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Allemagne : les travailleurs d'Opel luttent contre la suppression du "salaire
vacances"
Par Ulrich Rippert
29 juillet 2009
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Dans les usines d'Opel à Bochum la résistance grandit contre les baisses de
salaire continuelles, la démolition des acquis et autres détériorations des
conditions de travail. Lors d'une assemblée générale de l'entreprise au "Ruhr-Congress"
de Bochum, les plans de la direction d'Opel quant à une suppression jusqu'à
nouvel ordre du "salaire vacances" se sont heurtés à une véhémente opposition.
Le discours du chef du personnel, Holger Kimmes, fut interrompu plusieurs
fois par des huées et des sifflets. Kimmes a annoncé que la direction de
l'entreprise supprimait le versement du salaire vacances pour l'année en cours
et pour l'ensemble des 25.000 salariés d'Opel en Allemagne et ce, en accord avec
le comité général d'entreprise. Cette mesure faisait partie selon lui du "plan
de sauvetage" d'Opel soutenu par l'IG Metall, le syndicat de la métallurgie, et
par les comités d'entreprise du groupe.
Plus d'une vingtaine de salariés, bien plus que d'habitude, ont alors pris la
parole au micro de la salle et ont souligné que cette décision n'était pas
acceptable. Le salaire vacances représentait 500 euros pour trois semaines de
vacances et les salariés les avaient déjà planifiés. Plusieurs intervenants ont
dit que le non versement du deuxième volet de la hausse de salaire de 1,2 pour
cent, imposé au mois de février, avait déjà été douloureux. S'y sont ajoutées,
au fil des mois, des pertes de salaires de plusieurs centaines d'euros par mois,
dues au chômage technique, qui dure déjà depuis un bon moment.
Lorsque le chef du personnel répondit que l'alternative à la suppression du
salaire vacances était bien connue, (il faisait allusion à la fermeture de
l'usine, n.d.t.) il provoqua un nouveau concert de sifflets. Deux jours plus
tard, 200 salariés de l'usine se sont rassemblés sur plusieurs équipes dans les
usines Opel de Bochum et ont organisé une manifestation de protestation
spontanée avec des pancartes qu'ils avaient confectionnées eux-même et disant :
"Nous n'acceptons pas le chantage!". C'est surtout le fait que le président du
Comité général d'entreprise, Klaus Franz, avait soutenu l'annulation du salaire
vacances dans une lettre d'information distribuée à la mi-juin, qui a provoqué
la colère de nombreux salariés.
Etant donné la montée de la résistance aux mesures de la direction, le comité
d'entreprise de Bochum s'est vu obligé de publier sa propre déclaration, en
commun avec l'IG Metall locale. On peut y lire que la décision quant au salaire
vacances était une « mesure prise unilatéralement par la direction ». L'IG
Metall de Bochum et le comité d'entreprise du site de production de Bochum
n'avaient donné « aucun accord » quant à l'annulation du salaire vacance.
L'action de la direction « ne pouvait être acceptée ». Le droit au salaire
vacances était « garanti par l'accord tarifaire ».
Parallèlement à cette déclaration, le comité d'entreprise de Bochum a engagé
une action en justice afin d'obtenir une injonction contre la direction de
l'usine. Vendredi dernier, le tribunal des prud'hommes de Bochum a refusé de
prononcer une telle injonction. Selon la décision du tribunal, le comité
d'entreprise n'était pas, dans ce cas, habilité à représenter les salariés
devant une cour. Selon le tribunal, c'est chaque salarié affecté par le non
versement du salaire vacances qui doit porter plainte de façon individuelle.
Le syndicat offrit alors à ses adhérents une prise en charge légale, mais son
avocat, Michael Dornieden, dit clairement que de telles plaintes avaient peu de
chances d'aboutir. Il expliqua devant la presse que chaque salarié d'Opel devait
démontrer au tribunal qu'il n'avait aucune possibilité, pas même avec l'aide
d'un crédit, de financer des vacances qu'il avait déjà organisées.
Le double-jeu cynique du syndicat et du comité d'entreprise
L'attitude du comité d'entreprise de Bochum, comme celles des CE des autres
usines, a avant tout pour but de garder le contrôle des salariés et d'empêcher
toute action indépendante de leur part. Face à la résistance croissante de
ceux-ci, il se donne donc des allures un peu plus radicales. Au tribunal, le
chef du comité d'entreprise de Bochum, Rainer Einenkel, prit des airs
ostensiblement militants, sachant bien que sa demande d'injonction avait peu de
chance de réussir. Dornieden, l'avocat, dit un peu plus tard que la décision du
tribunal n'était pas une surprise, car toute autre décision aurait représenté
une « nouveauté juridique ».
De nombreux éléments indiquent que l'action en justice du syndicat faisait
partie d'une manœuvre sordide du comité d'entreprise. Ce n'est pas l'IG Metall
qui a porté plainte pour non respect d'un accord contractuel en tant que
co-signataire de l'accord tarifaire, mais le comité d'entreprise, qui lui n'a
pas signé le contrat en question. L'IG Metall n'a pas intenté le procès parce
que ses instances dirigeantes soutiennent le renoncement au salaire vacances. A
présent, le comité d'entreprise se sert du jugement et de l'autorité du tribunal
afin d'expliquer aux ouvriers : "Vous voyez, nous avons tout essayé. Une
résistance collective à l'annulation du salaire vacances n'est pas possible et
une plainte individuelle a peu de chances de réussir."
De telles luttes bidons et de telles manoeuvres ne sont pas nouvelles de la
part du comité d'entreprise d'Opel Bochum. Dans les réunions d'entreprises et
dans les discussions personnelles, Einenkel prend vaguement ses distances
vis-à-vis des décisions du comité d'entreprise d'Opel à Russelsheim
(l'usine-mère d'Opel, n.d.t.) et cherche à donner l'impression qu'il n'est pas
d'accord. Aux réunions du Comité d'entreprise général cependant, il donne son
accord à toutes les décisions importantes.
Les faits sont clairs : selon des articles de presse non contestés le comité
général d'entreprise a décidé, à l'unanimité, lors d'une réunion du 5 juin 2009,
la création d'une société par actions, qui doit gérer une soi-disant
"participation au capital" de dix pour cent à la société Adam Opel AG qui sera
nouvellement constituée.
L'argent de cette participation au capital doit être trouvé grâce aux baisses
de salaire, à l'annulation du salaire vacances et du treizième mois et à
d'autres mesures réductrices qui toutes s'effectuent aux dépens des salariés. Là
aussi, le comité général d'entreprise était uni.
Les représentants d'Opel Bochum au comité général d'entreprise, Rainer
Einenkel, Franco Biaggiotti et M.Wilde ont également approuvé l'élection d'une
direction pour la nouvelle société par actions. Celle-ci se compose de Klaus
Franz et de trois avocats du syndicat. L'affirmation de Franz selon laquelle «
ce modèle d'une participation des salariés au capital sous la forme d'une
société par actions représentera une voie nouvelle dans un époque économique
difficile permettant de faire participer les salariés à l'opportunité d'un
nouveau départ, à hauteur de leur contribution à l'assainissement » ne fut
contestée par personne.
Au contraire, Einenkel siègera au conseil de surveillance de la nouvelle
société dont le capital provient des salariés, ensemble avec les présidents des
comités d'entreprise des autres sites de production d'Opel en Allemagne.
L'affirmation selon laquelle il s'agirait là d'étendre les droits à la
co-gestion des salariés est une tromperie délibérée. En réalité, cette nouvelle
société par actions sert exclusivement les intérêts des possesseurs de capital
et des fonctionnaires syndicaux et ceux des membres des comités d'entreprise.
Elle remplit plusieurs fonctions qui sont toutes dirigées contre les salariés.
D'abord elle sert à imposer les baisses de salaires, l'annulation prévue du
salaire vacances et du treizième mois et la suppression des diverses primes.
Deuxièmement, il s'agit de donner l'impression que des pertes, douloureuses
pour les salariés, sont réinvesties dans l'entreprise et que les salariés
obtiendraient des parts de l'entreprise et une influence sur les décisions
concernant la marche de celle-ci. De cette manière, on lie aussi les salariés
plus étroitement à l'entreprise et on peut les mobiliser plus facilement contre
les salariés des autres sites de production en Allemagne comme à l'étranger.
Troisièmement, une partie des fonctionnaires syndicaux et des membres des
comités d'entreprises deviennent non plus des co-managers mais des
co-propriétaires. Ce ne sont pas les salariés, mais certains membres des comités
d'entreprise qui deviennent, plus encore que par le passé, des possesseurs de
capital et des représentants des intérêts du trust et ce, grâce aux réductions
arrachées aux salariés.
Lorsqu'au début de l'année, le ministère du Travail projeta une nouvelle "Loi
de promotion de la participation des salariés au capital", il ne laissa aucun
doute quant à ses intentions. Dans le texte de cette loi on peut lire : « de
cette façon, on peut agir contre la polarisation de la société, renforcer les
liens des salariés avec l'entreprise et finalement améliorer la base de
l'entreprise en matière de capital propre ».
Résistance dans les autres usines
La résistance aux comités d'entreprises et aux fonctionnaires de l'IG Metall
augmente non seulement à Bochum mais encore dans d'autres sites de production.
Un ouvrier de l'usine Opel d'Eisenach revendiqua ainsi sur un forum Internet
plus d'information de la part du comité d'entreprise : « Salut Harald, quand
est-ce que vous allez enfin informer exactement les salariés sur les exigences
exactes de Magna ? (Magna veut reprendre le trust Opel) ». Il rapporta que dans
un des halls de production, il y avait beaucoup d'agitation, parce que personne
n'avait d'informations précises et que beaucoup craignaient de n'être informé
qu'une fois que tout serait décidé. Il ajouta : « Nous ne devons pas céder au
chantage ».
Un porte-parole du comité d'entreprise répondit de façon évasive qu'il ne
pouvait pas décider seul de ce qu'on rendait public ou non. En outre, on ne
pouvait pas encore faire la différence entre ce que Magna voulait en définitive
et ce qui faisait partie des « ballons d'essais ».
L'ouvrier répondit en colère : « Tu es membre du comité d'entreprise et c'est
nous qui t'avons élu, et tu as un mandat! Et informer le personnel des choses
qui sont déterminante pour son avenir fait aussi partie de ton mandat! Je ne
vois pas où est le problème et à qui tu dois encore demander la permission de
nous dire la vérité! ».
Sur ce, le membre du comité d'entreprise donna encore quelques informations
et résuma une partie des exigences de Magna en ces mots : « Pas de versements
hors tarif (pas de salaire vacances et pas de treizième mois), gel des salaires,
annulation des composantes salaires allant au-delà du tarif, plus de
contribution financière de l'employeur aux divers modèles de retraite de
l'entreprise. »
Magna exige en outre une flexibilité accrue du temps de travail, c'est-à-dire
des semaines de 6 jours avec trois équipes, allongement de deux heures du temps
de travail, jusqu'à 30 pour cent d'intérimaires, pas de paiement des heures
supplémentaires.
Ce à quoi une travailleuse d'Opel répondit que la suppression des versements
hors tarif avait à elle seule conduit à une perte de salaire mensuelle de 300
euros. « On gagne en gros 1300 euros nets mensuels avec une semaine de 6 jours –
quand les choses vont bien. Chacun peut calculer ce que cela veut dire en cas de
chômage technique. Pas besoin de vous dire ce que j'en pense: nous devons faire
quelque chose pour empêcher ça! Si l'IG Metall signe ça, elle signe son arrêt de
mort! Il ne faut pas qu'on en arrive là! ».
Quelques jours seulement après, le 9 juin, le comité d'entreprise d'Opel en
Europe acceptait une grande partie des exigences de Magna. Dans sa réponse à
Magna, il s'engageait à assurer une réduction des frais de salaire et de
prestations sociales de 265 million d'euros par an. Les membres du comité
d'entreprise confirmèrent aussi que ces économies se feraient aux frais des
salariés « qui restaient ». En d'autres mots, la suppression déjà annoncée de
10.000 à 12.000 emplois aura lieu en plus et en dehors de ces mesures d'économie.
Pour les 49.000 salariés qui restent dans les sites de production européens cela
représentera une perte de revenu mensuelle d'environ 450 euros.
La situation qui se développe chez Opel montre bien que toute lutte sérieuse
pour la défense du salaire vacances, comme de tous les emplois, n'est possible
que contre l'IG Metall et les comités d'entreprise. La mise en place de comités
d'action indépendants qui n'ont pas pour perspective les profits de Magna, mais
qui luttent pour une défense de principe des emplois, devient de plus en plus
urgente. Alors que les comités d'entreprises deviennent, de gestionnaires
associés qu'ils étaient déjà, des possesseurs de capital, et qu'ils se montrent
de plus en plus hostiles aux salariés, les travailleurs doivent eux, se tourner
vers une perspective socialiste et préparer une lutte commune de tous les
salariés dans tous les sites de production au niveau international.
(article original publié le 14 juillet 2009)