Son existence avait été farouchement niée
par l’industrie britannique du bâtiment, mais le gouvernement a découvert des
preuves concluantes de l'existence d'une liste noire des salariés de
l’industrie du bâtiment. Une base de données contenant les noms de plus de 3000
ouvriers du bâtiment aurait été consultée par grandes entreprises pour empêcher
que des travailleurs socialistes et combatifs travaillent sur des chantiers de
construction.
Lors d’une perquisition dans les locaux de
Consulting Association, des policiers ont trouvé une base de données
considérable, remontant à 30 ans. Consulting Association est une entreprise
opérée par une seule personne et dirigée par l’ancien agent des services
secrets, Ian Kerr.
Selon les documents saisis par la Commission
d’Information, Kerr avait récemment soumis une facture d'un montant total de 26
841 livres sterling à l’entreprise de construction Sir Robert McAlpine pour
services rendus. L’entreprise de construction chargée de la construction du
stade olympique dans le nord-est de Londres avait versé à l’organisation de
Kerr 5951 livres sterling entre avril et juin 2008. McAlpine avait commencé en
avril 2008 à recruter pour le contrat olympique.
Le commissaire à l’information du
gouvernement, Richard Thomas, n’a débuté son enquête sur la prétendue existence
d’une liste noire qu’après la parution d’un article dans le Guardian
l’année dernière. Thomas est convaincu que Kerr a passé ces quinze dernières
années à rassembler la base de données et à en conserver les fichiers sur les
travailleurs britanniques.
Il y a lieu de penser que les entreprises
payaient une contribution annuelle de 3000 livres sterling à Kerr puis un
montant fixe par nom faisant l’objet d’une enquête. Il semblerait que les
entreprises versant des contributions communiquaient à Kerr des informations
sur les travailleurs qui s’étaient opposés à la direction de façon à ce que
Kerr puisse ensuite propager l’information.
Le commissaire adjoint à l’information,
David Smith, a dit à la presse, « Lors de la perquisition des locaux
commerciaux de M. Kerr, nous avons découvert une vaste opération impliquant des
noms connus de l’industrie du bâtiment. Il s’agit là d’une grave violation de
la loi sur la protection des données. Non seulement des informations
personnelles concernant des individus et sans leur connaissance ou leur
consentement étaient détenues, mais l’existence même de la base de données
avait été niée à maintes reprises. »
La Commission d’information doit poursuivre
Kerr qu’elle accuse de vendre des informations aux entreprises de construction.
L’on suppose que plus de 40 entreprises ont payé une contribution annuelle pour
accéder à la base de données et détecter des travailleurs socialistes et
combatifs. Un porte-parole de la Commission d’information a déclaré au Financial
Times, « Nous avons l'intention de présenter des mises en demeureaux
entreprises pour leur dire de cesser de payer pour obtenir des informations
personnelles sur des gens. »
Des entreprises comprenant des grands noms
comme Balfour Beatty, Laing O’Rouke et Sir Robert McAlpine sont présumées avoir
acheté des informations personnelles. D’après ces rapports, des travailleurs
ont été privés d’emploi parce qu’ils avaient pris fait et cause pour leurs
propres droits et ceux d’autres travailleurs dans une industrie notoirement
connue pour sa corruption et la précarité de ses emplois.
Les rapports établis par Kerr se lisent
comme une liste de gens à abattre. Les travailleurs sont qualifiés dans des
termes qui laissent peu de doute à d’éventuels employeurs. Parmi les
commentaires figurant dans la base de données et concernant les travailleurs on
peut lire entre autres : « ancien délégué syndical »,
« parti communiste », « a organisé une action de grève »,
« ne pas toucher ! », « a perturbé le climat social sur ce
chantier (paresseux et fauteur de troubles) », « EEPTU(sic) [syndicat
des électriciens] dit non !! », « UCATT [syndicat de la construction]
ne présage rien de bon », « retards fréquents causera des ennuis TU
[syndicat] ».
Y figurent également les instructions
suivantes : « Ne rien divulguer de ce qui précède »,
« démarche de candidature… auprès de l’agence… pour projet… Détails donnés
à l’interlocuteur. Réponse à l’agence – “non requis” dira l’agence, “poste à
présent occupé” à la réponse ci-dessus. »
L’EETPU est à présent dissout et fait partie
du syndicat britannique des industries manufacturières-sciences-finances. Ce
syndicat était notoirement droitier et anticommuniste. Sa mention suggère pour
le moins que ses opinions sur un travailleur allaient de pair avec celles de
Kerr.
C'est finalement le gouvernement
travailliste qui est responsable de l’existence de la liste noire. En 1999, le
gouvernement avait fait un virage à 180 degrés quant à l’interdiction d’une
telle liste noire des employeurs en affirmant que le manque de preuve
concernant l’existence d’une liste noire signifiait « qu’il n’y avait pas
de preuves tangibles sur la tenue d’une liste noire. »
A la question de la presse quant à sa
réaction, Kerr a répondu, « Il n’y avait rien de sinistre à cela. C’était
de bonne foi. » L’ancien agent des services secrets a été moins avenant
lorsque le Guardian lui a posé une question sur un article qu’il avait
publié il y a une quinzaine d’années et dans lequel il assumait que Kerr
travaillait à l’époque pour l’Economic League, une organisation antisocialiste.
L’Economic League avait été établie par un
riche homme d’affaires qui voulait réprimer la lutte de classe. Cette agence
d’espionnage patronale avait constitué des dossiers sur des dizaines de
milliers de travailleurs durant les années 1919 à 1993. Elle dut s’incliner
lorsqu’il s’avéra qu’elle détenait des informations incorrectes sur des
travailleurs mais pas sur la question plus fondamentale d’avoir placés ces
derniers sur une liste noire.
Kerr dirigeait son affaire à partir d’un
bureau insignifiant situé au premier étage d’un immeuble à Droitwich. Lorsque
le Guardian s'est renseigné sur Kerr dans le magasin d’à côté, le
vendeur lui a dit, « Ah oui, Ian. Cela fait un moment qu'il est là. On n'a
jamais vraiment su ce qu'il fait, il travaille peut-être pour MI5 ou quelque
chose comme ça. »
Après le raid effectué par la Commission
d’information dans les locaux de Kerr, la plupart des 40 entreprises qui
avaient recouru aux services de Kerr ont publié des déclarations dans
lesquelles elles disaient n'avoir aucun commentaire à faire. Une ou deux ont
précisé avoir stoppé dernièrement leur souscription à Kerr ou avoir racheté des
entreprises plus petites disposant de souscription.
L’année dernière, Alan Wainwright, un ancien
directeur d’Haden Young, une filiale de Balfour Beatty, avait présenté une
version partielle de la liste à un tribunal industriel. Wainwright a dit,
« M. Kerr dirigeait une petite entreprise qui avait compilé ces listes
émanant d’entreprises de construction et qu’il vérifiait sur demande. M. Kerr a
expliqué que Carillion [Carillion BTP, groupe britannique de bâtiment et de travaux
publics] était l’une des entreprises membres et je me souviens tout
particulièrement qu’il avait mentionné que Bovis [Bovis Homes Group, plc] en
était une autre. M. Kerr m’avait informé que la compagnie fonctionnait et
qu’elle était financée de la manière suivante. Chaque entreprise membre lui
fournissait une liste d’éventuels employeurs ou de travailleurs de la
sous-traitance qu’ils envisageaient recruter. M. Kerr vérifiait alors les noms
d’après les listes qu’il avait reçues d’autres entreprises membres. M. Kerr
rendait compte de vive voix de tout travailleur à ne pas employer ou pour
lequel l’agence ne devait proposer d’emploi. »