Le spectre du socialisme hante l’élite
dirigeante américaine.
L’on trouve de plus de plus de références dans
les médias à l’éventualité du socialisme. Les différentes factions de la
bourgeoisie s’accusent les unes les autres d’avoir des tendances socialistes,
tout en insistant sur leur propre engagement absolu aux principes de l’économie
de marché.
L’un des sujets majeurs à l’ordre du jour dans
le débat télévisé de dimanche fut l’accusation des républicains que la
politique d’Obama avait des relents de socialisme. Dans l’émission diffusée sur
la chaîne de télévision ABC News « This Week with George
Stephanopoulos » [La semaine avec George Stephanopoulos], les chroniqueurs
régulièrement présents sur le plateau, E.J. Dionne, David Brooks, George Will
and Cokie Roberts, ont débattu de cette question.
Lors de l’émission politique dominicale
« Meet the Press » [Rencontrez la presse] sur la chaîne NBC,
le sénateur démocrate Charles Schumer et le sénateur républicain Lindsey Graham
ont discuté de l’éventualité du gouvernement de détenir la propriété des
banques. Schumer et Graham ont tous deux soutenus une certaine forme de
nationalisation. Toutefois, ils se sont hâtés tous les deux de faire une
distinction entre une « mauvais nationalisation » où le gouvernement
retire vraiment les banques des mains de personnes privées et une « bonne
nationalisation » qui, ont-ils dit, devrait plutôt être appelé « placement
en règlement judiciaire », et dans laquelle le gouvernement nettoierait
les bilans des banques pour les revendre rapidement à des investisseurs privés.
Parmi les différentes références faites au
socialisme, la plus extraordinaire émanait du président Barack Obama lui-même.
Lors d’une interview accordée vendredi au New York Times, Obama fut prié
de répondre aux accusations formulées contre lui par des sections du parti
républicain et selon lesquelles il serait un socialiste. Obama fut surpris par
la question et tourna la chose en dérision en répondant par un simple,
« la réponse est non. »
Après l’interview, Obama et ses conseillers
ont apparemment discuté de la question et, 90 minutes plus tard, le président a
entrepris une démarche inhabituelle en rappelant le journaliste du Times,
Jeff Zeleney. Manifestement nerveux quant aux implications de la question,
Obama a expliqué de façon plus élaborée son opposition au socialisme en
essayant de contrer l’accusation. « Je pense qu’il est important de faire
simplement remarquer lorsque vous entendez des gens balancer ces mots par-ci
par-là, qu’en fait nous agissons d’une manière qui est en adéquation totale
avec les principes de libre marché et que certaines de ces personnes qui
balancent le mot socialisme de-ci de-là ne peuvent pas en dire autant »,
a-t-il dit.
La possibilité de troubles sociaux est aussi
devenue un sujet de débat fréquent dans les médias. Dans le New York Times
de dimanche, une chronique de Liaquat Ahamed intitulée « l’Europe des
subprime » faisait référence à l’effondrement économique de cette région
du monde et qu’il compare à la faillite de la banque autrichienne Creditanstalt
en 1931. Cet événement avait déclenché une panique financière en Europe et mis
en action la Grande Dépression.
Ahamed écrit que l’effondrement économique de
l’Europe de l’Est « provoque des troubles sociaux. » Mettant en garde
contre les implications pour les Etats-Unis, il fait remarquer, « Les
emprunteurs américains de subprime dont les maisons ont été saisies n’érigent
pas de barricades dans les rues, du moins pas pour le moment. Les travailleurs
en Europe de l’Est le font. »
Dans un autre commentaire paru sur la même
page du Times, Frederic Morton fait la comparaison avec l’Autriche de
1913. Il conclut son commentaire par une citation de Karl Kraus, qui avait
appelé l’Autriche « le laboratoire de l’apocalypse ». Morton pose la
question, « Que dirait-il de l’Amérique d’aujourd’hui ? »
Lors d’une récente apparition sur la chaîne MSNBC,
l’ancien conseiller à la sécurité nationale de Jimmy Carter, Zbigniew Brzezinski,
s’est inquiété de la réémergence des « conflits de classe. »
Il y a comme une ironie de voir que cette
discussion sur le socialisme est lancée par une élite politique et médiatique
qui, des décennies durant, a promu l’anticommunisme et l’antisocialisme
quasiment comme une religion d’Etat. Aucune faction de l’establishment
n’avance une politique qui d’une façon ou d’une autre s’oppose au capitalisme
ou aux intérêts de l’élite financière. Et il n’y a pas non plus encore de
mouvement socialiste de masse de la classe ouvrière.
Cependant, il règne une nervosité grandissante
au sein de cette couche au sujet des implications de la crise capitaliste et du
potentiel pour une opposition sociale de masse à la politique de la classe
dirigeante. Jusqu’à présent, le débat politique aux Etats-Unis a été limité à
un cadre extrêmement restreint. La diversité des points de vue dans les médias
et dans les débats télévisés comprend toute une variété de courants d’opinion
au sein de la tranche la plus riche qui représente 0,01 pour cent de la population.
Et pourtant, il y a une logique objective aux
développements. A un moment donné, et cela ne va pas tarder, la discussion sur
la politique à adopter échappera à leur mainmise idéologique. La masse de gens
qui sont directement touchés par la dépression mondiale s’engagera.
La classe dirigeante a le sentiment qu’une
immense colère est en train de monter et qui, si elle se déchaîne, prendra la
forme d’une opposition de masse au capitalisme, dirigée contre les richesses et
les privilèges de l’élite financière. Ils s’inquiètent de ce que le socialisme
se développera alors non plus comme un spectre mais comme un mouvement
politique bien vivant, ancré dans la conscience de millions de gens. Et ils ont
raison de s’inquiéter.