Le discours d’investiture prononcé mardi par le président
Barack Obama a été l’objet de l’éloge quasi délirant des grands médias et des
éditoriaux des plus importants quotidiens. Même ceux contraints d’admettre que
le discours de 18 minutes fut prononcé platement, était banal par son contenu
et ne contenait aucune éloquence mémorable insistent que ce qu’Obama a dit
importe peu. Sa présence sur les marches du Capitole, et l’immense foule réunie
au Washington Mall, était ce qui était important et symbolisait le
« changement ».
Evitant une analyse véritable et consacrant plutôt leur
couverture de l’événement à leur propre aveuglement et à celui des autres,
presque aucun média n’a réussi à saisir l’ampleur des immenses contradictions
entre les sentiments qui ont attiré près de deux millions de personnes à
Washington pour l’événement et les politiques qui sous-tendent ce qu’Obama a
véritablement déclaré.
Ceux bravant le froid sont venus célébrer le départ de la
vie politique d’un président détesté, George W. Bush, et, pour beaucoup, le
commencement d’un changement fondamental. Le discours lui-même avait cependant
était rédigé largement pour calmer la droite républicaine et signaler la
continuité avec ses politiques essentielles.
Les premières lignes significatives à cet égard furent
celles décrivant la crise dans laquelle sont plongés les Etats-Unis au moment
de l’investiture d’Obama. Avant même de faire référence à la profonde crise
économique qui a supprimé environ 3 millions d’emplois et qui en élimine des
centaines de milliers d’autres à chaque mois, Obama, inspiré par Bush, a
présenté le terrorisme comme le défi prééminent de la nation.
« Notre nation est en guerre contre un vaste réseau de
violence et de haine », a-t-il déclaré.
Par ces quelques mots, Obama a ainsi assuré que la
« guerre internationale contre le terrorisme » allait demeurer en
tant qu’héritage de Bush, Cheney et Cie, fournissant le prétexte pour la guerre
d’agression à l’étranger et la violation des droits démocratiques au pays.
Contenue dans cette formulation se trouve la continuation
de tous les mensonges et intimidations politiques employés par la dernière
administration afin d’imposer les guerres en Afghanistan et en Irak au peuple
américain. Parmi ces mensonges trône l’assertion complètement trompeuse que
l’armée américaine a été envoyée pour occuper ces pays et tuer un grand nombre
de leurs citoyens afin de lutter contre le terrorisme. Le véritable motif pour
ces guerres est la poussée hégémonique de l’impérialisme américain pour le
contrôle des vastes réserves d’énergie de l’Asie centrale et du golfe Persique.
La continuité, plutôt que le changement, est la marque de
commerce de l’attitude de la prochaine administration face à ces deux guerres.
Dans la mesure où un retrait partiel est effectué en Irak, cela sera fait selon
l’échéancier établi par l’administration Bush et dans le but d’intensifier la
guerre de contre-insurrection en Afghanistan. Le secrétaire à la Défense de
Bush, Robert Gates, ainsi que de hauts commandants désignés par le président
républicain vont de plus superviser ce processus.
En invoquant vaguement un « vaste réseau »
mondial de terrorisme, Obama a laissé intact le prétexte idéologique pour les guerres
potentielles à venir, contre l’Iran, le Pakistan ou d’autres pays.
Cet élément du discours s’est mérité un solide appui de la
section éditoriale très à droite du Wall Street Journal. Dans son
éditorial principal, le Wall Street Journal a applaudi Obama pour sa
« déclaration claire selon laquelle nous menons en effet une “guerre” »
contre le terrorisme. « Nombre de ses partisans de la gauche, et autour du
monde, espèrent voir M. Obama ramener les politiques de sécurité nationale des
Etats-Unis à l’état qu’elles étaient avant le 11-Septembre. Le démocrate a
prévenu ses ennemis, et certains de nos alliés, que sa politique étrangère
allait faire preuve d’autant de continuité que de changement, et qu’il n’est
pas prêt de se débarrasser des politiques qui protègent les Américains. »
Autrement dit, le discours servait à rassurer les sections
prédominantes de l’élite financière américaine, dont les intérêts sont
constamment défendus par le Journal, que les politiques de militarisme
et d’agression qu’elles considèrent vitales à la défense et au développement de
ses objectifs mondiaux allaient être maintenues sans relâche.
Pour ce qui est des « partisans de la gauche »
d’Obama, soit la majorité du peuple américain qui souhaite voir la guerre se
terminer et qui a essentiellement voté pour lui dans ce but, ils ont été privés
une fois de plus de représentation politique par le système bipartite.
Le discours a été généralement applaudi par les experts
droitiers des médias. Peggy Noonan, qui rédigeait des discours pour Nixon, a noté
qu’Obama utilisait « un langage avec lequel les républicains traditionnels
seraient complètement à l’aise ».
Les sections du discours les plus populaires parmi cette
couche sociopolitique furent celles suggérant que l’effondrement économique
précipité par Wall Street est la faute du peuple américain en entier, qui doit
maintenant accepter les sacrifices dans l’intérêt de la nation. Ils ont
particulièrement apprécié les lignes parlant de « nouvelle ère de
responsabilité » et du krach financier comme étant le résultat « de
l’avarice et de l’irresponsabilité de quelques-uns, mais aussi de notre échec
collectif à prendre des décisions difficiles et à préparer la nation à une
nouvelle ère ».
L’éditorialiste George Will, qui a animé un souper
pré-investiture en compagnie d’autres commentateurs, a louangé en particulier
l’emploi de la phrase biblique « Le temps est venu de mettre de côté les
choses puériles », l’interprétant comme l’admonestation de la vaste
majorité du peuple américain pour vouloir « davantage de biens et de
services qu’ils ne sont pas prêts à payer ». Poussé par son mépris des
travailleurs, Will approuve avec joie la demande que ces derniers renoncent aux
« choses puériles » comme la croyance qu’ils ont droit à un emploi,
une maison, des soins de santé et un revenu décent.
Le Wall Street Journal a lui aussi
noté avec approbation dans son principal article portant sur
l’inauguration : « Le message implicite est qu’il ne suffit pas de
blâmer l’administration Bush, ou Wall Street ou l’homme de la rue pour les
problèmes économiques actuels, mais qu’il faut accepter que la nation dans son
ensemble s’en est fait le complice. »
C’est en effet ce qu’implique Obama dans
son discours. Comment les travailleurs, qui ont de plus en plus de difficultés
à joindre les deux bouts avec leurs salaires diminuant constamment si l’on
tient compte de l’inflation, peuvent-ils être « complices » de la
fraude financière et de la criminalité qui ont dominé Wall Street et généré des
fortunes obscènes pour ceux qui sont au sommet de la pyramide et qui ont conduit
l’économie à la ruine ? C’est ce qu’Obama, pas plus que ses admirateurs de
la droite, ne peuvent expliquer.
Le grand absent du discours d’Obama a été
la caractéristique déterminante de la vie américaine actuelle : la
croissance ininterrompue des inégalités sociales. Ce n’est qu’en oubliant de
façon délibérée la réalité d’une société où le 1 pour cent le plus riche
possède 40 pour cent de toute la richesse et où un PDG gagne 344 fois plus que
le travailleur moyen que le président démocrate a pu introduire dans son
discours les notions fausses et profondément réactionnaires de « l’échec
collectif » et de « l’égalité » de responsabilité.
Ce que ces arguments signifient ne fait
aucun doute. L’arrivée d’Obama au pouvoir sera le signal non pas d’un retour
aux politiques du New Deal ou de la Grande Société de Lyndon B. Johnson. Il n’y
aura pas de retour à un réformisme social, mais plutôt un virage vers
l’austérité fiscale et les contre-réformes qui viseront ce qui reste du filet
de protection sociale aux Etats-Unis, par exemple la Sécurité sociale et
Medicare.
Le but politique essentiel de la nouvelle
administration, comme celui de l’administration précédente, sera de protéger
les intérêts et la richesse de la mince couche que constitue l’élite financière
aux dépens de millions de travailleurs américains et de leurs familles.
A mesure que cette politique sera mise en
œuvre, et que la crise économique s’approfondira, les tentatives des médias de
présenter Barack Obama comme l’incarnation vivante du changement apparaîtront
pour ce qu’elles sont, des mensonges. La réalité que le nouveau président
américain est un politicien entièrement comme les autres, le produit d’une
machine politique corrompue et le serviteur fidèle des intérêts financiers et industriels
qui ont financé sa campagne électorale commencera à s’imposer.
A ce moment, l’immense contradiction entre
les aspirations et les intérêts objectifs des nombreux travailleurs composant
la foule se trouvant sur Washington Mall mardi et la nature de classe de
l’administration Obama trouvera son expression dans une éruption de luttes
sociales dirigées contre ce gouvernement lui-même.
(Article original anglais paru le 22
janvier 2009)