Un article, paru dans l’édition de dimanche du New York Times,
décrit l’explosion du recours aux coupons alimentaires et trace un portrait
bien différent des Etats-Unis à la fin de l’année 2009 que celui que
présentent les promesses complaisantes de « reprise » économique de Wall
Street et de l’administration Obama.
Le Times a mené une enquête statistique sur l’utilisation de
coupons alimentaires par comté dans le but d’établir un portrait social plus
détaillé des 36 millions de personnes qui bénéficient actuellement des
coupons alimentaires. « On retrouve parmi ces gens des mères monoparentales
et des couples mariés, des nouveaux chômeurs et des pauvres, des
bénéficiaires de longue date de l’aide sociale et des ouvriers dont le
garde-manger a été vidé par une réduction du nombre d’heures de travail ou
du salaire », souligne l’article.
Parmi les statistiques les plus significatives :
Dans 239 comtés, plus d’un quart de la population reçoit des coupons
alimentaires.
Dans plus de 750 comtés, au moins un Afro-américain sur trois reçoit
des coupons alimentaires.
Dans plus de 800 comtés, plus du tiers de tous les enfants dépendent
des coupons alimentaires.
Dans 62 comtés, le nombre de gens ayant recours aux coupons
alimentaires a doublé au cours des deux dernières années.
Dans 205 comtés, le nombre de personnes dépendant des coupons
alimentaires a augmenté de deux tiers.
La dispersion géographique du besoin grandissant de nourriture est
stupéfiante. Des régions traditionnellement pauvres, comme les Appalaches
rurales ou les ghettos des quartiers urbains déshérités, jusqu’aux
banlieues, ce manque s’est répandu dans les Etats du sud et de l’ouest dans
les deux dernières décennies. La carte affichant les comtés où le recours
aux coupons alimentaires croît le plus rapidement comprend les riches
banlieues d’Atlanta, la majeure partie de la Floride, la majorité du
Wisconsin, de l’ouest et du nord de l’Ohio, ainsi que la plus grande partie
de l’ouest montagneux, dont de larges bandes du Nevada, de l’Utah, de
l’Arizona, du Wyoming, du Colorado et de l’Idaho.
Bien que le chômage soit la principale raison de l’augmentation de
l’utilisation des coupons alimentaires, la cause économique immédiate varie
énormément, que ce soit l’effondrement de la bulle immobilière dans les
Etats du sud-ouest et en Floride, l’effondrement de l’industrie automobile
dans la région des Grands Lacs ou la vague de licenciements dans la fonction
publique américaine alors que s’aggrave la récession.
Le Times a noté l’impact sur les banlieues riches, longtemps
dominées par le Parti républicain, où l’utilisation des coupons alimentaires
a plus que doublé depuis le début officiel de la récession en décembre 2007,
comme Orange County en Californie et Forsyth County en Géorgie.
L’utilisation des coupons alimentaires a crû plus lentement, en termes de
pourcentage, dans des villes comme Détroit, Saint-Louis et la
Nouvelle-Orléans, mais seulement parce qu’une bonne partie de leur
population vivait déjà dans la pauvreté et recevait de l’aide alimentaire
lorsque la récession a commencé.
Tous ces chiffres sous-estiment considérablement le niveau de destitution
sociale. Environ 18 millions de personnes éligibles aux coupons alimentaires
ne les reçoivent pas, en partie en raison de barrières institutionnelles
comme des services de proximité inadéquats, particulièrement pour les
communautés immigrantes — l’Etat de la Californie rejoint environ la moitié
de ceux qui sont éligibles — et en partie en raison de la stigmatisation
sociale reliée au fait de recevoir de l’aide de l’Etat, spécialement dans
des zones banlieusardes où la pauvreté a été un évènement soudain et récent.
Selon une étude réalisée par Thomas A. Hirschl de l’université Cornell et
Mark R. Rank de l’université Washington à Saint-Louis, la moitié des enfants
aux Etats-Unis vont dépendre des coupons alimentaires à un certain moment
durant leur enfance. Le chiffre grimpe à 90 pour cent pour les enfants
noirs. L’étude a été publiée ce mois-ci dans Archives of Pediatrics and
Adolescent Medicine.
Vu qu’elle est basée sur une analyse de 29 années de données, cette
dernière étude donne un portrait des niveaux de besoins sociaux pendant une
période où le taux de chômage gravitait bien en dessous de la marque de 10,2
pour cent atteinte le mois dernier. Une période prolongée de chômage à plus
de 10 pour cent — maintenant largement anticipée par la grande entreprise et
les économistes du gouvernement — rendra de plus en plus d’enfants dépendant
de l’aide fédérale pour satisfaire leurs besoins nutritionnels élémentaires.
Les résultats de ces deux études viennent confirmer les conclusions de
l’enquête du département américain de l’Agriculture rendue publique le 16
novembre et qui a déterminé que 49 millions d’Américains, incluant 17
millions d’enfants, manquaient parfois de nourriture en 2008. La vaste
majorité des 17 millions de familles qui luttent pour se nourrir
suffisamment avaient au moins une personne en emploi dans le ménage, mais
avec un salaire trop faible pour assurer les besoins de base. Le niveau
d’insécurité alimentaire était à son plus haut depuis que le département a
commencé à cumuler les données en 1995.
Ces données montrent que la réalité sociale que connaissent les
travailleurs américains est la plus sombre depuis la Grande Dépression.
Quelque 30 millions de personnes sont sans emploi ou n’ont qu’un emploi
partiel. Près de 50 millions n’ont pas d’assurance-maladie. Près de 50
millions ont de la difficulté à nourrir leur famille ou se nourrir
eux-mêmes. Quelque 40 millions vivent sous le seuil de pauvreté officiel et
ce nombre atteindrait 80 millions si un budget familial réaliste servait
d’étalon de mesure.
Ce sont les jeunes qui connaissent les plus grandes difficultés. Selon un
rapport du Pew Research Center de la semaine dernière, 10 pour cent des
adultes de moins de 35 ans sont retournés habiter chez leurs parents à cause
de la récession. Plus de la moitié des hommes entre 18 et 24 ans vivent
toujours chez leurs parents. La proportion est de 48 pour cent pour les
jeunes femmes.
Ces chiffres sont une condamnation du capitalisme américain et de son
sabotage criminel des forces productives de la société. Comment est-il
possible qu’il soit si difficile pour des dizaines de millions de personnes
de se nourrir ou nourrir leur famille dans un pays où l’agriculture est
tellement productive qu’elle peut littéralement nourrir la Terre entière ?
S’il en est ainsi, c’est parce que la production et la distribution sont
organisés pour maximiser le profit individuel et que nourrir les enfants qui
ont faim rapporte beaucoup moins aux élites dirigeantes que la spéculation
sur les marchés financiers.
Ces chiffres sont aussi une condamnation des représentants de la grande
entreprise de l’administration Obama, du Parti démocrate et du Parti
républicain. Il semble que la faim, tout comme le chômage d’ailleurs, ne
soit considérée par Obama que comme un « indicateur retardataire », un
phénomène que l’Américain ordinaire doit supporter et subir, mais pas une
crise, même pas un motif pour lever le petit doigt.
Après avoir détourné des milliers de milliards de dollars vers le système
financier, dans le but de permettre le retour à la profitabilité et aux
bonus dans les dizaines de millions pour Wall Street et après avoir décidé
d’intensifier la guerre en Afghanistan au coût non divulgué de dizaines de
milliards, Obama déclare aujourd’hui que sa principale priorité au pays est
la réduction du déficit. Après que Wall Street et la guerre aient obtenu
tout l’argent dont ils avaient besoin, il ne reste que peu, et même rien,
pour satisfaire aux besoins des enfants qui ont faim, ou de leurs parents.
(Article original anglais paru le 30 novembre 2009)