Les manifestations du 1er mai en France,
organisées par les principaux syndicats et soutenues par tous les partis de
« gauche », ont vu descendre dans la rue entre 500 000 et un
million de travailleurs et de jeunes protestant contre le chômage de masse et
la politique d'austérité du gouvernement.
Cette participation de grande envergure a
cependant été bien en dessous du but que s'étaient fixé les syndicats, celui de
dépasser la mobilisation de quelque un à trois millions de personnes du 19
mars. C'est aussi le reflet d'une désillusion grandissante face à la
perspective des syndicats consistant à demander au gouvernement d'agir en
faveur de la classe ouvrière. Le gouvernement a, à maintes reprises, clairement
fait part de son intention de poursuivre sa politique d'austérité en
collaboration avec les syndicats et les patrons, ce qui est un impératif urgent
du capitalisme français dans le contexte d'une récession qui s'aggrave.
Raymond Soubie, conseiller social du
président Nicolas Sarkozy, a annoncé samedi la tenue d'une nouvelle rencontre
avec les syndicats et les patrons avant la fin du mois de juin pour
« évaluer » les mesures requises face à la crise. Il a dit sur radio
Europe 1 : « Ce que souhaite le président, c'est d'avoir un contact
permanent avec les organisations syndicales et les organisations patronales de
manière à avoir toujours une réponse adaptée et concrète. »
Des correspondants du WSWS ont fait des
reportages sur les diverses manifestations qui se sont déroulées à Paris,
Marseille, Nancy dans l'est de la France et Amiens en Picardie dans le nord.
Les équipes du WSWS ont distribué des milliers de tracts de l'article France :
Les travailleurs de Caterpillar se révoltent contre les syndicats
Paris
Selon la CGT, 160 000 personnes ont
défilé dans la manifestation parisienne, soit moins de la moitié du nombre de
participants à celle du 19 mars. Les contingents syndicaux les plus importants
étaient ceux de la CGT (Confédération générale du travail, proche du Parti
communiste), puis ceux du syndicat de l'éducation, la FSU (Fédération syndicale
unitaire.) Les contingents syndicaux étaient plus importants qu'en mars. Il y
avait de nombreux travailleurs des hôpitaux et des étudiants venus protester
contre les attaques contre les services de santé et d'éducation.
Manifestation parisienne
Un manifestant a dit au WSWS: « La
situation d'aujourd'hui nous pousse à lire sérieusement pour comprendre la
situation. » Ils étaient nombreux à partager les critiques du WSWS concernant
la collaboration entre les syndicats, les patrons et le gouvernement chez
Caterpillar pour imposer les suppressions d'emplois et l'intensification de
l'exploitation des travailleurs.
Il y avait de nombreux travailleurs et
jeunes immigrés dans la manifestation: des Turcs, des Kurdes, des sans-papiers
d'Asie et d'Afrique. Des Tamouls sont venus en famille protester contre les
atrocités perpétrées dans la guerre civile au Sri Lanka ainsi que contre la
crise sociale en France. Il y avait aussi des nationalistes influencés par les
Tigres tamouls du LTTE qui brandissaient des portraits de Sarkozy et Obama dont
ils recherchent le soutien.
A Paris, les syndicats nationaux et les
partis de gauche s'étaient mis d'accord pour que ces derniers ne défilent pas avec
la manifestation mais la soutiennent en restant sur le trottoir le long du
parcours de la manifestation.
Le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) tout
comme le Parti socialiste (PS) et d'autres partis de « gauche »
avaient signé une déclaration commune de soutien pour la mobilisation syndicale
du 1er mai. Cela a permis au PS de participer pour la première fois depuis la
défaite du Premier ministre socialiste Lionel Jospin au premier tour de
l'élection présidentielle de 2002 au profit du néo-fasciste Jean-Marie Le Pen.
La politique pro-capitaliste du gouvernement de gauche plurielle de Jospin
l'avait rendu inéligible.
C'est seulement parce que le NPA et son
prédécesseur la Ligue communiste révolutionnaire reconnaissent le Parti
socialiste comme faisant partie de la gauche qu'une foule de 3000 personnes du
PS a pu marquer sa présence sur le parcours de la manifestation. Martine Aubry,
première secrétaire du PS jubilait : « Les socialistes sont là, à
leur place, derrière les syndicats, heureux car ils retrouvent leurs
valeurs. »
Les autres partis de « gauche »,
le NPA, Lutte ouvrière, le Parti de Gauche, le Parti communiste, étaient aussi
sur le parcours de la manifestation d'où ils exprimaient leur unité avec la
bureaucratie syndicale.
Un enseignant a dit au WSWS, « Je
voudrais qu'on s'oppose au système capitaliste. Il faut s'organiser
internationalement. » Jean Rodolphe, professeur d'informatique de région
parisienne, a dit que de moins en moins de professeurs étaient formés dans
cette matière et qu'on allait chercher des professeurs des autres matières pour
enseigner l'informatique. « Total fait des millions de profits et les
donne aux actionnaires alors qu'il y a des chômeurs. Ça m'énerve », a-t-il
dit.
Marseille
Selon la CGT 35 000 personnes ont
participé à la manifestation de Marseille; les chiffres de la police font état
de 8500 participants. La baisse de la participation par rapport aux
250 000 manifestants dont les syndicats faisaient état le 19 mars est due
en parti au fait que la manifestation n'a pas attiré les personnes des petites
villes avoisinantes qui organisaient leur propre défilé. Il y avait peu de
lycéens et d'étudiants.
Syndicat de fonctionnaires à Gardanne
La manifestation était très
encadrée par les huit confédérations syndicales, dominées par la CGT.
Il y avait peu de personnes venues indépendamment. Le manque de soutien en
dehors de leurs rangs témoigne d'une désillusion grandissante à l'égard de ces
organisations de collaboration de classe.
Des délégations du Parti communiste, de
Lutte ouvrière (LO) du Parti de Gauche et des Verts faisaient partie du
cortège. Le POI (Parti ouvrier indépendant , anciennement PT de Pierre Lambert)
et les anarchistes d'Alternative libertaire distribuaient des tracts.
Le tract du WSWS sur la révolte des
travailleurs de Caterpillar contre leurs syndicats a intéressé de nombreux
membres des syndicats. Ils l'ont lu et l'ont conservé contrairement aux tracts
distribués par le NPA, LO et les syndicats.
Renée, ex-membre de la CGT a dit: « Les
séquestrations sont légitimes, les salariés n’ont plus rien à perdre. »En
entendant parler pour la première fois de la révolte à Caterpillar par le WSWS
elle a ajouté, « Ce n’est pas une solution de riposter contre les
syndicats même s’ils ne sont pas forcément à la hauteur de la tâche. »
Thierry, un enseignant de 43 ans a dit,
« Je suis pessimiste pour les jeunes, il n’y a pas d’espoir
avec la crise, il y aura beaucoup de jeunes chômeurs, sans droit. Les
travailleurs doivent être défendu par les syndicats et les partis
politiques. » Il a rejeté avec colère l'idée que les syndicats soient
complices des patrons : « C’est ridicule. Le syndicat a
une histoire de défense des salariés dans le cadre de l’entreprise. »Il
a dit qu'il était pour des négociations tripartites et que « les syndicats
n’ont pas été crée pour la révolution ».
Nancy
La manifestation de Nancy a fait descendre
dans la rue 20 000 manifestants, selon les organisateurs qui ont mobilisé
derrière les slogans: « L'emploi et le pouvoir d'achat », « Pour
préparer un monde meilleur pour nos enfants », « Pour montrer un
mouvement de masse, parce que le gouvernement nous prend pour des
idiots. »
Un des slogans les plus criés était celui
mis en avant par FO (Force ouvrière) : « De l'argent y'en a, dans les
caisses du patronat » niant la gravité de la crise.
Des enseignants revendiquaient la fin de
« la casse de l'école publique » et appelaient au « respect de
l'instruction publique, laïque gratuite et obligatoire ainsi que le respect des
droits syndicaux ».
Amiens
Trois mille personnes ont défilé à Amiens,
capitale de la Picardie, soit un chiffre en baisse par rapport aux 12 000
manifestants du 19 mars et moins important que les 6000 de Compiègne, une plus
petite ville de Picardie où les travailleurs de pneumatiques luttent pour empêcher
la fermeture de l'usine de pneumatiques Continental de Clairoix qui menace de
supprimer 1200 emplois.
La banderole de tête de cortège à Amiens,
représentant les huit syndicats, appelait à « Des vrais emplois, des
droits et du pouvoir d'achat. » La manifestation était surtout composée de
travailleurs du secteur public, dominés par la CGT et la FSU, le syndicat de
l'éducation. Il y avait aussi des agents d'EDF (Electricité de France) et de
GDF (Gaz de France,) des travailleurs des impôts, des hôpitaux ainsi que des
étudiants et des lycéens.
Bien que les grèves et manifestations contre
les projets d'autonomie du gouvernement aient perturbé ces trois derniers mois
le campus universitaire d'Amiens qui compte quelque 20 000 étudiants, la
présence d'étudiants et de professeurs n'excédait pas les quelques centaines.
Arnaud
Arnaud, élève de Première littéraire au
Lycée Michelis d'Amiens a dit, « J'ai été mobilisé contre la réforme des
lycées et j'ai été délégué du lycée dans le comité de lutte lycéenne qui
maintenant continue à se réunir bien que maintenant il n'y a plus de blocage.
Nous avons eu des discussions avec le recteur et aussi avec le conseil
académique de vie lycéenne. Nous avons préparé les revendications pour ces
réunions mais on s'est rendu compte que l'Etat n'en a rien à foutre. »
Il a ajouté, « Je crois qu'il faut la
mise en place d'un nouveau parti vraiment indépendant basé sur la
compréhension de l'histoire, par exemple les leçons de 1936 et de 1968. Il ne
faut pas de syndicat comme le PS et le PCF. Nous avons besoin d'un parti
international qui lutte pour l'égalité économique et sociale. »
Arnaud a poursuivi, « Il faut que les
banques et les entreprises deviennent des services publics partout, il faut
qu'elles soient gérées par un gouvernement égalitaire. Je suis entièrement
d'accord avec votre perspective d'unifier la classe ouvrière mondialement. Cela
me paraît très bien dans la forme, mais il faudrait que je vois le contenu pour
dire si je suis complètement d'accord. J'aimerais bien continuer cette
discussion pour en savoir plus. »
Hervé Lemaire, délégué CGT à EDF-GDF a dit
au WSWS, « Nous menons une lutte depuis quatre semaines à EDF-GDF. Nous
demandons une hausse du salaire de base de 5 pour cent et un juste partage des
bénéfices qui sont de 10 milliards d'euros. » La société EDF est
maintenant une société anonyme et l'Etat détient 51 pour cent des actions mais
l'entreprise est gérée non pas comme une entreprise publique mais comme une
entreprise capitaliste. Les travailleurs demandent aussi l'arrêt de la
sous-traitance. Acceptant la logique de marché capitaliste, il a dit que cela
« va affaiblir la société dans le contexte européen. Nous risquons de
perdre notre rôle, notre position comme première société d'énergie de
l'Europe ».
Reprenant le point de vue des dirigeants
syndicaux, il a dit que les récentes séries de coupures d'électricité sauvages
au domicile de personnalités politiques ou de bâtiments administratifs
« ne sont pas cautionnées par les syndicats mais nous avons des
difficultés à contrôler les conflits ».
Reynald Turpin
Reynal Turpin, arborant un T-shirt
l'identifiant comme travailleur de l'entreprise Dunlop-Goodyear d'Amiens
défilait avec son épouse et ses enfants. Très en colère contre le refus de la
CGT de mener une lutte contre la semaine de sept jours à l'usine Dunlop, il a
dit : « On n'a pas de week-end. Ça pose de gros problèmes pour la vie
de famille. »
En apprenant le rôle joué par les syndicats
à l'usine Caterpillar, il s'est exclamé: « Ça me met la haine. » Il a
dit au WSWS que Goodyear montait une usine en Pologne avec de nouvelles
machines capables de produire 40 000 pneus par jour. « A Amiens nous
en produisons 15 000 par jour », a-t-il dit.
« Il faudrait que la lutte soit
communautaire à l'échelle mondiale pour défendre les emplois. Je suis d'accord
avec les collègues de Continental en Allemagne quand ils ont accueilli les
travailleurs de Clairoix avec une pancarte avec les mots "Prolétaires de
tous les pays, unissez-vous." Je suis d'accord sur le besoin de créer des
organisations de lutte indépendante mais on ne peut pas mettre tous les
syndicats dans le même sac. Il faut unifier la classe ouvrière mondialement
pour réorganiser l'économie mondiale. Construire un parti international comme
le veut votre Internationale, à voir si c'est possible...Ça sera un gros
travail. »