La campagne menée par le Parti de l’égalité
socialiste (Socialist Equality Party, SEP) à l’occasion des élections
régionales du 14 février au Sri Lanka a une signification politique
considérable, non seulement pour la classe ouvrière de cette île, mais de par
l’Asie du Sud et internationalement.
La campagne du SEP qui est fondée sur la lutte
pour l’internationalisme socialiste, a été conduite en pleine guerre
communautariste impitoyable menée par le gouvernement dans le nord de Sri Lanka
et d’une campagne ignoble pour attiser le chauvinisme anti-tamoul. Le programme
du parti est dirigé contre la vague montante du nationalisme et du
protectionnisme économique qui émerge de par le monde en réaction à la profonde
crise du capitalisme mondial.
Le SEP était le seul parti à exiger le retrait
immédiat et inconditionnel de l’ensemble des forces militaires sri lankaises du
Nord et de l’Est de l’île et la lutte pour l’unité de tous les travailleurs,
cinghalais, tamouls et musulmans, contre les attaques continues du gouvernement
à l’encontre des droits démocratiques et du niveau de vie.
La campagne du SEP n’était pas fondée sur des
manœuvres électorales ou de petites recettes gadgets mais était tournée vers la
classe ouvrière. Ses candidats ont patiemment expliqué aux électeurs, dans les
villages de pêcheurs de Puttalam et les cités de Nuwara Eliya où la population
est formée de travailleurs des plantations de thé, que la classe ouvrière
devait compter sur sa propre force. Ce n’est qu’en s’unissant et en se mobilisant
indépendamment de tous les partis de la bourgeoisie que les travailleurs
pourront gagner à leur cause les masses rurales et ouvrir la voie à un
gouvernement ouvrier et paysan basé sur une politique socialiste.
La campagne du SEP a été menée dans un climat
politique dominé par le poison communautariste et la répression. Quiconque oppose
ou critique la guerre du gouvernement, même de manière limitée, est qualifié de
partisan du terrorisme et de traitre à la nation. Des milliers de personnes ont
été arbitrairement détenues en application de pouvoirs d’exception draconiens
et des centaines d’autres ont été assassinées ou ont « disparu » aux
mains des escadrons de la mort pro-gouvernementaux.
Au milieu de tensions grandissantes de par la
région, la lutte déterminée du SEP en faveur de l’internationalisme est d’une
importance toute particulière pour les travailleurs, les jeunes et les
intellectuels de l’ensemble du sous-continent indien. La guerre prolongée au
Sri Lanka n’est qu’un exemple de la violence communautariste et ethnique qui
ronge la région depuis des décennies. L’Inde et le Pakistan qui possèdent des
armes nucléaires se sont déjà affrontés dans trois guerres et des frictions se
font dangereusement jour à nouveau à la suite des attaques terroristes à
Mumbai. L’ensemble de la région est un chaudron bouillonnant de divisions
religieuses, ethniques, de castes, de langues et embourbé dans la pauvreté et
l’arriération économique. Cette situation est la preuve vivante du principe de
base de la théorie de la révolution permanente de Léon Trotsky, que la
bourgeoisie dans les pays connaissant un développement capitaliste retardé, est
organiquement incapable de satisfaire les aspirations démocratiques et sociales
de la population.
On peut faire remonter tous les conflits
apparemment insolubles qui affligent l’Asie du Sud aux colonies de 1947-48 que
les Britanniques ont imposées dans la région avec le soutien des élites
bourgeoises locales comme moyen d’étouffer la vague révolutionnaire de luttes
anticoloniales d’après-guerre. Après avoir découpé le sous-continent en un
Pakistan musulman et une Inde à prédominance hindoue, le Colonial Office
britannique, de mèche avec les représentants vénaux de la bourgeoisie
ceylanaise, a gardé l’île de Sri Lanka comme une base opérationnelle pour
défendre les intérêts impérialistes britanniques dans la région. Ces colonies
qui divisaient artificiellement les peuples punjabi, bengali et tamoul
ont immédiatement été la cause de souffrance immense. Des millions de personnes
ont perdu la vie dans une violence communautariste provoquée par la partition
Inde-Pakistan. Au Sri Lanka, la première mesure prise par le gouvernement
nouvellement indépendant fut d’attiser le chauvinisme anti-tamoul en privant de
leurs droits de citoyenneté un million de travailleurs des plantations parlant
tamoul, soit un dixième de la population.
Au cours des décennies ultérieures, les
blessures politiques de 1947-48 n’ont fait que suppurer et s’infecter en
donnant naissance à d’innombrables luttes « nationales. » Elles ont
toutes suivi un schéma identique à celui utilisé par les Tigres de libération
de l’Eelam tamoul (LTTE), qui a détourné la juste colère des Tamouls de l’île
au sujet des décennies de discrimination et de pogromes en une lutte pour un
petit Etat séparé. Dans le cadre de la Guerre froide, le LTTE avait tout
d’abord adopté une coloration socialiste et anti-impérialiste, lorgnant vers
l’Union soviétique ou la Chine en quête de soutien. Puis, suite à
l’effondrement de l’Union soviétique, le LTTE a ouvertement fait appel aux
puissances impérialistes en promettant de transformer un Eelam indépendant en
un paradis de main-d’œuvre bon marché pour investisseurs étrangers. L’écroulement
de son armée ces derniers mois vient en premier lieu de la banqueroute
politique de sa perspective nationaliste qui, en dernière analyse, a toujours
été tributaire du ralliement à sa cause d’un ou de plusieurs sponsors parmi les
grandes puissances.
Dans ce contexte, la longue lutte du SEP pour
un internationalisme socialiste de par l’Asie du Sud revêt une importance
immédiate. Son programme pour une République socialiste du Sri Lanka et de
l’Eelam participant des Etats-Unis socialistes de l’Asie du Sud n’est pas un
rêve utopique, mais une affaire de nécessité pratique. Comment faire autrement
pour rassembler la force potentielle énorme de la classe ouvrière dans une
lutte contre l’exploitation de groupes transnationaux géants et les intrigues
prédatrices de l’impérialisme ? De par la région entière, tous les partis
qui sont basés sur une perspective nationaliste, y compris les diverses
formations staliniennes et maoïstes, se sont ouvertement rapprochés des
investisseurs étrangers et du marché capitaliste en tant que remède miracle et
ont, d’une manière ou d’une autre, soutenu les occupations néocoloniales de
l’impérialisme américain en Afghanistan et en Irak.
La capacité du SEP à se positionner contre le
raz de marée du nationalisme et de la politique réactionnaire qui a déferlé en
Asie du Sud est issue de sa longue et difficile lutte pour les principes du
marxisme tels qu’ils sont incarnés par le Comité international de la Quatrième
Internationale (CIQI) contre toutes les formes d’opportunisme politique. Dès sa
création en 1968 en tant que Ligue communiste révolutionnaire (Revolutionary
Communist League, RCL), les jeunes cadres du parti ont dû faire face à
l’immense confusion politique générée par l’abandon des principes du trotskysme
du Lanka Sama Samaja Party (LSSP) et son entrée dans le gouvernement de Madame
Sirimavo Bandaranaike en 1964. Seuls le CIQI et le RCL ont relié cette trahison
à sa source, l’opportunisme virulent de la tendance dirigée par Michel Pablo et
Ernest Mandel, qui a émergé après la Deuxième Guerre mondiale et qui a cherché
à liquider la Quatrième Internationale. Le Secrétariat unifié pabliste avait
approuvé les années de politique rétrograde du LSSP, qui conduisirent à la
trahison de 1964.
Le RCL s’opposa à la vague de radicalisme
petit-bourgeois qui avait surgi à la fin des années 1960 et 1970. Il expliqua
quels étaient les dangers potentiels représentés par l’engouement contemporain
pour la « lutte armée » promue à la fois par les populistes
cinghalais du Janatha Vimukthi Peramuna (JVP) et les séparatistes tamouls du
LTTE ainsi que d’autres formations tamoules armées. Le secrétaire général
fondateur du RCL, Keerthi Balasuriya, avait écrit un essai extensif mettant en
garde que le populisme radical du JVP contenait les graines de l’extrémisme
fasciste cinghalais et qui devait se manifester en 1989 lors du déchaînement
meurtrier de ses tireurs contre des travailleurs, des syndicalistes et des
socialistes. A l’encontre de tous ceux, au Sri Lanka et ailleurs en Asie, qui
avaient exploité la trahison du LSSP pour proclamer la faillite du trotskysme,
le RCL prouva que la dégénérescence du LSSP n’était pas le produit de prétendus
vices du marxisme, mais bien de son abandon.
En défendant les principes marxistes, le
RCL/SEP a récolté une profonde animosité de tout le spectre politique
bourgeois. Le parti a été confronté à la répression d’Etat et à la violence
politique de tous côtés. Durant les aventures armées entreprises par le JVP en
1971, le RCL s’était opposé à la répression du gouvernement Bandaranaike et fut
obligé d’entrer dans la clandestinité. Deux membres du parti furent assassinés
en prison par les forces de sécurité. Lors du pogrome anti-tamoul de 1983 qui
secoua l’île entière et qui marqua le début de la guerre civile, le parti défendit
vigoureusement les droits démocratiques des Tamouls. En conséquence, des
membres du RCL furent arrêtés et des dirigeants du parti furent harcelés et
menacés par des fiers-à-bras pro-gouvernement. En 1989, le RCL s’opposa à la
campagne patriotique réactionnaire du JVP contre l’accord indo-sri lankais. Trois
membres du parti furent abattus par des escadrons de tueurs du JVP. En 1998, le
LTTE détint pendant des semaines trois membres du SEP à Kilinochhi pour le
« crime » d’avoir fait campagne en faveur du programme socialiste du
SEP, ils ne furent libérés qu’à la suite de l’organisation d’une campagne
internationale menée par le CIQI et le WSWS.
Le SEP a résisté à ces attaques et aux
considérables pressions politiques exercées par le milieu national au Sri Lanka
parce qu’il opère, comme toutes les sections du CIQI, en tant que partie
intégrante de notre parti mondial. Le RCL ne fut pas fondé en tant que parti
national ou comme une section nationale indépendante d’une fédération
internationale, mais comme un détachement du mouvement trotskyste international
luttant pour le programme de la révolution socialiste mondiale au Sri Lanka et
en Asie du Sud. L’avènement du World Socialist Web Site a permis au SEP d’intégrer au quotidien son travail
à celui de ses partis frères de par le monde. Réfutant ceux qui affirmaient que
l’Internet ne pouvait pas atteindre les travailleurs appauvris de pays tel le
Sri Lanka, l’analyse du SEP et du CIQI est à présent à la portée de
travailleurs et de jeunes partout dans l’île et dans la région, et souvent
grâce à de multiples moyens ingénieux.
La signification de la campagne électorale du
SEP ne réside pas dans le nombre de voix que ses candidats obtiendront. Ceux
qui sont aveuglés par les triomphes parlementaires devraient réfléchir aux
tragédies pour la classe ouvrière qui ont résulté de l’application de manœuvres
électorales opportunistes, et notamment au Sri Lanka. La force de la campagne
du SEP se trouve dans la lutte longue et courageuse du parti pour les principes
et la clarté de son analyse et de sa perspective. Il apparaît avec évidence à
quiconque ayant accompagné des membres du SEP dans une plantation, un lieu de
travail ou un village, que l’influence du parti s’étend bien au-delà du nombre,
actuellement relativement réduit, d’adhérents. Même ses adversaires politiques
expriment parfois à contrecœur une certaine admiration.
Nous encourageons tous nos lecteurs, tout
particulièrement en Asie du Sud, à réfléchir avec attention à la perspective
que le SEP a présenté dans ces élections. Etant donné que le capitalisme
mondial plonge dans sa plus terrible crise depuis les années 1930, les
conséquences pour la classe ouvrière en seront dévastatrices : chômage de
masse, conditions économiques abominables, tensions internationales
grandissantes, conflit économique et finalement la guerre. Les choix sont
clairs : socialisme ou barbarie. Ceux qui veulent lutter pour un avenir
socialiste doivent se joindre à nous et construire le SEP au Sri Lanka, et le
CIQI à travers le sous-continent, comme le parti révolutionnaire de masse de la
classe ouvrière.