Deux cents travailleurs de l'usine FCI
Microconnections à Mantes-la-jolie, dans la banlieue ouest de Paris, sont en
grève pour la défense de leurs emplois et occupent leur lieu de travail depuis
45 jours. Ils représentent la moitié de la main-d'oeuvre totale de 400
travailleurs de l'usine.
La menace qui pèse sur les emplois dans
l'usine fait partie d'un exercice international de diminution des coûts,
impliquant en France la fermeture en novembre de l'usine FCI de la
Ferté-Bernard, avec la suppression de plus de 280 emplois et 90 licenciements
sur le site de Besançon.
FCI est une entreprise mondiale, concepteur,
fabricant et fournisseur de systèmes électriques et électroniques, employant 12
500 personnes sur 30 sites de par le monde. Elle possède cinq usines en France
qui emploient 2 000 travailleurs. FCI a été racheté au groupe énergétique
français Areva en 2005 par Bain Capital, un fonds d'investissement privé basé
aux Etats-Unis,
Bain Capital a été crée par Mitt Romney,
candidat à la nomination républicaine lors de l'élection présidentielle
américaine de 2008. Bain Capital dirige plusieurs fonds de finance, dont du
capital non coté (private equity), des avoirs à fort rendement, de la
finance mezzanine, du capital-risque et du capital coté, gérant plus de
20 milliards d'euros d'actifs. Depuis sa création, en 1984, Bain Capital a fait
des investissements non cotés et des acquisitions d'extension dans plus de 230
entreprises dans diverses industries du monde entier. Il achète des
participations majoritaires dans des entreprises en difficulté, les retape pour
ensuite les vendre en engrangeant des profits.
De telles méthodes ont des conséquences
catastrophiques pour les travailleurs. Le rachat de l'entreprise automobile
américaine Chrysler par la société de capitaux privés Cerberus Capital
Management s'est soldé par des fermetures d'usines, accompagnées de baisse des
salaires et des prestations sociales pour les travailleurs et les retraités.
Les travailleurs ont lancé la grève à
Mantes-la-Jolie le 24 février. Ils soupçonnaient l'entreprise de vouloir
délocaliser la production des cartes à puces à Singapour où elle a ouvert une
usine de production similaire en 2002.
L'entreprise n'a toujours pas annoncé son
plan de restructuration pour l'usine de Mantes-la-Jolie. Dans une déclaration
du 26 mars, la direction a dit, « Il n'y a pas de projet de
délocalisation. » Elle a promis qu'il n'y aurait pas de suppressions
d'emplois en 2009 et 2010.
Toutefois les travailleurs restent très
sceptiques. La production dans l'usine diminue progressivement depuis 2007.
Dans ses prévisions pour le premier trimestre de cette année, l'entreprise a
évalué un sureffectif de 34 à 42 employés suivant le mois concerné. Le 16
février l'entreprise a annoncé d'autres mesures restrictives : le gel des
embauches, la fin des contrats des intérimaires et le report des augmentations
de salaire.
Selon la CGT (Confédération générale du
travail, proche du Parti communiste) principal syndicat à l'usine de
Mantes-la-Jolie, la production augmente à Singapour depuis la moitié de 2008.
« Ce sont aujourd'hui les deux tiers des commandes qui sont réalisées à
Singapour pour un tiers en France, ce qui pèse sur les résultats de l'usine
française et devrait à terme amener un plan social, » a dit le
porte-parole.
Le 30 mars, lorsque leurs représentants
syndicaux étaient en train de négocier avec les patrons au siège social de FCI,
quelque 100 grévistes de Mantes-la-Jolie ont retenu trois cadres de
l'entreprise pendant quatre heures pour essayer de les contraindre à révéler
les projets de l'entreprise. Ils ont réitéré leurs déclarations antérieures
selon lesquelles les emplois à l'usine étaient garantis en 2009 et 2010 et ils
ont refusé de fournir de garantie au-delà de ces dates.
Un travailleur a dit aux cadres, « La
vie, ça se résume pas à 2009-2010. On a des vies à vivre. »
Un reportage de Médiapart affiché le
6 avril a révélé un document interne de la direction, confirmant les pires
inquiétudes des travailleurs : l'entreprise prévoit en effet d'imposer un
plan de licenciement forcé pour novembre et se prépare activement à surmonter
la grève attendue que cela provoquerait. L'entreprise veut s'assurer que d'ici
là, l'usine de Singapour sera en mesure d'approvisionner les clients. Le
document révèle aussi que la direction projette d'écarter le représentant de la
CGT Eric Scheltienne, suivant l'instruction, « Pression sur les syndicats
- Sortez Eric. »
La situation explosive créée par ces
révélations a conduit le préfet à convoquer la direction et les représentants
syndicaux pour faire la médiation entre les deux parties.
Les syndicats, conduits par la CGT, se
contentent de demander la possibilité de négocier les indemnités de licenciement
et de réclamer que la production soit maintenue à l'usine de Mantes-la-Jolie
plutôt que son transfert à Singapour.
Le 23 mars, après un mois de grève, le
représentant syndical de l'usine de Mantes-la-Jolie Eric Scheltienne a dit au
journal Le Monde, « Nous voulons négocier, dès aujourd'hui, des
indemnités élevées, à verser en cas de futur plan social, précise M.
Scheltienne. Car demain, quand Singapour aura la maîtrise de tout le processus,
nous ne serons plus en position de force pour le faire. »
Les syndicats laissent chaque site trouver
un accord tout seul avec l'entreprise. Un travailleur de Mantes-la-Jolie a dit
au World Socialist Web Site que le syndicat n'a jusqu'ici pas cherché à
étendre la grève à d'autres sites français confrontés à des mesures de
réduction des coûts parce que « le site est indépendant et on ne fait pas
le même travail. »
La CGT ne mentionne aucune tentative de
contact avec les travailleurs de FCI à Singapour afin d'organiser une lutte
conjointe mais au contraire marchande avec l'entreprise pour savoir laquelle
des deux usines va conserver le travail, montant ainsi les travailleurs des
différentes usines et pays les uns contre les autres. Cela correspond au
patriotisme économique prôné par le président Nicolas Sarkozy avec le soutien
total de la CGT et des autres syndicats, comme cela s'est vu de façon flagrante
avec le plan de relance du gouvernement pour l'industrie automobile française.
Le travailleur a poursuivi, « Notre
revendication principale est d’augmenter la production dans ce site pour
préserver nos emplois qui sont menacés et risquent de partir dans un autre site
à Singapour. Nous demandons à notre patron de nous donner l'assurance que nos
emplois ici seront préservés. Pour l’instant, on n’a eu aucune réponse de leur
part. »
Et il a ajouté, « Même si le site
tourne bien, rien ne nous dit qu’il n’y aura pas un plan social. En cas de plan
social ou bien avant même un plan social, on demande un montant minimum avec
lequel chacun peut partir. »
Au moment du rachat par Bain Capital,
l'entreprise avait garanti le maintien de ses cinq sites français et des
emplois pendant trois ans. Les travailleurs du site de Mantes-la-Jolie ont dit
au WSWS que cette garantie avait été acceptée par les syndicats qui
avaient demandé aux travailleurs de l'accepter aussi. Depuis la fin de la
période de trois ans, fin novembre dernier, l'inquiétude monte parmi les travailleurs,
car l'entreprise commence à licencier en France.
Un reportage dans le journal local Le
Courrier de Mantes, du 28 septembre 2005, date où la vente de FCI à Bain
Capital par Areva, son précédent propriétaire, était presque scellée, montre
clairement que les syndicats étaient tout à fait conscients des perspectives à
venir pour les travailleurs de FCI. L'article cite un délégué syndical :
« Dans le contrat passé entre Areva et Bain Capital, il existe des clauses
pour maintenir l'équipe dirigeante du groupe FCI, continuer les politiques et
les pratiques sociales en vigueur et garder les sites français ouverts pendant
un minimum de trois ans. Cela s'apparente plus à acheter la paix sociale, car
un conflit aurait pu porter atteinte au groupe Areva et à la transaction. Nous
n'avons aucune garantie concernant l'emploi, car le maintien de l'activité ne
veut pas dire qu'il n'y aura pas de plan social ou de restructuration. »
Libération du 24
mai 2008, avait interviewé des représentants syndicaux de l'usine FCI à la
Ferté-Bernard. Ils étaient tout à fait conscients des projets de Bain Capital
pour FCI et de la connivence du gouvernement français. Nasser Hamrani,
représentant syndical de Force ouvrière, a affirmé qu'une fois que l'entreprise
avait été vendue à Bain Capital, « Aucun investissement n'a été réalisé,
aucune embauche n'a été faite. Ils ont tout fait pour qu'on ne soit plus
rentable, avant de commencer à délocaliser des machines en Asie. »
Michel Divaret, du syndicat des cadres, la
CGC, a dit, « Areva voulait se débarrasser de FCI. Mais comme l'entreprise
est détenue par l'Etat, il fallait faire bonne figure et garder les mains
propres. Ils ont donc refilé la patate chaude à un fonds d'investissements, un
"nettoyeur", avec la garantie de ne pas vendre avant trois
ans. »
Ce n'est que si les travailleurs refusent
d'accepter la négociation par les syndicats de toute suppression d'emploi et
qu'ils luttent pour défendre l'emploi de chaque travailleur par delà les
régions et les frontières nationales, que l'on peut unifier la classe ouvrière.
Dans chaque usine et lieu de travail, les travailleurs doivent développer des
organisations de lutte de classes qui soient indépendantes des syndicats et
s'allier à d'autres sections de la classe ouvrière sur la base de
l'internationalisme socialiste, de la réorganisation de l'économie sous le
contrôle démocratique des travailleurs et du rejet de toutes tentatives visant
à les diviser et à leur faire payer la crise.