Dix semaines après le massacre de Kunduz, le
gouvernement allemand continue systématiquement à dissimuler la vérité. Les
détails de l’attaque la plus mortelle commise par des soldats allemands depuis
la fin de la Deuxième Guerre
mondiale ne parviennent au public que par bribes et révèlent sans cesse de
nouvelles contradictions.
Le 4 septembre, des avions de combat
américains ont bombardé deux camions-citernes transportant du carburant et qui avaient été détournés près de Kunduz
dans le nord de l’Afghanistan, en tuant selon les chiffres de l’OTAN jusqu’à
142 personnes. D’autres sources parlent même d’un nombre encore plus élevé de
victimes. L'ordre de la frappe est venu du colonel allemand Georg Klein, le
commandant militaire à Kunduz.
Entre-temps, l’on sait que Klein a insisté
pour que les deux camions-citernes remplis de carburant soit attaqués sans
avertissement préalable en transformant les parages en un terrible brasier
alors que de beaucoup de gens étaient présents sur les lieux. Les deux pilotes
de chasse avaient à plusieurs reprises proposé de survoler la zone à basse
altitude afin d’avertir les personnes présentes avant l’attaque.
Dès le départ, le gouvernement allemand a
cherché à dissimuler l’ampleur et les circonstances du massacre. Bien que des
informations fiables sur le nombre des victimes civiles existaient déjà un jour
après l’attaque, l’ancien ministre de la Défense, Franz Josef Jung (CDU, Union
chrétienne-démocrate) a obstinément nié que des civils avaient été tués.
En raison de sa politique de désinformation, Jung a dû par la suite
démissionner. Mais son successeur, Karl-Theodor zu Guttenberg (CSU, Union
chrétienne-sociale), défendait encore l’attaque deux mois plus tard comme ayant
été « militairement appropriée », et ce en dépit du fait qu’à ce moment-là il ne pouvait plus y avoir de doute
quant au nombre élevé de civils tués. Guttenberg avait également eu accès au
rapport confidentiel du Comité international de la Croix-Rouge (ICRC) disant que la frappe n’était pas « conforme aux lois
internationales ».
Fin novembre, Guttenberg a finalement limogé
le chef d’état-major, le général Wolfgang Schneiderhan et le secrétaire d’Etat
à la Défense, Peter Wichert, parce qu’ils l’auraient paraît-il privé d’une
importante information. Le 3 décembre, il a corrigé son évaluation de l’attaque
au Bundestag (parlement). La frappe aérienne « n’avait pas été
militairement appropriée », a
dit Guttenberg en se référant aux rapports dont il n’avait jusque-là pas été en
possession. Mais il continue de défendre le colonel Klein qui, comme il l’a
souligné à plusieurs reprises, avait agi « sans aucun doute agi en toute bonne foi ».
Ce qui demeure complètement obscur dans ce
fatras de mensonges et de demi-vérités est ce qui a incité Klein à ordonner
cette attaque. La justification officielle, à savoir que le colonel avait
craint une attaque suicide contre le camp allemand à Kunduz était tout à fait
invraisemblable. Les deux camions-citernes avaient été détournés près du camp militaire, mais s’en étaient ensuite éloignés de plusieurs kilomètres avant de
s’enliser dans le sable de la rivière Kunduz où ils étaient restés immobilisés
pendant plusieurs heures tout en faisant l’objet d’une observation aérienne. Et
donc, aucune menace imminente n’existait.
Cette semaine, le journal allemand Bild
a publié de nouvelles informations et qui éclairent d’un jour nouveau les
possibles motifs de l’attaque. Selon ce rapport, Klein s’était concerté avant
d’agir avec au moins cinq officiers et sous-officiers appartenant à une unité
secrète dont le nom de code est « Task Force 47 » (TF47). Près de la
moitié de cette unité est composée de membres des troupes d’élite de la
Bundeswehr KSK (« unité des forces spéciales »).
Selon le Bild, le TF47 opère son
propre poste de commandement à Kunduz et qui est bien mieux équipé pour
communiquer avec les avions américains que les postes des troupes
conventionnelles. C’est à partir de là que Klein, qui commande aussi le TF47, a
conduit l’attaque.
Le TF47, selon le Bild, a pour tâche
de « chasser et de détruire les talibans et les dirigeants terroristes ». La nuit de l’attaque, un officier du TF47 avait été en contact
téléphonique sept fois environ avec un informateur afghan, « qui avait
identifié quatre dirigeants talibans
près des camions-citernes ».
Si ces informations sont correctes, alors de
nombreuses questions restées sans réponse jusque-là ont un sens. Le but du
bombardement de Kunduz n’était alors pas d’écarter un danger immédiat pour le
camp allemand, mais le massacre ciblé de présumés dirigeants talibans. Ce qui expliquerait pourquoi Klein a
insisté sur une frappe sans avertissement préalable et pourquoi le gouvernement
allemand a tenté avec un tel acharnement à dissimuler les véritables
circonstances du massacre.
En aucun cas, il ne veut rendre public le
fait qu’en Afghanistan les KSK allemands, tout comme leurs homologues
américains et britanniques, dépistent délibérément des suspects pour les tuer.
Ces unités d’élite travaillent en étroite collaboration avec les services du renseignement et ce faisant une dénonciation ou
une accusation souvent sans fondement suffit à prononcer une condamnation à
mort qui est alors exécutée. Ceci est incompatible avec la loi allemande ou
internationale et ne serait également pas accepté par l’opinion publique
allemande.
C’est pourquoi le gouvernement entoure les
activités des KSK du plus grand secret. Selon le Bild, le procès-verbal
rédigé par les KSK sur leurs actions cette nuit-là est tellement secret que
même les enquêteurs officiels de l’OTAN n'ont pu le consulter, du fait
« des termes de la réglementation allemande relative aux secrets
d’Etat ».
Le gouvernement a longtemps trompé le public
en affirmant qu’il n’y avait pas de troupes KSK déployées en Afghanistan. Le 13
novembre 2008, le Bundestag avait officiellement mis fin au mandat des KSK dans
le cadre de l’opération « Enduring Freedom » (OEF), qui avait été
largement considérée comme un retrait de ces forces d’élite d’Afghanistan. En
fait, sous le couvert du mandat de l’ISAF, elles sont restées très actives dans
la guerre.
Seuls les initiés étaient au courant. A la
question posée par le journal télévisé allemand Tagesschau de savoir
s’il ne s’agissait pas d’une « duperie », le chargé des questions de
défense au sein du groupe parlementaire du SPD, Rainer Arnold, a reconnu,
« Conformément au mandat de l’ISAF, et en respectant les règles, on peut
avoir recours à toutes les capacités de la Bundeswehr [forces armées]. Ceci
vaut également pour les soldats des KSK. »
Outre Arnold, tous les autres présidents de
la Commission de la Défense, soit un représentant de la CDU/CSU, un du Parti
libéral démocrate (FDP), un des Verts et Paul Schäfer de La Gauche, étaient au
courant de l’intervention des KSK. Elke Hoff, la présidente du FDP, l’avait
confirmé à l’hebdomadaire allemand Die Zeit. « Les présidents de la
Commission de la Défense avaient été informés par le ministère de la Défense de
la participation des commandos de forces spéciales dans l’attaque, »
a-t-elle dit.
Et c’est précisément cette commission qui
est supposée enquêter et clarifier le contexte du massacre de Kunduz ! Il
ne s’agira de rien d’autre que d’une continuation de l’actuelle campagne de
dissimulation.
Premièrement, contrairement à une enquête
parlementaire normale, la Commission de la Défense est soumise au secret le
plus strict. Même si ses membres devaient découvrir quelque chose, ils ne
peuvent en informer le public. Ils n’ont pas le droit de prendre des notes ni
de rédiger un protocole de leurs réunions secrètes.
Deuxièmement, quatre des cinq partis
représentés à la Commission de la Défense sont lourdement compromis par la
guerre en Afghanistan. Ils mènent pour ainsi dire une enquête sur eux-mêmes. Le
SPD et les Verts ont expédié l’armée dans l’Hindu Kuch en 2001 ; la
CDU/CSU et le FDP veulent qu’elle y reste. Et donc, aucun d’entre eux n’a un
intérêt quelconque à ce que des choses soient divulguées qui pourraient
renforcer l’opposition largement répandue contre la guerre en Afghanistan.
Contrairement aux autres quatre partis, le
parti La Gauche se prononce certes en faveur d’un retrait de l’armée de
l’Afghanistan. Toutefois, il a avant tout maintenu sa position dans le but de
disposer d’un outil de marchandage lors de futures négociations de coalition.
Il a à maintes reprises clairement montré qu’il n’exigeait pas un retrait
immédiat. En acceptant les dispositions relatives au maintien du secret de la
Commission de la Défense, La Gauche se fait complice d’un véritable complot
contre la population.
Paul Schäfer, qui a passé 18 ans de sa vie
dans le Parti stalinien DKP (le parti communiste allemand), était le président
de La Gauche à la Commission de la Défense lors du précédent mandat
parlementaire et était parfaitement informé des détails secrets. A ses côtés,
siègent trois autres députés de La Gauche à la Commission de la Défense :
Christine Buchholz, membre influent de Linksruck (qui est affilié au Socialist
Workers Party britannique) jusqu’à sa dissolution dans La Gauche ; Inge
Höger du syndicat Verdi ; et Harald Koch qui durant 14 ans fut un membre
du parti dirigeant stalinien en Allemagne de l’Est. Eux aussi feront tout leur
possible pour que rien ne transpire à l’opinion publique.