Le 22 juin, le président conservateur Nicolas Sarkozy a
fait un discours devant une session extraordinaire du Congrès ( Sénat et
Assemblée nationale réunis) qui s'est tenue dans l'ancien palais royal de
Versailles. Le discours était annoncé comme étant sa réaction à l'élection
européenne de juin et une réaction de plus à la crise économique, avec
notamment un appel à un emprunt public visant à financer les dépenses du
gouvernement, en d'autres termes des prêts massifs au gouvernement payés par la
population.
Citant des sources anonymes de l'Elysée, avant le
discours, Le Monde a écrit que le discours aborderait le problème de
« l'insatisfaction exprimée par les Français, notamment les classes
populaires, qui n'ont pas voté aux européennes ». L'abstention dans cette
élection était très importante, s'élevant à 59 pour cent, et tout
particulièrement dans les régions ouvrières.
Le discours a consisté en un appel, nationaliste et
anti-immigrés, aux traditions de la politique de collaboration de classes, à
renfort de promesses démagogiques pour maintenir le « pacte social »
de la France tout en détruisant les conditions de vie de la classe ouvrière. Sa
vision du pacte social est absolument réactionnaire. Il a défini
« l'égalité » comme « la promotion
sociale fondée sur le mérite et le talent, » c'est-à-dire un
principe compatible avec les niveaux grotesques d'inégalité sociale engendrés
par le capitalisme moderne.
Il a aussi lancé des appels réactionnaires au sentiment
anti-immigrés et au tout sécuritaire cherchant ainsi à faire un appel de pied
aux individus les plus réactionnaires de la société française et à détourner
l'attention de sa politique régressive.
Dans une attaque fondamentale contre les libertés
individuelles, il a visé tout particulièrement l'infime minorité de femmes
musulmanes en France qui portent la burqa, un vêtement qui recouvre tout le
corps ne laissant d'ouverture que pour les yeux, et les a quasiment déclarées
hors-la-loi: « Je veux le dire solennellement, la burqa n’est pas la
bienvenue en France. Nous ne pouvons pas accepter dans notre pays des femmes
prisonnières derrière un grillage, coupées de toute vie sociale, privées de
toute identité. »
Présenter comme une défense des droits de la femme une
mesure visant à rendre illégale un comportement personnel fondé sur des
croyances religieuses est totalement cynique. Bien que Sarkozy l'ait présenté
comme une extension du principe de laïcité exigeant la neutralité de l'Etat sur
les questions religieuses, il s'agit en fait d'une intrusion délibérée de
l'Etat sur ce qui relève de la conduite individuelle et qui s'en prend à une
religion en particulier. Cela crée un précédent extrêmement dangereux par
lequel la conduite ou les croyances, qu'elles soient d'ordre religieux,
politique ou autre, peuvent être rendues illégales uniquement par le fait de
l'exécutif.
Tandis que Sarkozy mettait en avant la bigoterie
anti-musulmane en réprimandant les femmes qui portent la burqa, il a fortement
insisté pour défendre l'influence de l'Eglise.« Nous ne sommes pas menacés
par le cléricalisme. Nous le sommes davantage par une forme d’intolérance
qui stigmatise toute appartenance religieuse. »
Sarkozy a aussi annoncé un programme de construction de
prisons, cyniquement déguisé en une rhétorique sur les droits des victimes et
la compassion à l'égard des prisonniers: « Qu’elle est la liberté
pour les victimes si leurs agresseurs ne sont pas punis ? Comment peut-on
parler de justice quand il y a 82000 peines non exécutées parce qu’il
n’y a pas de places dans les prisons? » Il a ajouté que la
construction de prisons était nécessaire à la protection de la
« dignité » des prisonniers actuellement dans des prisons
surchargées.
La politique économique de Sarkozy, fondée sur ces
principes politiques, est celle de la bourgeoisie internationale: elle consiste
à utiliser la crise économique mondiale comme prétexte pour attaquer le niveau
de vie de la classe ouvrière. Sarkozy l'a ainsi exprimé à Versailles: « Considérer
la crise comme une parenthèse qui sera bientôt refermée, faire comme si tout
devait recommencer comme avant, comme si on allait pouvoir penser comme avant,
se comporter comme avant, avec les mêmes critères, les mêmes méthodes, serait
une erreur fatale. »Il a ajouté «la
crise nous rend plus libres d’imaginer un autre avenir. »
Sarkozy a mentionné le déficit budgétaire qui, selon les
projections actuelles, devrait atteindre 7 pour cent du PIB, soit 140 milliards
d'euros. La dette nationale s'élève à 72,9 pour cent du PIB selon l'INSEE,
institut de statistiques nationales. Les limites européennes fixées par
Maastricht et visant à protéger la valeur de l'euro s'élèvent à 3 pour cent et
60 pour cent du PIB, respectivement, concernant le déficit budgétaire annuel et
l'ensemble des dettes des pays de l'eurozone.
Sarkozy a divisé le déficit en un « déficit
structurel » qui « doit être ramené à zéro par des réformes
courageuses », car il « finance les mauvaises dépenses, les
gaspillages, l’excès de bureaucratie, les frais de fonctionnement trop
élevés » Le « bon déficit » est, quant à lui, celui qui
« finance de bons investissements. » Comme son discours l'a
clairement fait entendre par la suite, le « mauvais investissement »
est celui associé aux services sociaux pour la classe ouvrière et le « bon
investissement » est celui permettant au capitalisme français de maintenir
sa compétitivité technologique et financière sur les marchés mondiaux.
La mesure phare du discours est le lancement d'un emprunt
national extraordinaire pour financer l'investissement prioritaire: « Avec
le premier ministre », a-t-il dit, « nous procéderons à un
remaniement du gouvernement. Son premier travail sera de réfléchir à nos
priorités nationales et à la mise en place d’un emprunt pour les financer. »
L'usage qui serait fait de cet argent n'a pas été
spécifié; Sarkozy a mentionné le développement de l'industrie de haute
technologie et de l'environnement, la recherche et l'éducation comme possibles
priorités. L'emprunt national proposé par Sarkozy s'est révélé très
impopulaire: 82 pour cent des personnes interrogées dans un sondage IFOP les 25
et 26 juin ont déclaré ne pas avoir l'intention de prêter de l'argent au
gouvernement.
Les promesses qu'il a faites dans son discours
d'« élévation du niveau de vie » et d’« amélioration du
bien-être » sont démenties par les les coupes sociales sur lesquelles il
insiste pour poursuivre son programme de réforme réactionnaire. Il a annoncé de
nouvelles attaques contre les retraites: « Il faudra que tout soit mis sur la
table : l’âge de la retraite, la durée de cotisation, la pénibilité.
Toutes les options seront examinées. Les partenaires sociaux feront des
propositions. Je n’ai pas l’intention de fermer le débat avant
qu’il ne soit ouvert. Mais quand viendra le temps de la décision, à la mi
2010, je prendrai mes responsabilités. »
Sarkozy a aussi annoncé que 16 000 postes
d'enseignants seront supprimés, participant d'une plus grande suppression de 34 000
postes dans le service public, et que « Nous irons plus loin dans la
maitrise des dépenses de santé. »
Il a proposé une refonte du système des collectivités
locales et de la réduction draconienne du nombre d'élus. La taxe
professionnelle, principale source de financement locale pour les services
sociaux, et qui est prélevée sur les entreprises locales, sera abolie. Des
ressources alternatives n'ont pas encore été annoncées.
Comme pour confirmer les priorités anti-ouvrières du
gouvernement, juste avant le discours de Sarkozy, le ministre du Travail a
annoncé que le salaire minimum ne serait augmenté que du minimum légal de 1,3
pour cent le 1er juillet. Il passera de 8,71 à 8,82 euros de l'heure. C'est la
troisième année de suite que Sarkozy refuse de donner le coup de pouce
traditionnel au salaire minimum.
Les premières mesures pour l'application des propositions
contenues dans le discours de Sarkozy laissent clairement entendre qu'il
s'appuie sur la collaboration des partis de la gauche bourgeoise, dont le Parti
socialiste (PS), et les staliniens du Parti communiste (PC.)
Sarkozy a depuis réorganisé son cabinet, promouvant à la
fois son idéologie sécuritaire de droite et sa poursuite de l'absorption de la
gauche bourgeoise. Le remaniement ministériel a élevé Brice Hortefeux,
collaborateur politique de longue date de Sarkozy, au poste de ministre de
l'Intérieur. Le bilan de Hortefeux est une preuve de plus de la confrontation
répressive que Sarkozy prépare contre les travailleurs et les jeunes. En tant
que ministre de l'Immigration, Hortefeux a gagné ses galons du fait de ses
rafles policières d'immigrés sans papiers et de ses attaques contre les
organisations d'aide aux immigrés, dans la poursuite de son objectif de
26 000 reconduites aux frontières par an de sans-papiers.
Sarkozy a nommé ministre de la Culture Frédéric
Mitterrand, neveu de l'ancien président socialiste François Mitterrand. Ce coup
de propagande est la continuation de sa politique d'ouverture par laquelle
Sarkozy a débauché des personnalités en vue du Parti socialiste, tels Bernard
Kouchner et Jack Lang, pour les intégrer à son équipe, ce qui lui a permis de
s'afficher comme le président qui unit la nation en passant par dessus les
clivages de partis.
Le 23 juin, l'Assemblée nationale a établi une commission
d'investigation sur le port de la burqa. Ce comité, encouragé le plus
notablement par le député PC de Vénissieux 'banlieue de Lyon) André Gérin,
devra remettre son rapport en novembre. Une telle commission ouvrira la voie à
des attaques encore plus importantes contre les libertés individuelles fondamentales
et les droits démocratiques en France.
La date de remise de ce rapport n'est pas anodine non
plus, car la commission rendra son rapport à un moment de fortes tensions
sociales. Les troubles sociaux semblent inévitables après les vacances d'été,
au moment où 600 000 jeunes quittant l'enseignement entreront sur un marché du
travail stérile et où le taux de chômage s 'élèvera à plus de 10 pour cent
de la population active. Déjà la France connait une vague de grèves,
d'occupations et de séquestrations de patrons dans le secteur privé et des
mouvements de masse se développent dans le secteur public.
La bourgeoisie française cherchera à utiliser la
commission sur la burqa et la collaboration des syndicats pour désorienter et
étouffer les protestations des travailleurs. Le Monde écrivait le 24
juin: « M. Sarkozy veut éviter toute explosion sociale, alors que
l'automne sera marqué par l'envolée continue du chômage et l'arrivée des jeunes
sur le marché du travail. Le chef de l'Etat compte impliquer les syndicats et
les corps intermédiaires. »