La réaction de l’« extrême
gauche » – le NPA (Nouveau parti anticapitaliste) d’Olivier
Besancenot, Lutte ouvrière et le POI (Parti ouvrier indépendant) – et du
PG ( Parti de gauche) de Jean-Luc Mélenchon à la débâcle de la
social-démocratie lors de l’élection européenne du 7 juin a été un
nouveau virage à droite déguisé en « unité de la gauche ». Malgré
toutes leurs critiques vis-à-vis du « néo-libéralisme » du Parti
socialiste, ces organisations se cramponnent avec l’énergie du désespoir à
ce parti pro capitaliste.
Quant au PS (Parti socialiste) il a réagi à
un résultat qui fut un des plus bas de son histoire en préparant une campagne commune
avec le parti conservateur de François Bayrou, le Modem ( Mouvement démocrate)
en vue des élections régionales prévues pour 2010.
L’élection européenne a laissé au PS
tout juste 16,5 pour cent de suffrages exprimés. Il fut incapable de se mesurer
à l’UMP (Union pour un mouvement populaire) le parti fortement
impopulaire du président Nicolas Sarkozy, qui obtint 28 pour cent des voix. 60
pour cent des électeurs s’abstenant, le PS a perdu tout ce qu’il
avait de soutien dans la classe ouvrière. Ce qui n’a pas empêché le NPA
de continuer de présenter le PS comme une partie de la gauche. Le NPA couvre la
trahison des intérêts de la classe ouvrière par la bureaucratie syndicale, sa
main tendue au Parti socialiste (qui entretient des liens étroits avec la plupart
des syndicats) n’est donc guère surprenante. Le NPA s’est donné
pour objectif d’unir l’ensemble de ce qu’il appelle « la
gauche » autour d’un programme d’illusions réformistes,
précisément le genre de programme qui a empêché toute opposition à la destruction
des emplois et des acquis sociaux par Sarkozy.
Une
déclaration commune du NPA et du Parti de gauche du 30 juin, traitant
d’alliances aux prochaines élections régionales, montre clairement que
tous deux s’allieraient au PS : « Au second tour, les listes
soutenues par le Parti de gauche et le NPA se battront pour faire gagner la
gauche et empêcher que des régions basculent à droite. Pour cela, les deux
organisations se prononcent d’ores et déjà pour des fusions
"techniques" ou "démocratiques" des listes de gauche à
l’exception de tout accord incluant le Modem. »
Malgré toute la rhétorique du NPA sur son
indépendance vis-à-vis du Parti socialiste motivée par la politique pro-capitaliste
de celui-ci, un tel accord ne peut que signifier qu’un soutien pour le PS
qui contrôle 21 des 22 régions de la France métropolitaine. C’est là une
trahison historique des intérêts des travailleurs autant qu’une tentative
de les lier politiquement au Parti socialiste et à ses satellites.
Le dirigeant du NPA, Besancenot, avait lancé
un appel à la gauche bourgeoise discréditée une semaine avant les élections
dans une interview à Libération : « La séquence ouverte en
janvier, la résistance massive face au gouvernement, enregistrent un ressac.
Notamment à cause du manque d’unité de la gauche syndicale et politique
[…] Quand j’entends Ségolène Royal dire aux salariés de Molex et
d’Arcelor [des sociétés qui licencient] : "L’Europe
sociale à besoin de vous", je dirais que ce sont eux qui auraient besoin
du PS, qui n’a pas pris aucune mesure pour faire que cette Europe soit
palpable. »
Le 7 juin, jour de l’élection, le NPA disait
dans une déclaration : « Nous continuons à proposer à toutes les
formations de la gauche antilibérale et anticapitaliste un accord durable valable
dans les échéances sociales et poltiques à venir, pour encourager les
convergences des luttes, plus que jamais nécessaires. »
Besancenot fut dans ses hommages au PS encore plus
explicite le 22 juin : « Nous voudrions nous retrouver avec lui dans
les luttes. Le tout ou rien à gauche, c’est fini, mais il existe une
étape intermédiaire : l’expression des désaccords sur le terrain ».
Le NPA a intensifié sa campagne pour une « unité
de la gauche » immédiatement après l’élection européenne. Le 18
juin, Besancenot disait dans le journal Métro « Le problème qui se
pose aujourd’hui à l’ensemble de la gauche sociale et politique,
c’est : est-ce qu’on est capable de rassembler toutes nos
forces pour stopper le gouvernement dans les semaines et mois à venir ? On
a besoin d’une victoire sociale du type de ce qu’on avait pu
connaître au moment de contrat de première embauche sous Villepin. Tant
qu’on ne l’aura pas, c’est le gouvernement qui garde la main ».
Le fait que le gouvernement « garde la
main » est entièrement dû au fait que les syndicats travaillent main dans
la main avec Sarkozy. Le NPA couvre ainsi la bureaucratie syndicale.
L’évocation ici du mouvement du CPE est
frauduleuse. Ce que le NPA appelle une « victoire » du type CPE sur
le premier ministre Dominique de Villepin en 2006 (il fut obligé de retirer en
partie la législation CPE à la suite d’une mobilisation de masse des
jeunes), s’est en fait avéré être une victoire pour Sarkozy. Il était
alors ministre de l’Intérieur et rival acharné de Villepin et du
président Jacques Chirac. Il prit l’initiative de faire des concessions
et d’organiser la fin des mobilisations en alliance avec les syndicats.
Il devint ensuite le candidat de l’UMP à la présidence, ayant écarté
Chirac et Villepin. On se sert de telles « victoires » pour empêcher
la classe ouvrière de tirer des leçons politiques et de lutter pour ses
intérêts indépendants.
Pour le NPA, l’avenir de la classe ouvrière
dépend de ce que la bureaucratie syndicale et la « gauche » (dans
laquelle il inclut le Parti socialiste) sont disposées à faire. Il écrit :
« Si la gauche politique et syndicale ne travaille pas de concert, nous
n’en finirons pas de payer leur crise ! » Etant donné que les
partis politiques comme le PCF (Parti communiste français) et le Parti de
gauche récemment constitué (une scission du Parti socialiste) collaborent
étroitement avec le Parti socialiste, ceci revient à un appel lancé à des
forces « de gauche » prêtes à entrer dans un gouvernement bourgeois
de gauche sur la base d’un programme pro-capitaliste.
A cette fin, le NPA pétitionne cette
« gauche » pour qu’elle organise une grève générale sur la base
de la revendication d’« interdiction des licenciements ». Comme
elle n’a aucune perspective d’un gouvernement ouvrier basé sur un
programme socialiste, cette revendication ne peut être comprise que comme un
appel lancé à Sarkozy et aux syndicats, qui sont responsables d’imposer
la crise à la population travailleuse.
Le NPA a abandonné toutes ses réserves quant
à l’alignement permanent du Front de gauche (l’alliance électorale
du PC et du PG pour les européennes) sur le PS, même si leurs dirigeants
respectifs, Jean-Luc Mélenchon du PG et Marie-George Buffet du PCF, ont tous deux
fait partie de récents gouvernements bourgeois. Les 6,1 pour cent obtenus par
le Front de gauche qui devance le NPA (4,9 pour cent) n’ont fait que
pousser ce dernier dans des manœuvres d’unité encore plus
désespérées. Il a maintenant l’intention de se présenter sur des listes
communes avec le Front de gauche à l’élection municipale
d’Aix-en-Provence.
Quant à ce soi-disant Front de gauche, il
fait office d’intermédiaire entre le Parti socialiste et l’« extrême
gauche ». Entre 1981 et 2002, le PCF a fait à maintes reprises partie de
gouvernements dirigés par le Parti socialiste, jouant un rôle crucial dans
l’attaque du niveau de vie de la classe ouvrière.
Ayant comme slogan « Pour une autre
Europe », le Front de gauche a fait campagne avec un vague programme de
protestation contre le « néo-libéralisme » dominant l’Union
européenne et pour une réforme de celle-ci dans le sens de plus de
réglementation financière, d’une intervention accrue des Etats dans
l’économie au niveau national et pour plus « d’Europe
sociale » sur base de capitalisme.
Le Parti de gauche appela le résultat électoral
catastrophique des sociaux-démocrates la « sombre réalité de la
social-démocratie ». Le Parti de gauche y voit la cause de la
« victoire de la droite » pour laquelle une partie de la classe
ouvrière voterait, l’autre « décrochant de la vie politique ».
L’éclatement de la social-démocratie a
également causé le désespoir du Parti ouvrier indépendant (POI), un parti qui a
rompu avec le trotskysme en 1971. Un éditorial de son journal Informations ouvrières
écrit par le dirigeant du parti, Daniel Gluckstein, analysait ainsi la situation :
« Ce 7 juin a montré la profondeur de la crise de la démocratie politique.
La marche à la dislocation des partis — dont l’existence est partie
prenante de la démocratie politique, au même titre que les syndicats ouvriers
— ne saurait constituer un signe positif. la reconquête de la démocratie
est à l’ordre du jour…. S’ils ne veulent pas poursuivre leur
descente aux enfers, les partis qui se réclament de la classe ouvrière et de la
démocratie n’ont pas d’autre choix : il leur faut rompre avec
toute subordination à l’Union européenne. » Le POI n’a pas
présenté de candidats à l’élection de peur de légitimer les institutions
de l’Union européenne et de ternir sa réputation nationaliste.
Le POI craint non seulement un éclatement de
la social-démocratie, mais il veut encore sauver la démocratie bourgeoise aux
dépens d’une réorganisation socialiste de la société. Et au lieu de la
solidarité internationale des travailleurs, le POI avance vis-à-vis de
l’Union européenne un nationalisme grossier. Comme le NPA, le POI appelle
lui aussi à l’« unité de la gauche » au cours d’une
campagne commune pour « interdire les licenciements ».
La réaction du groupe Lutte ouvrière aux résultats de
l’élection, où il obtint 1,22 pour cent, fut de pratiquement ignorer
l’effondrement de la social-démocratie en Europe. Sa dirigeante, Arlette
Laguiller, écrit ainsi : « Mais même dans l’opposition, le Parti
socialiste n’a rien à dire aux exploités… Ce qui comptera,
c’est la capacité et la volonté de la classe ouvrière à se
mobiliser… », ce qui n’a pas empêché LO de rejoindre le PCF et
le PS sur des listes communes aux élections municipales de mars 2008.
Dès que l’élection eut été achevée, les
staliniens et leurs sauveteurs sociaux-démocrates du Parti de gauche poussèrent
à la mise en place d’un instrument politique capable de fonctionner comme
une partie d’un gouvernement bourgeois « de gauche »
d’alternative. Dans son premier discours après l’élection,
Mélenchon appelait à la poursuite du Front de gauche sous forme d’un
« Front permanent » pour toutes les élections y compris les élections
législatives et présidentielles de 2012. Il adressa cette proposition « à
toute l’autre gauche, notamment au NPA, aux Alternatifs, à Ecologie solidaire,
AlterEkolo, et au MRC [Mouvement républicain et citoyen]. »
Il ne laissa aucun doute
quant au fait que l’objectif de ces alliances était de ramener des
gouvernements bourgeois comprenant les sociaux-démocrates . « Pour ces
raisons, le Parti de gauche se prononce pour la constitution de listes
autonomes du Front de gauche, composées avec toute l’autre gauche [les
partis de la gauche radicale petite-bourgeoise]. De telles listes pourraient
prendre la tête de la gauche et faire élire de nouveaux exécutifs pour nos
régions. Si elles n’y parvenaient pas, elles se mobiliseraient évidemment
pour battre la droite au deuxième tour. Elles seraient bien sûr disposées pour
cela à fusionner avec la liste de gauche arrivée en tête si les conditions
politiques le permettent, notamment si celle-ci ne comprend pas de représentants
du Modem ».
Mélenchon et le PCF sont fermement orientés
vers le PS, qui est une partie essentielle de leur calculs politiques.
Mélenchon sème des illusions réformistes, appelant « solennellement »
la direction du PS « à changer d’orientation en rompant ses liens
avec la droite européenne et les politiques libérales qu’ils
impliquent ».
Le PS a besoin du Front de gauche et de
l’« extrême gauche » pour pouvoir survivre en tant que
principal parti d’opposition. Une dépendance mutuelle de la
social-démocratie et de la « gauche » radicale fut résumée ainsi par
l’ancien premier secrétaire du PS, François Hollande : « Un PS
faible, et c’est toute la gauche qui souffre ».