S’il existait un prix
international pour le cynisme politique, alors les co-présidents du soi-disant
processus de paix sri lankais, les Etats-Unis, l’Union européenne, le Japon et
la Norvège, pourraient prétendre au titre. Dans un communiqué conjoint publié
la semaine passée, les quatre co-présidents, encouragés par le nouveau
gouvernement Obama à Washington, ont abandonné tout semblant de neutralité en
demandant aux Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE) de déposer leurs
armes et de se rendre au gouvernement du Sri Lanka.
Enrobé d’hypocrites préoccupations quant à la situation
critique des civils pris dans les combats, le communiqué lance un appel au LTTE
« à discuter avec le gouvernement du Sri Lanka des modalités pour mettre
un terme aux hostilités, y compris le dépôt de leurs armes, la renonciation à
la violence, l’acceptation de l’offre d’amnistie du gouvernement sri
lankais ; et la participation au processus en tant que parti politique afin
d’arriver à une solution politique juste et durable ».
C’est le comble de l’absurde ! Avec le soutien des
Etats-Unis, le gouvernement sri lankais a déjà rejeté tous pourparlers avec le
LTTE en le déclarant organisation terroriste. Le président Mahinda Rajapakse
insiste pour dire que seule une reddition totale et inconditionnelle mettra fin
au combat. Son gouvernement a même rejeté un appel des co-présidents pour
« un cessez-le-feu » le temps de permettre l’évacuation des malades
et des blessés. Son offre d’amnistie ne s’adresse qu’aux échelons inférieurs du
LTTE et non à la direction du LTTE. Tout ceci tourne en dérision les appels à
la négociation, à la participation politique et « à une solution politique
juste et durable ».
Le communiqué est remarquable aussi pour ce qu’il ne dit pas.
Il n’appelle pas à mettre fin immédiatement aux combats, au retrait de toutes
les troupes sri lankaises sur les lignes du cessez-le-feu de 2002, et au retour
des négociations de 2002-2003 soutenues internationalement. En d’autres termes,
les co-présidents n’observent même plus les subtilités diplomatiques du
soi-disant processus de paix auquel ils s’étaient jadis engagés.
L’ignoble hypocrisie affichée par les co-présidents ne devrait
surprendre personne. Les Etats-Unis, l’Union européenne (UE), la Norvège et le
Japon ont tous soutenu, d’une manière ou d’une autre, la fausse « guerre
mondiale contre le terrorisme » de Washington et son occupation
néocoloniale de l’Afghanistan et de l’Irak. Leur soutien au « processus de
paix » au Sri Lanka n’était pas motivé par leur préoccupation concernant
25 années de souffrance de la population de l’île mais par des intérêts
économiques et stratégiques des principales puissances, et avant tout de
l’impérialisme américain.
Plusieurs processus avaient contribué au cessez-le-feu du 22
février 2002. En avril et en mai 2002, le LTTE avait infligé une série de
défaites militaires dévastatrices à l’armée sri lankaise en capturant la
stratégique Passe de l’Eléphant et en menaçant d’écraser les 50 000 hommes
piégés sur la péninsule de Jaffna. Le gouvernement de la présidente Chadrika
Kumaratunga avait été plongé dans une crise politique et économique profonde
alors qu’elle se précipitait pour acheter du matériel dans le but de consolider
l’armée et son gouvernement.
Suite au 11 septembre 2001, des sections de l’élite dirigeante
sri lankaise avaient entrevu l’occasion de forcer le LTTE à rejoindre la table
des négociations en posant leurs conditions, au risque sinon de devenir la
cible de « la guerre contre le terrorisme » américaine. Lorsque
Kumaratunga résista, son gouvernement perdit sa majorité parlementaire et le
parti rival United National Party (Parti national uni, UNP) remporta l’élection
et signa le cessez-le-feu.
Les Etats-Unis appuyèrent conditionnellement le processus de
paix. Washington était préoccupé par l’impact de la guerre sri lankaise
pourrait avoir dans l’Inde voisine où ils étaient en train de nouer rapidement
des liens économiques et stratégiques plus étroits. Le cessez-le-feu fut
immédiatement acclamé internationalement comme étant un signe annonciateur de
la paix, de la démocratie et de la prospérité pour cette île ravagée par la
guerre et un exemple pour le monde. Les co-présidents promirent le versement de
4,5 milliards de dollars d’aide pour la reconstruction, comme moyen de
remporter un avantage politique.
Il devint rapidement évident que les co-présidents étaient
loin d’être impartiaux. Alors que les extrémistes cinghalais à Colombo se
plaignaient amèrement de la partialité pro-LTTE, le processus penchait toujours
lourdement au détriment du LTTE qui était obligé de formellement renoncer à ses
exigences pour un petit Etat dans le Nord et l’Est avant même le début des
négociations. Les pourparlers échouèrent en avril 2003 avant même qu’une
discussion en vue de trouver une solution politique ait pu commencer, après une
série de provocations navales qui firent couler des navires du LTTE. La
dernière goutte qui fit déborder le vase fut le refus des Etats-Unis de rayer
le LTTE de la liste des organisations terroristes, l’empêchant de ce fait de
participer aux pourparlers à Washington.
Comme ce fut le cas de toutes les tentatives antérieures de
négocier la fin de la guerre, l’establishment politique sri lankais qui
fonde depuis 1948 son régime sur l’idéologie de suprématie cinghalaise, se
révéla incapable de faire la moindre concession. Le gouvernement UNP fut accusé
par la présidente Kumaratunga, par l’armée et les partis chauvins cinghalais,
tel le Janatha Vimukthi Peramuna (Front populaire de libération, JVP), de
trahir la nation par le simple fait d’envisager un accord de partage du pouvoir
entre les élites cinghalaise et tamoule. Kumaratunga prit finalement la
décision de dissoudre le gouvernement en 2004.
En coulisses, l’armée sri lankaise profita du cessez-le-feu
pour se réarmer et ré-entraîner ses forces ébranlées avec l’aide des Etats-Unis
et d’autres alliés. Tandis que Washington continuait de reconnaître en paroles
le mérite du processus de paix, un certain nombre de diplomates et de généraux
américains de haut rang multiplièrent les visites à Colombo et des accords
furent signés. Les conditions étaient réunies pour le relancer la guerre
lorsque Mahinda Rajapakse remporta de justesse les élections en 2005 grâce au
soutien du JVP.
De faibles tentatives de faire redémarrer les pourparlers de
paix échouèrent en avril 2006 quand le gouvernement Rajapakse insista pour que
soitréécrit le cessez-le-feu de 2002 dans le but de favoriser l’armée
sri lankaise. Mais la fin était proche. Une série de meurtres provocateurs et
d’enlèvements signalaient que Rajapakse avait détaché de sa laisse l’armée avec
ses escadrons de la mort et ses paramilitaires.
En janvier 2006, l’ambassadeur américain, Jeffrey Lunstead,
avait déjà notifié le soutien de Washington pour la guerre en mettant en garde
le LTTE qu’il aurait à faire face « à une armée sri lankaise plus forte,
plus capable et plus déterminée » à moins qu’il ne renonce à la violence
et qu’il se désarme. Les Etats-Unis appuyèrent la menace non seulement par une
aide militaire mais par une campagne diplomatique en exerçant une pression sur
l’UE et le Canada pour qu’ils interdisent le LTTE et retirent de ce fait leur
soutien politique et financier vital à la diaspora tamoule.
Quiconque a suivi les événements de ces deux dernières années
avec un minimum de distance ne sera pas surpris par le récent communiqué publié
par les co-présidents. De légères protestations épisodiques concernant les
sévices les plus flagrants de l’armée sri landaise ont été accompagnées
d’accusations portées contre le LTTE pour avoir cherché à défendre son
territoire. Les Etats-Unis et leurs coprésidents alliés n’ont émis aucune
critique contre le gouvernement Rajapakse lorsqu’il a lancé une offensive après
l’autre à partir de juillet 2006 en flagrante violation du cessez-le-feu de
2002 et a fini par rompre complètement l’accord au début de l’année dernière.
Les co-présidents ne sont pas des spectateurs impuissants et
passifs, mais bien des participants actifs et qui portent la responsabilité
politique pour la guerre perpétrée par le gouvernement sri lankais et la
catastrophe humanitaire qui se déroule en ce moment dans le Nord du Sri Lanka.
Tout comme l’invasion israélienne soutenue par les Etats-Unis à Gaza et qui a
résulté dans le massacre de centaines de civils, la guerre au Sri Lanka est un
avertissement sur les méthodes criminelles qui sont à présent mises en pratique
par les puissances impérialistes dans le but de promouvoir leurs intérêts
économiques et stratégiques.
Le processus entier souligne le fait que les revers du LTTE ne
sont pas simplement d’ordre militaire mais découlent de la banqueroute de sa
perspective politique. Son adoption du faux processus de paix en 2002 n’était
pas une aberration mais le résultat d’un programme pour un Eelam indépendant
qui a toujours été basé sur l’obtention du soutien de l’une ou de l’autre des
principales puissances impérialistes. Aujourd’hui, le LTTE continue de lancer
des appels au bon vouloir de cette même « communauté internationale »
qui soutient la guerre du gouvernement. Son séparatisme tamoul qui représente
les intérêts de la bourgeoisie tamoule a exclu toute approche à la seule force
sociale qui est capable de défendre de façon conséquente les droits
démocratiques, la classe ouvrière.
La mort du processus de paix est également un témoignage
accablant de ses défenseurs les plus en vue à Colombo, les représentants
radicaux de la classe moyenne, le Nava Sama Samaja Party (NSSP) et l’United
Socialist Party (USP). Ces prétendants socialistes qui agissent de concert avec
la petite industrie de « paix » des ONG et des groupes de réflexion
ont fait carrière en trompant les travailleurs et les jeunes en leur faisant
croire que la seule manière de mettre fin à la guerre était de compter sur
l’une ou l’autre faction de la bourgeoisie sri lankaise et sur les bons
services des principales puissances internationales. Alors que leur dernier
allié en date, l’UNP droitier, a associé sa voix aux célébrations de la
victoire de Rajapakse, le NSSP et l’USP continuent de plaider en faveur d’une
reprise des pourparlers de paix parrainés par les impérialistes
Il est temps que les travailleurs tirent les conclusions
nécessaires. Pour organiser une véritable lutte contre la guerre, la classe
ouvrière doit compter sur sa propre force et se mobiliser indépendamment de
toutes les factions de la bourgeoisie en se basant sur un programme socialiste
afin d’abolir les racines de la guerre, à savoir le système capitaliste même.
C’est précisément une telle perspective qui a été élaborée et pour laquelle
lutte le Parti de l’égalité socialiste (SEP) au Sri Lanka et, sur un plan plus
vaste, en Asie du Sud.