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Canada : Les libéraux feignent être en guerre contre le gouvernement conservateur

Par Keith Jones
19 juin 2009

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Le premier ministre canadien Stephen Harper, chef du parti conservateur, a eu hier deux rencontres privées avec le chef de l’opposition officielle libérale, Michael Ignatieff.

De tels tête-à-tête en privé sont très rares en politique canadienne. Mais les quatre partis au parlement tentent de manoeuvrer à la veille d’un vote ce vendredi sur les crédits budgétaires du gouvernement. Si les conservateurs, qui ont une minorité de sièges à la Chambre des Communes, venaient qu’à perdre ce vote, le gouvernement tomberait, forçant ainsi une quatrième élection fédérale en cinq ans.

Lundi, lors d’une conférence de presse, Ignatieff annonça que si les conservateurs ne remplissaient pas quatre demandes des libéraux (concernant le programme d’assurance-emploi, les détails du plan de relance économique, le gonflement du déficit fédéral et la crise des isotopes médicaux) son parti voterait contre les crédits budgétaires. Ces préoccupations sont toutefois beaucoup moins importantes que ce que les libéraux tentent de présenter. Elles ont toutes été introduites comme des demandes pour obtenir plus d’information sur les projets et les actions du gouvernement. Autrement dit, elles ont été formulées de façon à donner le plus de marge de manœuvre à Ignatieff pour qu’il puisse annoncer éventuellement le recul des conservateurs devant les libéraux.

Plus tard durant la même journée, le chef libéral a commencé à se distancer de sa pseudo-menace de faire tomber le gouvernement. (Les deux autres partis de l’opposition, les sociaux-démocrates du NPD et le Bloc québécois (BQ) indépendantiste ont annoncé la semaine dernière qu’ils allaient voter contre le gouvernement.) Participant à l’émission « Power Play » de CTV News, Ignatieff a affirmé, « Je suis prêt à repousser l’échéancier au-delà de vendredi. »

 « De faibles oui » : c’est ainsi qu’Ignatieff a décrit la réponse de Harper sur la possibilité de le rencontrer pour discuter des plans du gouvernement pour élargir la couverture de l’assurance-emploi et d’un rapport sur la manière dont il allait s’y prendre afin de gérer le manque d’isotopes médicaux.

Au cours des trois dernières années, les libéraux ont soutenu à maintes reprises le gouvernement conservateur minoritaire lors de votes de confiance. Ils se sont alliés à deux reprises avec les conservateurs afin de prolonger la mission des Forces armées canadiennes dans la guerre en Afghanistan.

A la fin de l’année dernière, les libéraux ont forgé une alliance avec le NPD et le BQ pour défaire le gouvernement sur un vote de non-confiance et le remplacer par une coalition libérale-NPD. Mais l’élite de la grande entreprise a rapidement fait entendre qu’elle ne voulait pas d’une telle coalition. Elle a fortement appuyé la fermeture antidémocratique du parlement par les conservateurs, au moment même où elle sommait le gouvernement Harper d’abandonner son opposition conservatrice, idéologique et inflexible, à un déficit budgétaire et à un important plan de relance économique. (Voir : Le coup d’Etat constitutionnel du Canada : Un avertissement à la classe ouvrière)

Lorsque le parlement a été ouvert à nouveau à la fin janvier, les deux principaux partis de la bourgeoisie canadienne ont joint leurs forces pour voter le budget « de relance » des conservateurs.

Cinq mois plus tard, les libéraux sont impatients de se distinguer d’un gouvernement conservateur de plus en plus impopulaire et discrédité. Les libéraux croient que les autres partis de l’opposition ont pu marquer des points importants lors de la dernière élection en les critiquant pour leurs votes répétés en faveur du gouvernement Harper.

Mais, parmi l’élite dirigeante du Canada, comme l’ont démontré les éditoriaux de quotidiens aussi importants que le Globe and Mail, La Presse et le National Post, il n’y a pas d’enthousiasme pour des élections cet été.

Les sondages indiquent qu’aucun des partis traditionnels du gouvernement n’a de réelles chances de remporter une majorité parlementaire et ainsi de s’emparer d’un pouvoir parlementaire sans restriction et imposer le programme de la grande entreprise malgré l’opposition populaire. Il y a aussi des inquiétudes qu’une élection pendant l’été verrait un taux de participation encore plus bas que celui des élections d’octobre dernier, dans lesquelles 59 pour cent des électeurs avaient participé. Cela éroderait davantage la légitimité populaire du gouvernement. Le Globe, pendant ce temps, a clairement dit que les différences entre les libéraux et le parti conservateur sont trop petites pour justifier une élection à ce point-ci.

Les libéraux sont très conscients des sentiments de l’élite dirigeante et cela explique les manœuvres d’Ignatieff sur la colline parlementaire cette semaine.

Les manœuvres des libéraux ont été toutefois politiquement révélatrices.

Dans les derniers mois, les libéraux ont demandé une amélioration temporaire des prestations d’assurance-emploi (AE) afin que toutes les personnes qui ont travaillé 360 heures lors de la dernière année obtiennent des prestations de chômage.

Alors qu’Ignatieff a attaqué Harper pour sa virulente opposition à tout relâchement des conditions d’accès à l’assurance-emploi, ce sont les libéraux qui sont responsables des règles en vigueur qui privent une grande partie des nouveaux chômeurs de toutes prestations. Le gouvernement Chrétien-Martin, dont les libéraux ont chanté les louanges pour son administration des finances du pays, a massivement restreint les prestations de chômage dans le milieu des années 1990 dans le cadre de leur programme de coupures radicales du budget. Il avait aussi détourné des dizaines de milliards de dollars des fonds de l’AE pour les transformer en revenus pour le gouvernement, afin qu’ils soient utilisés pour financer les baisses d’impôts et le paiement de la dette au bénéfice des riches.

En mettant de l’avant leurs conditions pour supporter le gouvernement lundi, Ignatieff a dit que les conservateurs doivent expliquer comment ils comptent améliorer les prestations d’AE. Plus tard le même jour, le gouvernement a répondu en disant qu’à l’automne il allait remplir une promesse qu’il a faite lors de la campagne électorale de 2008 afin d’offrir une forme d’assurance-chômage aux travailleurs autonomes.

Jeudi, Ignatieff reculait, disant aux journalistes qu’en raison du budget déficitaire du fédéral en pleine augmentation, il est prêt à être « flexible » par rapport à son appel à élargir la couverture d’AE.

Alors que les libéraux se sont cyniquement présentés comme des défenseurs des sans-emploi, ils ont fait appel à leur véritable base, la grande entreprise, en sonnant l’alarme concernant la montée rapide du déficit budgétaire, qui selon les projections gouvernementales les plus récentes, va dépasser 50 milliards $ dans la présente année fiscale.

Lors de sa conférence de presse lundi, Ignatieff a attaqué le gouvernement pour n’avoir fait aucune référence dans le dernier rapport parlementaire la semaine dernière sur le plan de relance concernant sa promesse d’éliminer le déficit budgétaire annuel en cinq ans. Afin que les libéraux continuent de supporter le gouvernement, il a posé comme condition que les conservateurs révèlent leurs « plans… pour ramener les finances du Canada à l’équilibre ».

Cette déclaration rappelle le communiqué de presse du 12 juin du lobby patronal le plus puissant du Canada, le Conseil canadien des chefs d’entreprise qui affirmait que « c’était maintenant le temps de commencer à penser à un plan pour revenir à l’équilibre fiscal ».

En réponse aux critiques d’Ignatieff, le ministre des Finances Jim Flaherty a réitéré la promesse du gouvernement conservateur d’éliminer le déficit pour l’année budgétaire de 2013-2014 et d’y arriver sans augmentations d’impôts ou de coupes draconiennes dans les dépenses.

Les libéraux laissent entendre qu’on ne peut croire de telles affirmations, mais, par crainte de la réaction populaire, ils sont aussi muets que les conservateurs sur leurs plans pour éliminer le déficit.

Mardi soir, des adjoints de Harper et Ignatieff ont dit que leurs deux rencontres avaient été « productives » et ont annoncé qu’une troisième rencontre était prévue pour ce matin (mercredi matin NdT).

Il y a tout lieu de croire que les deux principaux partis du Canada arriveront à s’entendre, comme cela s’est déjà produit en janvier dernier, pour mieux aller de l’avant avec la campagne bipartisane visant à utiliser la crise économique pour restructurer les rapports entre les classes en faveur de la grande entreprise. Dernièrement, faut-il noter, le gouvernement fédéral conservateur et le gouvernement libéral de l’Ontario ont collaboré pour menacer les travailleurs de Chrysler et GM de perdre leur emploi et leur retraite s’ils n’acceptaient pas d’autres diminutions du nombre des emplois, des accélérations de cadence et d’importantes concessions dans leur contrat de travail.

Mais il n’est pas impossible que Harper et les idéologues néoconservateurs qui l’entourent puissent prendre la ligne dure dans leurs négociations avec Ignatieff. Pour faire taire les dissensions dans leurs propres rangs qu’a provoquées l’abandon par le gouvernement de sa position « anti-déficit », les conservateurs ont pris des positions provocatrices de droite sur tout un ensemble de questions telles le crime, Israël, la prison de Guantanamo et la soi-disant guerre contre le terrorisme.  Harper  a aussi dénoncé les appels des libéraux pour assouplir les conditions d’éligibilité à l’assurance-emploi comme étant un impôt pour ces « Canadiens qui travaillent fort ».

Dans le cas improbable où les négociations entre les conservateurs et les libéraux avortaient, les conservateurs tenteraient d’obtenir l’appui du BQ et même du NPD.

Au nom de la défense des « intérêts du Québec », le BQ a donné à maintes reprises son appui aux conservateurs de Harper lors de leurs deux premières années au pouvoir. Alors que les conservateurs sont bien connus pour avoir fait dans le passé appel au chauvinisme anti-Québec, les deux partis sont idéologiquement proches sur la question de la dévolution des pouvoirs aux provinces.

Le NPD se vante de n’avoir jamais voté en faveur du gouvernement lors d’un vote qui aurait pu le faire tomber. Mais il a très certainement une longue histoire de manœuvres parlementaires de droite. Lorsqu’ils ont établi une coalition avec les libéraux, les sociaux-démocrates canadiens se sont engagés à occuper des postes de ministres dans un gouvernement qui a officiellement promis d’implanter le programme de la bourgeoisie canadienne défendu par ses deux principaux partis, y compris la responsabilité fiscale, la guerre en Afghanistan et des diminutions d’impôts dépassant les 50 milliards pour les sociétés.

(Article original anglais paru le 17 juin 2009)

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