Les chefs
d’Etat présents au sommet du G8 en Italie ont été pris par surprise hier
lorsque le président chinois Hu Jintao a soudainement décidé de retourner en
Chine pour gérer la crise au Xinjiang. Les espoirs de voir la Chine jouer un
rôle important dans les discussions sur la crise financière mondiale ont été
anéantis par les développements au Xinjiang, qui soulignent à quel point les
tensions sociales deviennent importantes au pays.
Jusqu’à
maintenant aucun dirigeant n’a condamné publiquement les sérieux actes de
répression menés par les forces de sécurité chinoises à Urumqi ou contesté
l’assertion de Pékin que ses troupes lourdement armées sont sur place
pour maintenir l’ordre social et empêcher un autre conflit ethnique.
La secrétaire
d’Etat américaine Hillary Clinton a affirmé : « Nous
connaissons la longue histoire de tensions et de mécontentement, mais le
problème le plus urgent est de mettre fin à la violence. » Le premier
ministre australien Kevin Rudd a quant à lui déclaré : « Il est
maintenant nécessaire que toutes les parties fassent preuve de modération afin
de régler ces difficultés dans la paix. »
Hu fut le
secrétaire du Comité du Parti communiste chinois (PCC) pour le Tibet et dirigea
la répression sanglante des manifestations locales dans cette région en 1989.
Dans les semaines qui suivirent ces manifestations, les tensions sociales
éclatèrent nationalement et ne furent stoppées qu’avec le massacre de la
place Tiananmen. La crise du Xinjiang pourrait elle aussi potentiellement
amorcer le baril de poudre social en Chine, ce qui aurait de lourdes
implications pour le capitalisme mondial.
Le retour
soudain de Hu signifie que la direction du PCC perçoit la manifestation des Ouïgours
à Urumqi dimanche dernier et les subséquents conflits ethniques au Xinjiang
comme une crise nationale. Pékin est éminemment conscient que les troubles au
sein des minorités nationales ont de profondes racines sociales.
L’élément
qui a déclenché la manifestation à Urumqi se trouvait non pas au Xinjiang mais
dans la province du Guangdong, à des milliers de kilomètres de là, où le
programme du parti au pouvoir pressant les employeurs à se servir des minorités
ethniques pauvres en tant que main-d’œuvre à bon marché a mené à des
tensions ethniques avec la population chinoise han.
Alimentées par
le chauvinisme han qui est mis de plus en plus de l’avant par le PCC, les
tensions ont éclatées le mois dernier dans une attaque mortelle contre des
travailleurs ouïgours à une importante usine de jouets à Shoaguan. L’incident
a déclenché une immense colère qui avait été réprimée, et dont la source se
retrouve dans les inégalités sociales et la discrimination ethniques parmi les
masses ouïgoures, qui font partie des sections les plus opprimées de la classe
ouvrière chinoise.
Un commentaire
publié mercredi dans le People’s Daily a présenté les troubles au
Xinjiang comme une question de la transgression de la « loi et de
l’ordre » et appela à la reconstruction de l’autorité de
l’Etat afin de rétablir l’ordre social. Il n’est pas clair
cependant comment le régime peut faire cela sans l’utilisation de la
force, ce qui ne ferait qu’enflammer la situation.
Les médias, sous
contrôle d’Etat, continuent de publiciser des histoires horribles et
sanglantes de foules ouïgoures attaquant des civils hans. Li Zhi, le secrétaire
du PCC à Urumqi, a déclaré hier que bien que les étudiants universitaires
avaient été trompés et qu’ils devaient donc être traités avec indulgence,
« ceux qui ont commis des crimes de façon cruelle » allaient être
exécutés.
Le message de Li
a révélé l’orientation de classe du régime, soit une orientation
semblable à celle qui a animé le massacre de la place Tiananmen en 1989. Bien
que l’on puisse faire preuve d’indulgence envers certains
étudiants, les travailleurs et les pauvres de la ville, que l’on présente
comme des « foules » ou des « voyous », méritent un
châtiment brutal ou la mort. Des groupes ouïgours en exil soutiennent que de
600 à 800 manifestants ouïgours ont été tués par les troupes du gouvernement et
que 3000 ont été arrêtés.
Les chefs de
l’appareil d’Etat-policier de la Chine étaient à Urumqi hier pour
une démonstration de force de milliers de paramilitaires envoyés dans la
province, qui est riche en ressources. Des policiers avec l’équipement
anti-émeute ont marché à travers la ville, lançant des slogans appelant à la
stabilité sociale. Des hélicoptères surveillaient les alentours tandis que des
véhicules blindés armés de mitraillettes patrouillaient les rues.
Lors d’une inspection de 2000
policiers armés au Square du peuple, le chef national de la police
paramilitaire, Wu Shuangzhan a dit que le 8 juillet était « le jour le
plus important » pour rétablir l’ordre. Devant les caméras de télévision
lors de sa visite d’un hôpital où se trouvaient des policiers blessés, le
ministre de la Sécurité publique Meng Jiangzhu a réitéré que les manifestations
de dimanche étaient un crime violent provoqué par les séparatistes sous la
direction de la dirigeante ouïgoure, Rebiya Kadeer.
Le mardi 7 juillet, le secrétaire du PCC
local Li a publiquement convaincu les manifestants Hans de rentrer chez eux,
parce que les autorités « exécuteront les meurtriers ». Alors que les
affrontements entre les Ouïgours et les Hans continuaient dans certaines
parties de la ville, Li a menacé de punir tous ceux qui ne respecteraient pas
la loi, peu importe leur origine ethnique. Quelques Hans ayant agressé des
Ouïgours ont été arrêtés ce jour-là.
Toutefois, les mesures de sécurité mises en
place par le régime n’ont fait qu’encourager les éléments les plus
arriérés des communautés Hans, ceux qui appellent à la vengeance contre les
résidents ouïgours innocents. Des reportages ont montré des Hans qui circulaient
avec des bâtons, des barres d’acier et des objets tranchants, disant
vouloir se protéger.
Associated Press a fait état de la peur qui
gagne les quartiers ouïgours : « Lorsque quelqu’un cria
"Les Hans arrivent", les enfants coururent se cacher dans les maisons
et les femmes se sauvèrent en criant dans les petites rues des marchés…
En quelques secondes, les hommes se sont armés de lances qu’ils avaient
préalablement cachées derrière des portes ou des étals… Des tas de
pierres avaient été placés de l’autre côté de la rue en tant que
munition. »
En réalité, les Ouïgours sont devenus des
citoyens de deuxième classe en Chine. Le Financial Times a rapporté
mercredi dernier que les conditions à Balikun, un quartier ouïgour pauvre de
Urumqi où « les ruelles sales et les maisons de béton noirci… ne
souffrent pas la comparaison avec les nouveaux développements immobiliers qui
ont poussé comme des champignons dans toute la ville », principalement
pour les résidents Hans. Un jeune de la ville a dit au quotidien :
« Plusieurs jeunes ne font rien. Il n’y a pas beaucoup
d’emplois réguliers. »
La plupart des résidents du quartier
viennent des parties rurales et moins développées du Xinjiang. La majorité des
femmes musulmanes sont voilées et parlent très peu le mandarin alors que la
plupart des hommes travaillent dans un des abattoirs de la région ou encore
sont chômeurs.
L’expansion de la construction et de
l’industrie minière au Xinjiang a surtout été une source d’emplois
pour les Hans et pas pour les Ouïgours, moins qualifiés et ne pouvant échanger
facilement avec les gestionnaires. Les petits commerces, les restaurants et les
hôtels appartenant à des Hans écrasent très souvent leurs compétiteurs locaux
ouïgours.
La politique gouvernementale consistant à
encourager les Ouïgours à immigrer dans les provinces de l’Est pour y
travailler ne contribue pas à les intégrer. Loin de leur village de naissance,
leur origine paysanne et ethnique entre en conflit avec le capitalisme urbain
en effervescence, alors que les Ouigours doivent composer avec une discipline
très dure au travail et faire de longues heures dans de misérables ateliers de
misère.
Le sort des Ouïgours est lié aux immenses
conflits de classe, conséquence des politiques pro-capitalistes du PCC. Le
magazine de Hong Kong Cheng Ming a rapporté en février que le nombre de
manifestations, de pétitions et de protestations en Chine atteignait
127 467 en 2008, impliquant 12 millions de personnes. Il y avait
87 000 incidents du même genre en 2005. Parmi les protestations de 2008,
467 ont connu des entrées de force dans des édifices publics locaux, 615 ont vu
des attaques contre la police et les autorités judiciaires et 110 ont vu des
attaques contre des édifices et des véhicules du gouvernement central.
Les 19 et 20 juin, jusqu’à
70 000 manifestants en colère se sont battus avec 10 000 policiers et
soldats dans la ville de Shishou dans la province de Hubei sur la question de
la corruption officielle et de la collusion avec le monde des affaires. Deux
jours plus tard, un millier d’étudiants de l’Ecole technique et
industrielle de Nanjing ont brisé des vitres, saccagé des véhicules et le
supermarché du campus après avoir appris qu’ils n’auraient plus
leur diplôme, ce qui signifie pour eux un avenir encore plus
bloqué.