Si l'annonce d'une nouvelle
enquête sur la guerre en Irak par le premier ministre Gordon Brown était censée
enterrer toutes les questions sur l'invasion plus que discutable, elle a eu
l'effet opposé.
Brown a annoncé cette nouvelle
enquête au début de la semaine. Ce sera la cinquième enquête sur l'Irak depuis
2003. Y compris l'enquête d'Hutton sur le prétendu suicide de l'inspecteur en
chef des armes irakiennes, David Kelly, et l'enquête de Butler sur les sources
d'informations utilisées pour justifier l'invasion.
Toutes ces enquêtes ne portaient
que sur des points précis liés à la guerre, elles n'ont servi que d'opération
de camouflage.
On prétend que celle-ci sera
différente. Elle couvrira la période qui s'étend de 2001 au retrait des troupes
anglaises d'Irak au début de cette année. Cependant, Brown a insisté sur le
fait que cette enquête « devra identifier les leçons à tirer. Elle ne se
lancera pas dans l'attribution de mauvais points, ni n'envisagera les questions
de responsabilité civile ou pénale ».
À cette fin, Brown a déclaré que
l'enquête — qui sera menée par un comité de conseillers de son cabinet
sous l'autorité de Sir John Chilcot — se déroulerait en secret, les
« informations les plus sensibles » n'étant pas divulguées au public
pour des raisons de « sécurité nationale », ses conclusions ne seront
pas révélées avant les élections générales de mars 2010.
Le fait que Brown ait dû
accepter une nouvelle enquête montre que sont gouvernement traverse une crise
politique. Non seulement, le Parti travailliste a perdu le soutien populaire,
il a également perdu sa crédibilité aux yeux de sections de l'élite dirigeante
qui s'impatientent de ce qu'il n'est pas capable de prendre les initiatives
qu'elles jugent nécessaires.
Ayant accepté une enquête à
laquelle il s'était opposé pendant des années, Brown espérait garder ses
discussions secrètes. Mais ses plans ont presque immédiatement tourné
court, il aurait été contraint d'accepter qu'une partie de l'enquête soit
publique.
Le dirigeant conservateur, David
Cameron, entre autres, a critiqué le caractère globalement secret de l'enquête,
arguant que « quelques sessions publiques » devraient faire
« partie de la stratégie de mise en confiance du public qui est absolument
nécessaire ».
Le Parti conservateur a soutenu
l'invasion, Cameron a reconnu que « le conflit irakien cause une grande
division », mais il a poursuivi, « ce sur quoi l'on peut être
d'accord, ce sont le professionnalisme et la bravoure des forces armées, le
service qu'elles ont rendu à notre pays, et la dette que nous avons envers tous
ceux qui ont perdu la vie ».
Il y a eu des plaintes plus
larges sur le caractère très restreint de la proposition de Brown, de la part
d'autres partisans de la guerre, y compris au sujet de l'exclusion des
militaires de la discussion.
Ce genre de critique des
auditions à huis clos du gouvernement n'a rien à voir avec une authentique
responsabilité démocratique. Pour les puissances en place,
« restaurer » l'image de l'armée et « tirer les leçons » de
la guerre d'Irak sont essentiels pour leurs objectifs à plus long terme.
Le quotidien de droite Telegraph
est du même avis que Brown, l'enquête ne doit pas « distribuer les mauvais
points ». Mais il défend l'idée dans son éditorial qu'un examen de
« cette coûteuse intervention étrangère » était nécessaire. Plus
important encore, il faut tirer les leçons de ce qu'il décrit avec regret comme
l'absence de tout « plan d'après-guerre » qui a condamné l'Angleterre
à s'enfoncer dans une occupation de longue durée.
« Les forces britanniques
étant déployées en Afghanistan sans que l'on entrevoit la fin, il est plus
important que jamais de tirer les leçons des erreurs commises en Irak »,
avertit le journal.
Dans le Guardian,
Jonathan Steel a postulé deux modèles possibles pour une enquête. L'un,
« et ce que de nombreuses familles de soldats anglais tombés veulent,
chercherait à régler de comptes en donnant les noms de tous ceux qui ont pris
les décisions déterminantes, les hauts fonctionnaires comme les ministres. Un
autre type d'enquête consisterait à tirer des leçons », explique-t-il.
Steel poursuit, « Mon
opinion c'est qu'une enquête qui règle des comptes n'est pas la bonne route à
suivre... Cela donnerait un aspect principalement punitif à la procédure et ne
donnerait lieu, au mieux, qu'à un passage de patate chaude entre fonctionnaires
et ministres, et au pire, à une chasse aux sorcières alimentée par les
médias. »
Pour ce commentateur du Guardian,
« la question cruciale est que la Grande-Bretagne ne se lance plus dans
une telle "guerre par choix" à nouveau ».
Dans le Times, le
spécialiste des questions militaires Michaël Evans a exprimé son souhait que
l'enquête examine « à quel moment le gouvernement Blair a estimé que la
destruction des supposées "armes de destruction massive" de Saddam
n'était plus l'unique objectif et que le changement de régime était le
véritable but » et qu'est-ce qui « s'est vraiment passé en coulisses
lorsque — devant l'opposition de la France et de l'Allemagne — le
gouvernement britannique a abandonné sa tentative de faire passer une seconde
résolution de l'ONU en faveur de l'invasion ».
« Guerre par choix »,
« Changement de régime », machinations « en
coulisses » ? L'emploi de ces termes indique les vraies questions, le
fait que l'invasion de l'Irak constitue un acte d'agression, et que malgré
toutes les affirmations selon lesquelles Saddam Hussein représentait une menace
pour le monde, le véritable auteur de la violence, de la mort et des
destructions est l'impérialisme des États-Unis aidé par son sous-fifre
britannique.
Les affirmations selon
lesquelles l'Irak possédait des armes de destruction massive ont servi de
prétexte aux efforts entrepris par les États-Unis pour contrer leur déclin par
rapport à leurs principaux rivaux en utilisant leur puissance militaire
supérieure afin de faire prévaloir leurs intérêts dans la région riche en
pétrole du Moyen-Orient.
Avec le Royaume-Uni qui se
jetait dans l'aventure en espérant récupérer une partie des bénéfices, les
représentants politiques de l'oligarchie financière aux États-Unis et en
Grande-Bretagne ont mis au point une conspiration contre les peuples du
Moyen-Orient et leurs propres populations.
Des preuves dont on dispose
déjà, on peut déduire que Tony Blair avait accepté en privé les objectifs de
guerre des États-Unis. En public, cependant, son gouvernement produisait et
arrangeait des rapports des services de renseignement sur les supposées armes
de destruction massive de l'Irak.
Devant les condamnations
populaires, Blair a déclaré que le test d'un gouvernement était sa capacité à
ignorer la volonté populaire. En cela, il avait le soutien de la quasi-totalité
de l'establishment politique et des médias.
Les estimations du nombre de
vies iraquiennes perdues à cause de la guerre et de l'occupation se montent à 1
million. L'Irak a été réduit en cendres, ses infrastructures sont détruites en
grande partie, et des millions de gens sont devenus des réfugiés, et des
millions de plus sont confrontés au chômage et à une pauvreté extrême. 179
personnels militaires britanniques et 4315 Américains ont été tués.
La réalité brute en ce qui
concerne la bourgeoisie britannique et le gouvernement travailliste en particulier,
c'est que même une enquête visant uniquement à « tirer les leçons »
en préparation de futures guerres de conquête ouvre immédiatement la porte à
des actions en justice contre les architectes de cette guerre.
Les poursuites engagées contre
des nazis de haut rang à la fin de la Seconde Guerre mondiale ont établi que
commettre délibérément une guerre d'agression constituait un crime contre les
lois internationales.
En fait, c'était le premier chef
d'accusation contre les dirigeants nazis. Comme l'a expliqué le tribunal
international de Nuremberg : « Lancer une guerre d'agression
[…] n'est pas seulement un crime international, c'est le crime
international suprême, se distinguant des autres crimes internationaux en ce
qu'il contient en lui-même les maux cumulés de tous les autres. »
Dans le cas de la guerre d'Irak,
ces « maux cumulés » ont consisté en des tueries, de la torture, les
« interrogatoires externalisés », les détentions illégales, et des
atteintes profondes aux droits démocratiques fondamentaux de la classe
ouvrière.
Ce qu'il faut, ce n'est pas une
nouvelle enquête du gouvernement sur la guerre en Irak, mais la création d'un
tribunal apte à juger les crimes de guerre de Bush, Blair et leurs complices
dans ces actions meurtrières.
Ce n'est pas simplement une
question de vengeance contre ces individus. Laisser impunis des crimes de cette
ampleur aurait des conséquences catastrophiques sur la vie politique, sociale
et morale en Grande-Bretagne, aux États-Unis et en fait, dans le monde entier.
Cela ne pourrait que faciliter le lancement de nouvelles guerres d'agression
encore pires et toutes les atrocités qui en résultent.