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Québec : l’éditorialiste en chef de La Presse dénonce les Québécois pour être égoïstes

Par Louis Girard
27 juin 2009

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La bourgeoisie québécoise utilise le fait que le Québec entre dans une nouvelle période de déficit budgétaire pour préparer le terrain idéologique pour une restructuration massive de l’État afin de compléter le démantèlement de ce qui reste de l’Etat-providence.

Le plus important journal au Québec, La Presse, et particulièrement son éditorialiste en chef, André Pratte, mènent depuis plusieurs mois une campagne systématique pour promouvoir la nécessité de coupes importantes dans les services publics et pousser le gouvernement libéral provincial et toute la politique québécoise plus à droite.

Pratte, rappelons-le, était un des signataires du « Manifeste pour un Québec lucide ». Ce document publié en 2005 était signé tant par des fédéralistes que des souverainistes de premier plan qui se plaignaient de l’« immobilisme » de la société québécoise — ce qui signifie l’opposition populaire aux politiques néolibérales — et qui mettaient de l’avant un agenda profondément anti-ouvrier : le démantèlement de l’Etat-providence, des hausses de frais, des baisses d’impôts pour les plus riches, etc.

Dans le premier de ses deux éditoriaux publiés à la fin mai, intitulé « Le Québec égoïste », le point principal de Pratte est que, vu l’« égoïsme » des Québécois qui préfèrent « s’enticher » de différents programmes sociaux, les dépenses publiques sont trop généreuses pour certains services sociaux et pas assez pour d’autres, amenant de graves problèmes particulièrement pour le système de santé et les aînés.

Cette manière d’argumenter, c’est-à-dire justifier des politiques de droite en se servant de la détérioration des services publics, n’est pas nouvelle.  Cette méthode a été utilisée pour justifier une grande poussée pour la privatisation dans le système de la santé, particulièrement dans l’affaire Chaoulli, où la Cour suprême du Canada avait statué que « les longs délais pour obtenir des soins médicaux nécessaires et l’interdiction de recourir à une police d’assurance privée pour de tels soins constituaient une violation de la garantie de sécurité de la personne incorporée dans la Charte des droits québécoise. » (voir La privatisation des services publics au Québec en pleine croissance). Ce jugement de la Cour suprême avait ouvert la porte à la privatisation du système de santé.

Tout au long de son article, Pratte laisse entendre que les programmes sociaux devraient être sabrés. Il fait référence aux centres de la petite enfance « à tarif modique », aux congés parentaux et à l’assurance-médicaments « particulièrement généreux » ainsi qu’aux droits de scolarité et aux tarifs d'électricité « incroyablement bas ». Selon Pratte, ces coupes serviraient supposément à « concentrer encore plus les ressources publiques dans les secteurs prioritaires du système de santé ».

Des conditions très difficiles existent dans le système de santé au Québec. Par exemple, selon La Presse, le temps d’attente moyen dans les urgences pour 2007-2008 était de seize heures trente minutes. Le système de santé est également en manque chronique de personnel médical.

Pratte adopte un ton particulièrement moralisateur et hypocrite lorsqu’il écrit à propos des centres d’hébergement pour les personnes âgées où les conditions pour ces personnes sont, là aussi, très difficiles. Il écrit, à propos des centres d’hébergement : « Des quasi-mouroirs où ils sont traités comme des enfants ou des débiles, où personne, surtout pas leur famille, ne vient les voir, leur parler, leur prendre la main. » Il ne se gêne pas pour affirmer que les Québécois acceptent cela « en silence ».

Cependant, ce que Pratte omet volontairement de dire, c’est que les problèmes présents dans le système de santé et dans les services sociaux proviennent eux-mêmes de politiques de droite mise de l’avant par l’élite dirigeante et pour lesquelles le journal La Presse a joué un rôle important.

Dans les années 1990, le Parti québécois (PQ) nationaliste avait fermé des hôpitaux et sabré dans les dépenses publiques au nom de la lutte pour le « déficit zéro ». Le Parti libéral du Québec, lorsqu’il a été élu en 2003, a poursuivi sur la même lancée, coupant les impôts de plusieurs milliards et privant l’Etat de ressources pour investir dans les dépenses publiques. Au niveau fédéral, le même genre de politique a été poursuivi dans les années 1990 et 2000 par le Parti libéral et par son successeur, le Parti conservateur. Le Parti libéral avait notamment sabré dans les transferts aux provinces, privant celle-ci de revenus importants. Les médias bourgeois, incluant le journal La Presse, avait systématiquement appuyé l’offensive de l’élite dirigeante sur la classe ouvrière.

De plus, il y a une ironie évidente dans le fait que Pratte traite les Québécois d’« égoïstes ». Les politiques de droite poursuivies par tous les partis politiques tant au niveau provincial que fédéral ont constitué le moyen par lequel la bourgeoisie a pu reprendre une bonne partie des concessions faites à la classe ouvrière dans les années 1960 et 1970 et s’enrichir fabuleusement. Dans les années 1990 et 2000, les inégalités sociales ont constamment augmenté au Canada, une part de plus en plus mince de la population s’accaparant une partie de plus en plus importante de la richesse et une partie importante de la population voyant ses conditions de vie stagner ou régresser.

En 1998, le salaire moyen d’un PDG était 104 fois le salaire moyen d’un travailleur canadien. En 2006, le salaire moyen du PDG était passé à 218 fois celui du travailleur moyen. De 1980 à 2005, les Canadiens ont vu, pour leur part, le salaire moyen augmenter de 53 $ en termes réels.  Quant aux 20 pour cent des travailleurs les plus pauvres, ils ont vu leur salaire diminuer de 20,6 pour cent.

Des commentateurs de droite comme Pratte ont louangé cette hausse des inégalités sociales, la présentant comme une composante essentielle de la croissance économique, les plus riches étant supposément les plus méritants.

Le deuxième éditorial de Pratte, publié quelques jours après le premier, est intitulé « Une grenouille dans l’eau chaude » et cherche aussi à justifier de nouvelles coupes dans les programmes sociaux.  Cette fois-ci, Pratte s’appuie sur une analyse des économistes des Caisses Desjardins, une grande institution financière québécoise, qui affirment que « le vieillissement de la population québécoise et la diminution de la main-d’oeuvre qui s'ensuivra donneront un sérieux coup de frein à la croissance économique ».

Ces mêmes économistes lancent un avertissement à la population : « Une vague de réformes encore plus douloureuses que celles de la dernière décennie sera incontournable. »

Pratte termine en disant : « Il s'agit de trouver le courage de faire les choix qui préserveront les missions gouvernementales essentielles et y concentreront nos ressources limitées. »

L’argumentation de Pratte, c’est-à-dire que l’Etat aura des ressources de plus en plus limitées face à des besoins grandissants et que les « Québécois » devront faire des sacrifices, n’est que pur sophisme au service de la bourgeoisie.

Pratte tente de développer les prétextes qui serviront à justifier la prochaine « vague de réformes encore plus douloureuses ». Les attaques soutenues sur les conditions de vie de la classe ouvrière, qui durent depuis trente ans, n’ont rien à voir avec le vieillissement de la population. Elles sont plutôt le produit de la réaction de la bourgeoisie à la crise des taux de profit qui l’a secoué dans les années 1970. À partir des années 1980, les attaques sur le niveau de vie de la classe ouvrière ont été combinées au recours à la spéculation financière, à une hausse du militarisme et à des attaques sur les droits démocratiques.

Cependant, au même moment que le niveau de vie de larges couches de la population mondiale stagne ou régresse, la mondialisation des forces productives a créé les conditions pour une vaste augmentation de la richesse produite par la classe ouvrière, une augmentation qui permettrait de répondre aux problèmes posés par le vieillissement de la population. Mais cet immense potentiel est saboté par la subordination des forces productives au besoin de profit d’une minorité et à la compétition destructrice entre les Etats-nations.

Quelques semaines après la parution des deux éditoriaux de Pratte, les propos du péquiste François Legault, le porte-parole de l’opposition officielle en matière d’économie et de finances, ont démontré que la campagne de La Presse, un journal détenu par les Desmarais, une famille de milliardaires, commence à avoir un écho dans l’élite politique.

Lors du débat sur la législation destinée à amender la « loi antidéficit » du Québec, Legault a demandé que le gouvernement mette immédiatement de l’avant un plan pour améliorer la position financière du Québec. Le gouvernement, a insisté Legault, doit être prêt à attaquer les « vaches sacrées » — c’est-à-dire ce qui reste de l’Etat-providence — afin de réduire les dépenses de l’Etat et d’hausser les taxes et les tarifs. Il a comparé ses déclarations à celles faites par les « lucides » en 2005.

Peu après les déclarations de Legault, un autre éditorialiste bien en vue de La Presse, Alain Dubuc, a félicité Legault pour ses déclarations. Il a pressé le PQ et l’Action démocratique du Québec (ADQ), un parti populiste de droite, pour qu’ils forcent le gouvernement à avoir plus de « rigueur » dans sa politique budgétaire et qu’ils permettent à celui-ci de faire d’éventuels « choix impopulaires ». « Il s’agit de tout regarder », écrit Dubuc, « y compris la tarification, le prix de l’électricité, la façon de voir le système de santé ».

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