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WSWS : Nouvelles et analyses : Etats-Unis

Le paradoxe social du sauvetage « miraculeux » sur l’Hudson

Par David Walsh
22 janvier 2009

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Il est impossible de ne pas être ému par les récits de l’accident de l’Airbus A320 du vol 1549 de l’US Airways qui s’est abîmé, jeudi après-midi, dans les eaux de l’Hudson près de Manhattan et de ce qui s’en est suivi, le sauvetage réussi de tous les 150 passagers et 5 membres d’équipage. C’est la combinaison d’un professionnalisme hors du commun, de savoir-faire, de courage et de camaraderie humaine élémentaire qui a produit ce résultat étonnant.

Les chances d’une issue heureuse étaient plus qu’improbables. Quelques minutes après le décollage de l’aéroport LaGuardia de New York, le vol 1549 a apparemment heurté un vol d’oiseaux, ce qui a stoppé les deux moteurs. Le pilote Chesley, dit « Sully », Sullenberger et son copilote se sont ainsi retrouvés aux commandes d’un avion de ligne de plusieurs tonnes qui ne répondait plus, qui transportait 153 êtres humains et se trouvait juste au-dessus d’une des plus importantes zones métropolitaines du monde. Tous les ingrédients d’une catastrophe terrible étaient réunis.

Sullenberger a indiqué à la tour de contrôle qu’il « n’était pas en mesure » de retourner sur LaGuardia ou d’atteindre le petit aéroport de Teterboro non loin de là dans le New Jersey. Il a donc entrepris un virage vers le sud le long du fleuve Hudson qui sépare Manhattan et New Jersey, a survolé le pont George Washington et a amerri en toute sécurité au milieu du fleuve.

Sullenberger et son copilote ont adroitement amerri de façon à ce que, « le nez en hauteur et posé sur son fuselage, » l’avion « parvienne à se maintenir à la surface de l’eau juste après l’impact » (New York Times).

Mais une fois l’avion stabilisé tout n’était pas résolu. Le 15 janvier a été l’une des journées les plus froides de New York, la température de l’air étant de -8 degrés et celle de l’eau avoisinant 2 degrés. Une immersion dans l’eau, même de quelques minutes par de telles températures, peut être fatale.

Avec des passagers en équilibre sur les ailes de l’avion en train de couler, en l’espace de quelques minutes « Les eaux du fleuve ont été agitées par une flottille improvisée de bateaux et de ferries battant pavillon de toutes les compagnies de la ville, de l’état et du pays qui travaillent sur les eaux entourant la ville de New York. Ils se sont précipités vers l’avion en train de couler lentement, une opération de sauvetage rendue plus difficile du fait des courants qui tendaient à entraîner l’avion vers le sud » (New York Times).

Les passagers ont eux aussi réagi avec un aplomb considérable, s’aidant les uns les autres avec calme et faisant preuve d’une remarquable générosité. Une passagère, cadre de Bank of America, a dit au Washington Post, « Le plus étonnant dans tout cela c’est que je n’ai vu personne pousser ou bousculer. Je n’ai vu qu’entraide et compassion. »

Un passager à bord du ferry qui était arrivé le premier sur les lieux a expliqué que lorsque ceux qui ont été sauvés des eaux glaciales de l’Hudson sont montés à bord, « Nous les prenions dans nos bras, les serrions contre nous, nous les rassurions, leur tenions les mains pour les réchauffer avec la chaleur de notre corps » (New York Times).

Le mérite est revenu, pour une bonne part et à juste titre, à Sullenberger, 57 ans, un habitant du nord de la Californie. Son curriculum vitae en ligne indique un haut niveau de sérieux en ce qui concerne la sécurité aéronautique et les sujets afférents. En plus de 40 années passées dans l’industrie de l’aviation et quelque 19 000 heures de vol à son actif sur des appareils de toutes sortes, Sullenberger a fortement encouragé de nombreuses innovations en matière de sécurité et d’entretien et a occupé par le passé le poste de président local de la sécurité aérienne chez ALPA, le syndicat des pilotes de l’air, ainsi que le poste d’enquêteur sur les accidents, pour ce syndicat. Il est aussi pilote de planeur, ce qui lui a été bien utile jeudi.

Interviewée par les médias, son épouse Lorrie a qualifié Sullenberger de « pilote apprécié des pilotes » et qui « adore l’art de l’aviation. » Un commentaire qui dit bien ce qu’il veut dire.

Un tel incident révèle un paradoxe social.

Les politiciens, ces opportunistes de toujours, ont tôt fait de qualifier de « héros » ceux qui sont responsables d’opérations semblables à celle de jeudi sur l’Hudson. Michael Bloomberg, maire de New York a offert à Sullenberger les clés de la ville, en déclarant, « Nous avons vu beaucoup d’héroïsme sur l’Hudson hier… L’amerrissage parfait, la réaction phénoménale, le sauvetage de chacune des personnes à bord. »

Les médias locaux et nationaux, comme on pouvait s’en douter, se sont montrés intarissables sur « le miracle de l’Hudson ». Tout était bon pour détourner l’attention du déluge incessant de mauvaises nouvelles économiques.

Le PDG de US Airways Doug Parker a qualifié l’opération de sauvetage d’« effort remarquable... C’est un honneur pour moi de vous remercier tous pour tout ce que vous avez fait. »

Le vide et l’hypocrisie d’une bonne partie de ces commentaires émergent quand on considère les attaques quasiment continues auxquelles ont été confrontés de tels « héros » ordinaires ces dernières années et à quel point un tel niveau de professionnalisme et de savoir-faire est miné par la politique de l’élite patronale et du gouvernement.

Les pilotes de ligne et les personnels de vol sont confrontés à une attaque dévastatrice sur leurs revenus et leur moral. US Airways (descendant de Alleghany Airlines) a subi deux faillites et détruit, en allant, les emplois des travailleurs, leurs prestations et leurs retraites tout en enrichissant des cadres comme Parker.

Un journal de Pittsburgh a rapporté en 2006 que près de 9000 employés de US Airways de la région avaient perdu leur emploi depuis 2001. En 2003 cette compagnie aérienne était l’une des premières plus importantes compagnies de ligne à se défaire des retraites de ses pilotes par souci de réduction des coûts, et à confier les fonds de pension à l’entreprise fédérale Pension Benefit Guaranty Corporation, une mesure qui résulte inévitablement en une réduction des retraites. En 2008, l’association de pilotes, US Airline Pilots Association, qui négocie pour les pilotes, alléguait qu’US Airways, en réponse à l’augmentation du prix du pétrole, faisait pression sur les pilotes pour qu’ils emportent moins de kérosène dans les avions, et soumettait à des représailles ceux qui refusaient.

Un commentaire datant de 2006 donnait une image bien sombre de la situation des pilotes : « Ils ont subi une baisse de leur salaire et de leur retraite, et leur temps de travail a augmenté. Ils ont fait une autre concession à la compagnie aérienne : leurs journées sont plus que jamais interrompues par de longues heures non travaillées et non payées. »

Le capitaine John Prater, président d’ALPA, a dit au Christian Science Monitor début 2008 : « En ce moment, les compagnies aériennes font passer l’argent, la productivité — combien de travail on peut exiger d’un pilote — avant la sécurité et le fait d’avoir des pilotes bien reposés et pas fatigués, aux commandes de votre avion. »

Pour ce qui est des employés municipaux de New York, le maire milliardaire de la ville Bloomberg, tout comme le gouverneur démocrate de New York David Paterson, poursuit une politique de coupes budgétaires et de suppressions de postes de grande envergure qui vont rogner encore plus sur la sécurité et le bien-être des résidents.

Par exemple, en novembre 2008, Bloomberg a annoncé 8,9 millions de dollars de coupe dans le budget du département des pompiers ce qui a eu pour conséquence la suppression des équipes de nuit dans cinq casernes et des coupes budgétaires au centre de formation des pompiers, réduisant ainsi la période de formation pour les pompiers stagiaires de 23 à 18 semaines. Comme le maire l’a dit clairement, ce n’est là qu’un début.

Ce qui est ironique c’est que le Programme de réaction et de préparation aux catastrophes, des services humanitaires du Conseil municipal de la ville de New York, association regroupant des organisations locales non lucratives, a été définitivement fermé en juillet 2008 du fait des contraintes du budget de l’Etat. Un représentant du conseil des services humanitaires a fait remarquer, « Il semble que l’on ait la mémoire courte quand il s’agit de ce qui est nécessaire en cas de catastrophe à New York. Il ne s’agit pas seulement d’attaque terroriste. Il s’agit d’ouragans et d’inondations des côtes et de choses comme ça. »

Lorsque l’attention des médias ne se tourne pas sur eux, les « héros » du sauvetage de l’Hudson et leurs homologues dans tout le pays (tels ceux qui étaient impliqués dans la remarquable opération de sauvetage, vue en direct à la télévision nationale le mois dernier, lorsque une conduite d’eau avait éclaté et inondé une avenue de Bethesda dans le Maryland) seront traités avec la même brutalité et la même indifférence que tout autre travailleur américain. L’élite qui gouverne les Etats-Unis considère les travailleurs comme de la racaille dont on peut disposer à volonté.

Et si les travailleurs des compagnies aériennes, les pompiers, les employés de la municipalité ou d’autres encore venaient à s’organiser pour s’opposer aux attaques sur les salaires et les emplois, les politiciens et les médias feront volte-face et les qualifieront de « cupides », d’« égoïstes » et de « voyous », ce que Bloomberg et la presse jaune de New York ont fait durant la grève des travailleurs des transports en commun de 2005.

Il y a un autre aspect encore à cette histoire. Un ingrédient, qui semble omniprésent dans la vie américaine, a brillé par son absence lors de l’opération de sauvetage de jeudi : le principe de profit. On dit aux Américains depuis des décennies que la poursuite de la richesse personnelle est la motivation humaine la plus grande, sinon l’unique motivation. L’opinion publique officielle considère la coopération sociale, la compassion et la générosité comme méprisables et ridicules. Même si on ne le dit pas ouvertement, du moins on sous-entend que ces qualités sont « de nature socialiste ».

Mais il se trouve que la réaction immédiate de tous ceux qui étaient impliqués dans l’opération de sauvetage de jeudi a été la solidarité et non l’intérêt personnel. L’égoïsme ne vient pas naturellement aux êtres humains, notamment durant les moments de calamité. La crise économique qui est en train de se développer, appauvrissant de larges couches de la population et révélant l’immense fracture sociale existant aux Etats-Unis, fera ressortir le meilleur parmi les couches les plus avancées de la population et favorisera la montée d’une pensée authentiquement et consciemment « de nature socialiste. »

(Article original anglais paru le 17 janvier 2009)


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