La décision du fabricant allemand de pneumatiques et
d'équipements automobiles Continental AG de fermer des usines en France et en
Allemagne provoque une opposition et une controverse de grande envergure en
France. Cette démarche de Continental, annoncée le 11 mars, supprimera 1900
emplois et a pour objectif de réduire la surcapacité à un moment où la demande
pour les produits liés à l’automobile s’effondre de par le monde.
Continental AG est le second producteur européen de pneus
et l’un des principaux équipementiers automobiles du monde, avec des
ventes atteignant 24 milliards d’euros l’année dernière et
140 000 travailleurs dans 190 sites répartis sur 35 pays. Hans-Joachim
Nikolin, membre du conseil d’administration de Continental a dit dans une
déclaration, « Nous avons étudié diverses options et avons conclu que la
compétitivité du secteur des pneus ne peut être maintenue que si l’on
ferme les deux usines aux coûts les plus élevés, à savoir l’usine de
pneus pour voitures de tourisme de Clairoix et l’usine de pneus pour
véhicules utilitaires de Hanovre. »
La production de pneus pour véhicules utilitaires à
l’usine de Hanovre en Allemagne, avec une capacité de 1,4 million de
pneus, sera fermée d’ici la fin de l’année, ce qui touchera quelque
780 employés. L’usine de pneus pour voitures de tourisme de Clairoix en
France sera fermée fin mars 2010, et touchera 1 120 employés.
D’après Continental, l’usine de Clairoix a les coûts de production
les plus élevés de toutes les entreprises de pneumatiques de véhicule de
tourisme d’Europe. L’année dernière, l’usine avait produit
8,7 millions de pneus, générant un profit de 28 millions d’euros.
Pour justifier ses fermetures d’usines et ses
réductions de capacité de production, Continental invoque la chute des ventes
automobiles en Europe et dans le monde. Dans son communiqué de presse,
l’entreprise dit, « Durant le dernier trimestre 2008, la production
de pneus pour l’équipement d’origine des véhicules utilitaires a
baissé de 20 pour cent et la vente des pneus de remplacement a chuté de 15 pour
cent en Europe. Cette tendance s’est accélérée de façon extraordinaire
durant les deux premiers mois de cette année. Les ventes de pneus de voitures
de tourisme ont baissé de 20 pour cent au dernier trimestre de 2008 et de plus
de 30 pour cent durant les deux premiers mois de cette année. Le marché du pneu
de remplacement a aussi subi une baisse considérable de la demande. »
Etant donné que le marché ne se redressera pas suffisamment
dans le court ou moyen terme pour optimiser la capacité de production existante,
Continental a dit qu’il « prenait des mesures pour ramener la
production dans ses usines européennes de pneumatiques au niveau de la
demande. »L’entreprise réduira de 27 pour cent la production de
pneus pour véhicules utilitaires et de 17 pour cent la production de pneus pour
véhicules de tourisme en Europe.
Une des raisons qui explique cette situation difficile chez
Continental est que l’entreprise avait été reprise l’année dernière
par le beaucoup plus petit Schaeffler Group, le producteur de roulement à
billes, qui contrôle 90,2 pour cent des actions de Continental. Continental AG
génère trois fois plus de revenus que Schaeffler. Schaeffler Group a demandé du
gouvernement allemand une aide de 6 milliards d’euros de nouveaux
capitaux, car il s’efforce de payer la dette de 11 milliards
d’euros contractée lors de l’achat de Continental.
Cet exemple montre que des fusions et des acquisitions
irresponsables et économiquement irrationnelles, bien que parfois décrites
comme produites par les spéculateurs de Wall Street, ou comme le
« capitalisme financier » décrié par Sarkozy, foisonnent y compris
dans l’économie manufacturière. Selon Reuters du 12 mars,
« Schaeffler Group a obtenu un délai supplémentaire des banques
créditrices pour se restructurer. Les banques créditrices ont accepté de
financer temporairement Schaeffler afin de sécuriser le groupe. » Une
option en discussion est la vente de parts de Continental aux banques pour
renforcer les liquidités de Schaeffler.
L’anticipation de la baisse de la demande pour leurs
produits, bien que correcte du point de vue des intérêts de profit de
Continental, nourrira une spirale désastreuse qui diminuera l’activité
économique et prolongera la crise économique, au moment où les travailleurs de
Continental sont eux-mêmes appauvris. Avec la fermeture des usines de Hanovre
et de Clairoix, la direction de Continental et les politiciens capitalistes
manoeuvrent pour faire reposer sur les travailleurs le coût de cette anarchie
objective du marché.
Durant la campagne présidentielle de 2007, la direction de
Continental avait proposé un référendum pour ramener à 40 heures la semaine de
travail qui était de 35 heures, à l’usine de Clairoix. C’était là
une tentative d’intimidation pour pousser les travailleurs à accepter
cette proposition, suggérant que sinon l’usine risquait de fermer. Bien
que la majorité des travailleurs aient rejeté la proposition, un accord avait
été signé quelques mois plus tard entre la direction de l’usine et le
syndicat majoritaire CFTC et la CGC. Sous la pression des syndicats, les
travailleurs avaient accepté de revenir à la semaine de 40 heures, sans compensation
et avec la promesse de pouvoir garder leur emploi.
Ces promesses sont à présent réduites à néant. David
Coupin, 42 ans, qui travaille à l’usine a dit à Reuters :
« Cela fait 21 ans que je travaille pour Continental à Clairoix et ça a
été un choc d’apprendre la nouvelle. On a fait tellement de sacrifices
ces dernières années, on a accepté de revenir aux 40 heures sans augmentation
de salaire. Je travaille même le week-end et les vacances. »
Depuis le ralentissement économique de l’automne
dernier, l’entreprise a mis en place de nouvelles mesures, réduction des
heures de travail, fermetures plus longues de l’usine, contrats
restreints pour les intérimaires, afin de réduire la production. Néanmoins,
« Devant une baisse persistante de la demande d’une telle magnitude,
les mesures à court terme dont nous disposons ne sont plus suffisantes »,
a déclaré Nikolin, membre du conseil d’administration de Continental.
Au moment où leurs craintes d’une agitation sociale
s’intensifient, les représentants français haut placés essaient de donner
l’impression de compatir au sort des travailleurs. Le porte-parole du
gouvernement et ministre de l’Industrie Luc Chatel a dit : « Si le groupe persistait dans sa volonté d'une
restructuration, il aurait à justifier devant les tribunaux de la raison, de la
motivation de tels licenciements. »
Le président Nicolas Sarkozy s’est entretenu avec la
chancelière allemande Angela Merkel lors de la réunion du 12 mars à Berlin,
préparant le sommet économique du G20 le mois prochain. Disant qu’il comprenait
les difficultés de Continental, il a dit qu’il souhaitait s’assurer
que Continental tenait les promesses faites par le passé et qu’il
respecterait la procédure légale française.
Les travailleurs de l’usine Clairoix, dans le nord de
la France, ont réagi avec colère à l’annonce de la fermeture de leur usine.
Le 16 mars, quelque 1 000 manifestants se sont retrouvés à Reims dans le
nord-est de France où se tenait une réunion de la direction. Un groupe de
manifestants a fait irruption dans la salle de réunion, en hurlant et en
lançant sur les directeurs des œufs et des chaussures.
Critiquant la réponse opportuniste et hypocrite des politiciens
devant la fermeture de Continental, le délégué de la CGT (Confédération
générale du travail) Xavier Mathieu a fait remarquer : « On entend les politiques qui disent qu'ils veulent nous
aider. C'est eux qui les ont laissés, c'est eux qui font les lois. Si ces
gens-là peuvent se comporter comme des voyous, c'est parce que les députés et
les sénateurs n'ont pas fait les lois pour les en empêcher. »
10 000 personnes approximativement ont défilé à
Compiègne pour protester contre la fermeture de l’usine durant la journée
d’action du 19 mars organisée récemment par les confédérations syndicales
françaises.