Mardi
dernier à Montréal, trois personnes ont perdu la vie après avoir été happées
par des camions assignés aux opérations de déneigement. Ces décès sont liés au
recours de la ville de Montréal à des sous-traitants qu’elle soumet à de fortes
pressions. Ces derniers adoptent en retour des pratiques qui menacent la
sécurité des citoyens et des camionneurs tandis que les autorités gouvernementales
ferment les yeux.
Lors
du premier accident, un couple de septuagénaires qui traversaient une
intersection ont été écrasés sous les roues du camion qui leur a coupé la
route. L’homme est mort sur le coup et le décès de la femme a été constaté par
la suite à l’hôpital. Plus tard dans la même journée, une femme de 76 ans a été
heurtée par un autre camion de déneigement dans des circonstances similaires.
Dans les deux cas, les victimes avaient le droit de passage et priorité sur les
véhicules. Les deux camionneurs impliqués dans les accidents, sous le choc, ont
affirmé n’avoir jamais vu les personnes traverser la rue.
Ces
trois morts s’ajoutent au décès d’une femme qui avait été heurtée en décembre
dernier à Montréal par une niveleuse. Deux autres personnes étaient mortes en
raison de travaux de déneigement en 2005. Dans tous ces accidents, ce sont des
entrepreneurs privés mis sous contrats par la Ville de Montréal qui étaient
impliqués.
Pour
environ la moitié de ses opérations de déneigement, Montréal fait affaire avec
des sous-traitants et l’autre moitié est réalisée par ses propres cols bleus.
Le transport de la neige est toutefois presque entièrement géré par le privé.
Alors que les cols bleus sont rémunérés à un taux horaire, la ville paye les sous-traitants
au volume de neige ramassée.
François
Pilon, propriétaire d’une entreprise de déneigement dans l’arrondissement
Côte-des-Neiges, dit faire affaire avec des camionneurs indépendants qui ont
leur propre camion. Ces derniers doivent souvent traiter avec plusieurs
entrepreneurs pour obtenir un revenu suffisant et payer leur véhicule qui peut
leur coûter de 2500 à 3000 dollars par mois. Les entrepreneurs peuvent se voir
imposer des amendes par l’arrondissement s’ils ne complètent pas les opérations
de déneigement assez vite.
Dans
ce contexte, les camionneurs indépendants sont poussés à travailler un nombre
déraisonnable d’heures, mettant potentiellement leur vie et celle des autres en
danger. La loi qui limite le nombre d’heures de conduite admissible pour tout
conducteur de véhicule lourd au Québec laisse presque toute latitude à
l’exploitation la plus éhontée. Elle permet aux camionneurs d’enregistrer
jusqu’à 70 heures de conduite par semaine et jusqu’à treize heures par jour. Et
aux dires de plusieurs travailleurs, ces limites sont couramment transgressées
dans le cas des opérations de déneigement.
Un
camionneur privé a confié au Journal de Montréal sous le couvert de l’anonymat
qu’il n’avait dormi que six heures en près de quatre jours. Les camionneurs
profitent de leurs pauses et de leurs dîners pour dormir quelques minutes.
Selon M. Pilon, il arrive que les conducteurs travaillent parfois 24 et même 36
heures de suite. Un contrôleur aurait affirmé qu’il n’est pas rare de retrouver
des comprimés servant à rester éveillé sur les tableaux de bord des véhicules.
Le
premier accident qui a enlevé la vie à deux personnes est survenu à 9h40. Le
camionneur avait commencé son quart de travail à 20h la veille. Dans un autre
accident qui s’est produit à Lévis près de la ville de Québec, un jeune
camionneur est entré en collision avec un autre véhicule. Il en était à sa
douzième heure de conduite consécutive.
La
réponse du gouvernement à cette situation troublante est de réduire sa propre
surveillance. Peu avant que ne surviennent les trois décès, le ministère des
Transports du Québec s’apprêtait à émettre une directive qui aurait retiré aux
contrôleurs routiers de la province le droit de contrôler les véhicules
affectés au déglaçage et au ramassage de la neige. Ces contrôles, disait-on,
« peuvent compromettre à l'occasion l'efficacité des opérations de
déneigement » qui doivent « s'effectuer le plus rapidement possible
pour assurer la sécurité du public ». Cette directive fut jetée aux poubelles
après les morts tragiques de la semaine dernière.
La
ville de Montréal affirme ne pas être prête à changer immédiatement ses
pratiques et dit vouloir attendre les résultats d’une enquête publique. Le
maire Gérald Tremblay s’est d’ailleurs montré plutôt méprisant face aux
victimes de la semaine passée. Il a invité les piétons à se montrer
prudents : « Assurez-vous de traverser aux intersections et d'avoir
un contact visuel avec les chauffeurs. »
Ce
n’est pas sans rappeler les propos de l’ancien responsable municipal Marcel
Tremblay, le frère du maire, en réaction à la grogne populaire suscitée par le
déneigement et le déglaçage inadéquats des trottoirs de Montréal. « Sans
dépenser des fortunes », avait-il déclaré, « les gens peuvent avoir
des crampons à neige ou à glace. Pourquoi ils n'en achètent pas ? »