du côté américain.
Le sommet de l’UE avait été suivi d’un
débordement d’activité diplomatique de part et d’autre de
l’Atlantique lors duquel les deux côtés, européen et américain, avaient
intensifié leur campagne respective.
Dans un entretien accordé au Wall Street Journal du
23 mars, le président de la Banque centrale européenne (BCE), Jean-Claude
Trichet, a défendu la décision des chefs d’Etat européens, menés par
l’Allemagne et la France, de ne pas injecter d’argent dans leur
économie sous forme d’énormes plans de relance.
Recourant à une phrase souvent employée par la chancelière
allemande Angela Merkel, Trichet a déclaré, « Ce n’est pas une
course ! » quant à quel pays appliquera le plus gros plan de relance.
Trichet a souligné que le niveau de dépense publique en Europe dépassait déjà
de loin celui des Etats-Unis en laissant entendre que l’UE était
préoccupée par le fait que trop d’investissement pour combattre la crise
pourrait affaiblir la discipline fiscale et finir par raviver l’inflation.
Trichet a instamment demandé au côté américain
d’appliquer aussi vite que possible ses propres plans de relance tout en
minimisant toute divergence avec l’Europe : « Ce que je
recommanderais aux Etats-Unis, c’est de faire maintenant ce qui a été
décidé aussi efficacement et aussi rapidement que possible…
Allons-y ! Une application rapide, un déboursement rapide, c’est ce
qui est nécessaire maintenant. » Il a fait remarquer qu'il ne s'agissait
pas de s'embarquer dans des querelles inutiles et contreproductives. Dans le
même temps, cependant, Trichet a précisé que l’Europe ne suivrait pas la
même voie.
Le lendemain de l’entretien de Trichet, le premier
ministre britannique, Gordon Brown, a fait une déclaration au parlement
européen dans laquelle il a lancé un appel aux législateurs en vue
d’augmenter leurs dépenses fiscales. « Ensemble nous pouvons mettre
en place des dispositifs pour la plus grande relance fiscale », a dit
Brown.
Lors du sommet de printemps de l’UE, Brown
s’était retrouvé à la traîne des autres grandes puissances européennes en
acceptant le communiqué final à contrecœur qui excluait tout nouveau plan
de relance dans un avenir proche. A présent, toutefois, Brown essaie de
profiter des quelques derniers jours qui précèdent le sommet du G20 pour briser
la résistance européenne aux plans de relance massifs du genre
« quantitative easing » [assouplissement quantitatif] introduits par
son propre gouvernement.
Le président américain est également intervenu dans le
conflit en faisant passer mardi son propre message. Lors d’une conférence
de presse, Obama a implicitement critiqué les pays qui refusaient de promulguer
des plans de relance supplémentaires. Obama a dit, « Nous ne voulons pas
d’une situation dans laquelle certains pays consentiraient à des efforts
extraordinaires et d’autres non, en espérant simplement que les pays
prenant ces mesures importantes permettront à tous de s'en sortir. »
Les critiques de Topolanek concernant les mesures
américaines ont été faites le lendemain. Tandis que les commentateurs
politiques s'efforcent de minimiser la signification de ses remarques en
signalant que le politicien tchèque était réputé pour être enclin à la
confrontation, son attitude jouit d’un vaste soutien dans les milieux
politiques européens.
Les dirigeants européens craignent que l’injection
massive de liquidités par la Réserve fédérale et d’autres banques
centrales importantes dans le système bancaire mondial ne remette en question
le système européen de stricte limitation du taux d’endettement de
l’Etat et qui à son tour sert à étayer la stabilité de l’euro.
Dans le même temps, étant donné que les emprunts américains
absorbent une telle quantité des fonds disponibles mondialement, les
gouvernements européens anticipent qu’ils auront de plus en plus de
difficultés à satisfaire leurs propres besoins en capitaux. De plus, les
politiciens européens, notamment l’establishment politique
allemand, sont préoccupés par l’éventuelle poussée inflationniste
résultant d’une politique fondée sur l’impression de billets.
A cet égard, les pays de l’UE, l’Allemagne en
tête, ont souligné que le sommet du G20 à venir doit avant tout prendre des
mesures efficaces renforçant la régulation financière internationale. Les
questions en jeu dans le conflit grandissant entre l’Europe et les
Etats-Unis ont été énoncées dans un éditorial paru dans le journal tchèque Hospodářské
noviny.
En commentant le sommet de printemps de l’UE de la
semaine dernière, le journal écrivait le 23 mars, « L’UE a décidé de
ne pas répondre à l’appel de Barack Obama et de ne pas injecter davantage
de milliards dans l’économie. L’Allemagne et la République tchèque
qui assure la présidence de l’UE étaient dès le départ parmi les
minimalistes. Désormais les autres les ont aussi rejoints. Les Européens
n’ont pas été dupes du message du conseiller économique d’Obama,
Larry Summers, selon lequel chaque dollar investi par l’Etat dans
l’économie se transformera en un dollar et demi de croissance économique.
La retenue de l’Europe fera qu’elle évitera de tomber dans le piège
de l’endettement. Elle ne peut pas se permettre un tel luxe parce que
sinon un certain nombre de pays risqueraient la faillite. Le Vieux Monde et le
Nouveau Monde s’éloignent de plus en plus l’un de l’autre
dans leur attitude concernant les mesures indispensables à prendre pour
stimuler l’économie. Cela ne présage rien de bon pour un projet commun de
lutte contre la crise lors du sommet du G20 à Londres. »
Les commentaires récents de Mirek Topolanek ne servent
qu’à attiser les tensions entre les Etats-Unis et l’Europe avant le
sommet du G20. Il existe un autre aspect politique important aux remarques
faites par l’ancien premier ministre tchèque. Durant les décennies qui
ont suivi la restauration du capitalisme dans les pays ayant fait partie de
l’ancien bloc soviétique stalinien, les Etats-Unis avaient pu miser sur
un soutien politique considérable et sur la bonne volonté des Etats
d’Europe de l’Est.
A la fin du 20e siècle et au début du 21e siècle, les
Etats-Unis tout comme leur système de libre marché débridé étaient considérés
être un modèle pour l’Europe de l'Est et les Etats baltes. Au cours de la
guerre en Irak, par exemple, les Etats-Unis avaient pu compter sur le soutien
d’un bon nombre de pays de l’Est. L’ancien secrétaire à la Défense,
Donald Rumsfeld, avait même cherché à exercer des pressions sur les nations
d’Europe occidentale (« la vieille Europe ») en soulignant les
relations harmonieuses entre les Etats-Unis et la soi-disant « nouvelle
Europe », à savoir, les pays de l’Europe de l’Est.
La crise financière internationale a toutefois retracé la
carte politique avec toute une couche de politiciens des pays d’Europe de
l’Est se rangeant à présent ouvertement du côté des pays les plus
performants d’Europe occidentale tels l’Allemagne et la France
contre les Etats-Unis. Quant à ces derniers, ils se sentent renforcés quand il
s’agit de s’opposer à Washington.
La guerre des mots avec l’outre Atlantique, qui va
s'aggravant, reflète des divergences politiques impondérables et croissantes
entre les Etats-Unis et l’Europe et qui excluent tout accord contraignant
lors du sommet du G20 la semaine prochaine.