Mercredi dernier, l’ambassade des Etats-Unis à Colombo
a publié un communiqué qui saluait les récentes victoires de l’Etat sri
lankais dans la guerre contre les Tigres de libération de l’Eelam tamoul
(LTTE) en demandant instamment au gouvernement du Sri Lanka et à l’armée
d’engager l’annihilation du LTTE. Le passage clé du texte
disait : « Les Etats-Unis ne recommandent pas que le gouvernement sri
lankais négocie avec le LTTE, un groupe classé par les Etats-Unis comme organisation
terroriste étrangère depuis 1997. »
Dans les heures qui ont suivi le refus officiel de
Washington d’appuyer un accord négocié de la guerre civile qui dure
depuis 25 ans, le gouvernement sri lankais interdisait le LTTE.
L’Etat sri lankais s’arroge à présent le droit de
prononcer des peines d’emprisonnement allant jusqu’à 20 ans pour tous
ceux qu’il accuse de « soutenir » le LTTE. Depuis la reprise
des offensives contre cette organisation en 2006, le gouvernement et
l’armée portent cette accusation contre pratiquement toute personne qui
est opposée à la guerre ou même contre la politique socio-économique droitière
du gouvernement, en incluant des socialistes et des ouvriers grévistes et
l’Alliance nationale tamoule, un groupe parlementaire qui comprend une
vingtaine de personnes et qui considère que le LTTE est le seul représentant
légitime des Tamouls dans les négociations avec le gouvernement.
Colombo avait précédemment déclaré l’organisation
illégale, mais avait levé l’interdiction en 2002 quand une trêve avait
été déclarée et que l’Etat sri lankais et le LTTE avaient accepté
d’entamer des pourparlers de paix.
Le court intervalle de temps qui s’est déroulé la
semaine passée entre le refus des Etats-Unis du « processus de paix »
et l’interdiction du LTTE par le gouvernement de Colombo illustre le rôle
criminel joué par Washington, à la fois comme instigateur et facilitateur, dans
la guerre communautariste générée par l’élite bourgeoise cinghalaise de
Sri Lanka.
Washington avait encouragé Colombo à reprendre la guerre
civile en 2006 et avait aidé et soutenu chaque étape de l’avance
sanglante de l’armée sri lankaise. La nouvelle prouesse de l’armée
du Sri Lanka est due presque entièrement au soutien qu’elle a reçu de directement
Washington ou de ses alliés clé.
Le Pentagone admet avoir fourni aux troupes sri lankaises un
entraînement au niveau de la contre-insurrection et du renseignement ainsi que
des armements « non mortels ». Ces derniers comprennent un équipement
radar pour la navigation maritime qui a permis à Colombo de perturber des routes
d’approvisionnement clé du LTTE en provenance de l’Inde.
Entre-temps, Israël et le Pakistan dont les gouvernements et les armées sont
des partenaires étroits des Etats-Unis ont fourni à l’armée sri lankaise
un vaste arsenal de technologie sophistiquée.
La pression exercée par les Etats-Unis a été décisive pour
persuader le Canada, les Etats de l’Union européenne et les autres pays à
proscrire le LTTE. Ces interdictions ont privé le LTTE du soutien financier émanant
des centaines de milliers de Tamouls qui ont été chassés de leur pays par la
guerre civile.
En janvier 2006, quelques semaines seulement après
qu’un nouveau gouvernement eut pris le pouvoir à Colombo en critiquant
les concessions antérieures et prétendument excessives faites au LTTE,
l’ambassadeur américain, Jeffrey Lunstead, a mis en garde le LTTE que
s’il n’acceptait pas rapidement un accord conformément aux termes
de Colombo il aurait à faire face à « une armée sri lankaise plus forte,
plus capable et plus déterminée. »
Pour lever toute équivoque, Lundstead a ajouté :
« De par notre entraînement militaire et nos programmes d’aide, y
compris les efforts relatifs aux initiatives contre-terroristes et au blocage
des transactions financières illégales, nous aidons à façonner la capacité du
gouvernement sri lankais à protéger la population et à défendre ses
intérêts. »
L’échange de bons procédés pour ce soutien a été un Accord
d’acquisition et des services (Acquisition and Cross-Servicing Agreement,
ACSA) qui a été signé en mars 2007 et permettant aux navires de guerre et aux
avions américains d’utiliser les installations sri lankaises.
Mercredi dernier l’ambassade des Etats-Unis rejoignait
Washington et le pouvoir cinghalais en place pour porter aux nues la
« libération » de Kilinochchi, la ville qui des décennies durant a
été la capitale de l’enclave contrôlée par le LTTE dans certaines parties
du nord et de l’est de l’île.
La réalité est que l’offensive militaire sri lankaise dont
le fer de lance avait été un bombardement aérien aveugle et des tirs de barrage
d’artillerie, avait produit un désastre humain. Quelque 300.000 personnes
étaient devenues des réfugiés. Nombre d’entre eux sont à présent menacés
de famine et de maladie parce que le gouvernement de Sri Lanka, après avoir ordonné
en septembre au personnel humanitaire de quitter la région contrôlée, a
systématiquement bloqué toutes les livraisons de matériel de secours.
Human Rights Watch, une organisation hostile au LTTE, a
condamné les autorités de Sri Lanka pour avoir emprisonné et maintenu à ce jour
dans des camps de concentration « presque tous » les Tamouls civils ethniques
qu’elles avaient « libérés » il y a dix mois depuis le
lancement de leur offensive dans la région.
Tout comme dans le cas de l’attaque du gouvernement
israélien contre Gaza, Washington et les médias occidentaux ont
systématiquement déformé l’histoire de la guerre civile au Sri Lanka en
dénonçant les victimes de la répression comme étant les agresseurs et les
terroristes, tout en excusant de façon cynique, voire même en le célébrant, le
terrorisme d’Etat qui vise à maintenir l’oppression de la
population.
Ce n’est pas une justification de la politique petite
bourgeoise nationaliste du LTTE que de reconnaître que la guerre civile au Sri
Lanka était le résultat d’une oppression grandissante de la minorité
tamoule de l’île par la bourgeoisie cinghalaise durant de longues
décennies et que la guerre a été menée par les gouvernements successifs dans le
but de préserver le pouvoir et les privilèges de l’élite cinghalaise.
Incapable de fournir une quelconque solution progressiste à
l’héritage de l’arriération laissée par le colonialisme et la
poursuite de la domination impérialiste, la bourgeoisie cinghalaise, a attisé dès
le début de la naissance de l’Etat sri lankais le chauvinisme anti-tamoul
dans le but de diviser la classe ouvrière et de développer une base sociale à
son régime.
Dès l’indépendance en 1948, la bourgeoisie cinghalaise
a privé de leurs droits de citoyenneté les travailleurs des plantations de
langue tamoule, la plus vaste section et l’une des plus combattives de la
classe ouvrière. Moins d’une décennie plus tard, le cinghalais était
déclaré la seule langue officielle de l’Etat. Dans les années 1970, le bouddhisme
fut déclaré religion d’Etat alors que les Tamouls sont hindous, chrétiens
et musulmans, et des quotas discriminatoires furent instaurés pour limiter
l’accès des Tamouls aux universités. En 1983, trois ans après avoir brisé
la grève générale qui avait défié son virage néolibéral vers une stratégie de
croissance fondée sur les exportations, le gouvernement sri lankais attisait les
pogroms contre la minorité tamoule.
De manière similaire, ce fut l’Etat sri lankais qui
prit l’initiative en 2006 de relancer la guerre civile après avoir
profité, avec l’aide de Washington, du « processus de paix »
pour se réarmer. La mentalité de l’establishment cinghalais est
parfaitement illustrée par une interview que le commandant de l’armée, le
général de division Sarath Fonseka, a accordée en septembre dernier à un
journal canadien. « Je suis persuadé, » a dit Fonseka, « que ce
pays appartient aux Cinghalais. En formant la majorité du pays, avec 75 pour
cent, nous ne céderons jamais et nous avons le droit de protéger ce pays. Ils
[les minorités] peuvent vivre avec nous dans ce pays. Mais ils ne doivent pas
essayer, sous prétexte d’être une minorité, de réclamer des choses
indues. »
A tous les égards, la guerre civile sri lankaise qui dure
depuis 25 ans est un désastre pour le peuple de Sri Lanka, Cinghalais et
Tamouls. Plus de 70 000 personnes ont été tués dans un pays qui compte à
peine 19 millions d’habitants. Au moins 800 000 Tamouls ont fui
l’île et un demi-million d’autres ont été déplacés à
l’intérieur, si bien qu’un tiers de l’ensemble de la
population tamoule a été déracinée. Le développement économique de l’île a
pris un retard de plusieurs décennies en raison de la dévastation causée par la
guerre et des milliards gaspillés pour la mener. Les dépenses de l’armée s’élèvent
actuellement à 17 pour cent du budget national.
La guerre a maintes fois été invoquée pour exiger de
nouvelles séries de sacrifices de la classe ouvrière et pour justifier la
suppression des droits démocratiques. Les disparitions et les assassinats
politiques sont devenus une routine. Le parlement devient de plus en plus une
façade derrière laquelle se cachent une petite cabale de politiciens, la
famille Rajapakse et sa suite, et l’armée, pour diriger le pays.
Après la victoire « historique » de l’Etat
sri lankais sur Kilinochchi, le président Mahinda Rajapakse a mis clairement en
garde la population qu’elle devra encore faire d’autres
« sacrifices ». De plus, le gouvernement a imposé une interdiction
radicale et rapide du LTTE et le rédacteur en chef d’un journal
d’opposition en vue a été assassiné.
Le soutien impudent que Washington accorde à une guerre
d’extermination contre le LTTE, une organisation qui était apparue comme
un mouvement de masse suite à la persécution communautariste du peuple tamoul
par l’Etat de Sri Lanka, est un exemple effrayant de plus de l’acceptation
de la guerre et de l’attitude réactionnaire adoptée de par le globe par
l’élite américaine.
La classe ouvrière internationale doit s’opposer aux
efforts entrepris par Washington et Colombo pour éradiquer le LTTE en renforcer
ainsi l’Etat réactionnaire de Sri Lanka et sa poursuite de la répression
des Tamouls et de la classe ouvrière. Ceci implique qu’aucun soutien ne
soit accordé à la politique du LTTE.
C’est pour cette perspective socialiste internationale
que lutte le Parti de l’égalité socialiste de Sri Lanka. Dans une
déclaration du SEP (Sri Lanka) qui annonçait sa participation aux prochaines
élections municipales régionales on pouvait lire : « En opposition à
tous les autres partis politiques, les candidats du SEP s’opposeront
catégoriquement à la guerre qui est faite par le président Mahinda Rajapakse et
son gouvernement, contre le mouvement des Tigres de libération de l’Eelam
tamoul (LTTE) en exigeant le retrait immédiat et inconditionnel de toutes les
troupes du nord et de l’est du pays. »
« Il ne s’agit pas d’une guerre de
libération ou d’une guerre contre le terrorisme, mais d’une guerre
pour asseoir le pouvoir et les privilèges de l’élite dirigeante
cinghalaise par rapport à l’ensemble de la classe ouvrière, Cinghalais,
Tamouls et musulmans pareillement. Le SEP en appelle à tous les travailleurs
pour rejeter définitivement le poison diviseur de la politique communautariste
pour s’unir sur la base d’un programme socialiste dans une lutte en
faveur de leurs intérêts de classe communs. »
La déclaration du SEP continue en disant, « La guerre
au Sri Lanka n’est que l’exemple le plus net de l’incapacité
de la classe capitaliste dans l’ensemble de la région à résoudre les
tâches les plus démocratiques et nationales. Durant des décennies, les
différences religieuses, ethniques et linguistiques ont été exploitées pour
diviser la classe ouvrière et étayer le régime bourgeois, en créant un désastre
pour des dizaines de millions de gens ordinaires. Une fois de plus,
l’Inde et le Pakistan battent le tambour de la guerre, suite aux
atrocités commises à Mumbai. En prenant position contre le communautarisme
ethnique et religieux et le militarisme, les travailleurs sri lankais montreront
à la classe ouvrière de par l’Asie du Sud la voie pour aller de
l’avant. »