Jeudi dernier, des professeurs en grève et
des étudiants de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) ont manifesté dans
les rues de Montréal pour exiger de meilleures conditions de travail pour les
enseignants et maîtres de langues qui sont sans contrat de travail depuis 2007.
Les demandes syndicales comprennent notamment l’embauche de 300 nouveaux
professeurs et des conditions salariales équivalentes à celles des autres
universités du Québec.
Près de 2000 personnes, selon les chiffres
fournis par les syndicats, ont marché jusqu’aux bureaux du premier ministre
libéral Jean Charest pour faire entendre leurs revendications. L’Association
facultaire étudiante en sciences humaines (AFESH) et l’Association facultaire
des étudiants en arts (AFEA), qui regroupent plusieurs milliers d’étudiants,
étaient aussi en grève par solidarité lors de cette journée. A leur assemblée
générale du 20 mars dernier, les enseignants et maîtres de langue ont voté à 83
pour cent en faveur de la poursuite de la grève pour au moins une semaine
supplémentaire, l’administration ayant refusé de leur soumettre une proposition
pour un véritable contrat de travail.
L’Internationale étudiante pour l’égalité
sociale à l’UQAM est intervenue lors de la manifestation pour distribuer un
tract qui appelait les étudiants et les professeurs à élargir leur lutte sur la
base d’une perspective socialiste.
Cette perspective était nettement en
opposition à la ligne politique mise de l’avant par la bureaucratie syndicale
du SPUQ-CSN (Syndicat des professeurs de l’Université du Québec, affilié à la
Confédération des syndicats nationaux), les principaux organisateurs de la
manifestation.
La bureaucratie syndicale a passé sous
silence la crise historique qui frappe aujourd’hui le système capitaliste,
entraînant des pertes massives d’emplois et un assaut frontal sur les services
publics et le niveau de vie des travailleurs. Bien que le lien soit évident
entre cet assaut et les sacrifices exigés aux professeurs de l’UQAM, le
syndicat n’a pas cherché à mobiliser l’appui du public pour une
contre-offensive commune de la classe ouvrière. Il s’est plutôt contenté de
réclamer du gouvernement un réinvestissement pour l’UQAM, sous le mot d’ordre
« l’UQAM c’est nous ».
Françoise David, la co-porte-parole de
Québec solidaire, un parti supposément « de gauche » qui a récemment
fait élire son premier député à l’Assemblée nationale, était aussi présente. En
continuité avec les efforts de Québec solidaire pour se présenter comme un
parti responsable, et reprenant la ligne de la bureaucratie syndicale, elle a
affirmé à un journaliste qu’un « rattrapage salarial [des professeurs de
l’UQAM face à ceux des autres universités au Québec] était nécessaire »,
tout comme l’embauche de nouveaux professeurs.
Excepté un court message en début de
parcours pour présenter les chefs syndicaux et un bref discours pour clore la
manifestation, rien n’a été dit par les organisateurs.
A l’inverse, les membres
de l’IEES sur place ont défendu la perspective que pour aller de l’avant, cette
lutte devait être dirigée contre le système de profit en faillite. « L’IEES lance un appel à tous les étudiants et les
jeunes : l’appui à la grève des profs ne doit être qu’une première étape
vers un tournant plus large vers la classe ouvrière dans son ensemble, au-delà
des frontières nationales. La défense de l’éducation et des conditions de vie
de la grande majorité de la population ne peut connaître du succès que si l’on
s’attaque à la base véritable du problème : la subordination de toutes les
facettes de la vie à l’accumulation de profits qui ne favorise qu’une mince
couche de la population. »
La déclaration faisait clairement la
distinction entre les intérêts des travailleurs et ceux de la bureaucratie
syndicale : « Se tourner vers la classe ouvrière n’implique
pas cependant un appui à sa direction corrompue, moralement et financièrement,
qui, depuis des décennies, collabore de plus en plus ouvertement avec les
partis de la grande entreprise (particulièrement le Parti Québécois) et le
patronat pour imposer une panoplie de concessions aux membres qu’elle est
supposée représenter […] Le but de ces organisations nationalistes n’est pas de
mettre en garde et défendre la classe ouvrière contre les attaques de ses
ennemis, mais bien de les opposer dans une lutte fratricide, nation contre
nation, dans une lutte vers le bas pour obtenir les faveurs des capitalistes,
pour favoriser "leur" État plutôt qu’un autre. »
Dans ce contexte, le tract avançait que les étudiants avaient un
important rôle à jouer : « Les enseignants de l’UQAM doivent sortir
du carcan que leur impose leur direction syndicale et se tourner vers ceux qui
refusent comme eux de faire les frais d’une crise pour laquelle ils n’ont
aucune responsabilité : les travailleurs, la grande majorité de la
population. Les étudiants et les jeunes, de leur côté, ont un rôle majeur à
jouer : ils doivent lancer un appel pour la défense du système d’éducation
et pour l’égalité sociale. Un tel appel résonnerait avec force dans une
population assiégée qui vit fondamentalement les mêmes problèmes. »
Au cours des discussions que l’IEES a eues avec des
participants, plusieurs ont exprimé le sentiment que la manifestation
représentait bien plus pour eux que la question du financement de l’UQAM.
L’idée généralement partagée par les étudiants et les profs était que les
problèmes vécus par l’Université étaient représentatifs de toute une série
d’assauts sur les programmes sociaux et services publics.
Karine, une étudiante en arts, a affirmé qu’il fallait
« unir les mouvements sociaux », comme ceux « qui luttent conte
la pauvreté, les groupes environnementaux, les syndicats », car « à
la base, les problèmes de la société ont toute la même source ».
Julien, un professeur de sciences politiques, nous a dit que
« tout le monde doit se mobiliser pour s’opposer aux politiques de droite,
et pas seulement en éducation ». Il déplorait ainsi le fait qu’il n’y
avait « pas beaucoup de gens dans les rues ».
Laurent
Laurent, un étudiant en sciences politiques, a affirmé que
« ce qui manque à la gauche c’est la prise du pouvoir politique. Les
partis de gauche, de style nouvelle gauche, ont abandonné la lutte politique.
Ils veulent faire des luttes et des manifestations mais à côté du politique.
C’est ça un peu qui fait en sorte que c’est des luttes illusoires. »
Lorsque la discussion s’est orientée vers le rôle politique de Québec
solidaire, Laurent a dit que c’est « un parti de la rue qui veut aussi
être un parti des urnes », qui « se veut réaliste » mais qui
« pervertit un peu sa mission première ».