Eric Besson, le ministre de l'Immigration et de l'identité nationale du
président Nicolas Sarkozy a annoncé dimanche 25 octobre la proposition d'un
débat sur « l'identité nationale »organisé par l'Etat. Cette annonce arrive
après un mois d'attaques incessantes contre les migrants et les réfugiés,
notamment les Afghans qui fuient la guerre, les persécutions et les
privations.
Ces mesures font partie d'une campagne gouvernementale visant à fomenter
dans le pays un climat de chauvinisme. Nombreux sont les commentateurs qui y
voient une tentative de détourner l'attention des difficultés croissantes du
gouvernement dans sa gestion de l'impact économique, social et politique de
la crise économique mondiale sur la France et l'Europe. Ces mesures sont le
signe d'un virage à droite significatif de l'establishment politique
français.
Besson, un ancien député du Parti socialiste qui avait rejoint le camp
Sarkozy juste avant l'élection présidentielle de 2007, est venu sur le
devant de la scène et a provoqué une vague de révulsion le 22 septembre
lorsqu'il a donné l'ordre d'expulser manu militari les immigrés afghans de
leur campement de Calais, connu sous le nom de « la jungle. » Sa décision du
22 octobre de rapatrier de force trois jeunes réfugiés afghans, prétendant
qu'ils étaient envoyés dans des zones « sûres » a soulevé des inquiétudes
plus grandes encore. Il s'agissait d'une opération conjointe avec les
autorités britanniques qui ont expulsé 24 autres immigrés afghans sur le
même vol charter.
Besson a prétendu avec cynisme qu'il « n'y avait aucun risque » pour ces
trois Afghans de 18, 19 et 22 ans renvoyés dans la région de Kaboul. Le but,
a-t-il affirmé, est d'envoyer un « signe »aux passeurs. «On s’en prend à la
logique d’un trafic qui est odieux..La France est aujourd’hui la cible des
passeurs . Elle est une sorte de repaire puisque nous n’avions pas reconduit
d’Afghans depuis quelques mois, alors que le Royaume-Uni, la Norvège,
l’Allemagne, la Suède et les Pays-Bas reconduisent en Afghanistan. » Malgré
des condamnations répandues qui sont même venues du parti au pouvoir l'UMP
(Union pour un mouvement populaire) il a insisté pour dire qu'il
poursuivrait ces « vols groupés » vers l'Afghanistan.
La rafle de migrants afghans représente la partie émergée de l'iceberg
des ratissages policiers à travers la France visant à atteindre l'objectif
de 27 000 expulsions de migrants sans papiers pour 2009, chiffre en hausse
par rapport aux 25 000 de l'année dernière. Besson a annoncé fièrement
qu'avec 21 000 sans-papiers déjà déportés, il était confiant que l'objectif
serait atteint.
Le président Sarkozy a déclaré que ce n'était pas seulement un message à
l'attention des « passeurs » mais aussi des « réfugiés économiques » qui ne
sont pas de « vrais demandeurs d'asile. » Actuellement, 40 autres Afghans
attendent de connaître leur sort dans les centres de rétention de Lille,
Paris, Coquelles (près de Calais) et Nice. Onze d'entre eux ont entamé une
grève de la faim.
Selon Caroline Larpin, avocate de la Cimade, organisation qui s'occupe
des sans-papiers, une note trouvée le lendemain matin et écrite par deux des
trois Afghans expulsés décrit les dangers qu'ils encourent à leur retour à
Kaboul. « Celui qui a été enfermé au CRA (Centre de rétention
administrative) de Vincennes a expliqué que toute sa famille s’était
réfugiée en Iran, car son oncle avait été emprisonné puis tué par balle en
Afghanistan et son frère avait été blessé par balle. Celui du CRA de
Palaiseau a indiqué qu’il craignait de retourner dans son pays parce que son
père y avait été tué par les talibans et que d’après lui sa région était
sous leur contrôle. »
Selon un reportage de Reuters daté du 26 octobre: « Deux des Afghans
expulsés, hébergés aux frais de la France dans un hôtel, ont témoigné dans
un reportage diffusé dimanche soir par France 2. Ils estiment que leur
sécurité ne peut être assurée nulle part dans leur pays. » Weheen Salim a
dit, «Je ne suis pas heureux d'être en vie. Il n'y a pas de place pour moi
dans ce monde. Ma mère m'a dit d'aller en Europe. En France, on n'a pas
voulu de moi. »
Nik Khan a raconté avoir été arrêté dans la « jungle » de Calais, sans
avoir été autorisé à emporter ses vêtements, son MP3 ni son sac. «Je ne peux
pas rester ici. Il y a les talibans et il y a des combats... Ma famille est
menacée par les talibans, il faut que je quitte ce pays.»
Le reportage de France 2 a ensuite montré un employé de l'ambassade de
France venu remettre 2 000 euros en liquide à chaque déporté. Nik Khan a dit
que cela lui servirait à reprendre la route pour revenir en France.
Selon le Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHRC) il
y a eu en tout 185 000 demandes d'asile dans les pays industrialisés entre
janvier et juin du fait de l'aggravation de la situation dans des pays comme
l'Afghanistan et la Somalie. Durant les six premiers mois de l'année, il y a
eu une augmentation de 80 pour cent des Afghans demandant l'asile. En tout,
il y a 12 000 demandes d'asile d'Afghans et 11 000 de Somaliens déposées
dans 40 pays. Mais ce sont toujours les Irakiens les plus nombreux à fuir
les zones de combat et les conséquences de l'agression impérialiste.
La France compte 3 500 soldats qui participent à la guerre de type
colonial en Afghanistan. Eric Besson a réagi aux critiques des organisations
humanitaires devant les expulsions forcées en disant, « La France ne doit
pas avoir honte de sa politique d’immigration. Au contraire elle doit en
être fière. » Il a dit qu'il agissait dans le respect des « lois de la
République » et du « fondement de la souveraineté d’un Etat. »
Mais il y a des craintes au sein de l'establishment politique
quant à l'hostilité exprimée dans les sondages à l'égard de la présence
militaire française en Afghanistan. Alors que ces sentiments n'ont aucune
représentation politique au sein de la « gauche » française, ils pourraient
s'enflammer en une opposition populaire active. La contradiction consistant
à dire d'un côté que la présence militaire en Afghanistan a pour but de
protéger la population, et de l'autre le traitement brutal par l'Etat
français d'Afghans fuyant leur pays n'est pas passée inaperçue.
Fadela Amara, secrétaire d'Etat à la politique de la ville, autre
ancienne personnalité en vue du PS et militante antiraciste est
circonspecte: « L’Afghanistan est toujours un pays en guerre...Il faut
surseoir aux reconduites, particulièrement en ce qui concerne le peuple
afghan. Il faut faire attention. La France n’est pas n’importe quel pays sur
la scène internationale. » (Le Figaro, 26 octobre.)
La dirigeante du Parti socialiste Martine Aubry a déclaré le dégoût de
l'opposition parlementaire pour les «charters de la honte» de Besson. Elle s'est dite opposée aux expulsions, non pas pour
des raisons humanitaires, ni en opposition à la guerre d'agression
française, mais du fait de convenance politique. « Nous sommes actuellement
en Afghanistan pour lutter contre les Talibans et des hommes qui fuient les
Talibans qui les oppriment, eh bien on les renvoie, si je puis dire, dans
la gueule du loup. » Ce n'est, selon Aubry, pas « digne de la France de
faire cela. » Encouragé par une telle « opposition », Besson a annoncé son
intention de « lancer un grand débat sur les valeurs de l'identité
nationale, sur ce qu'est être Français aujourd'hui. » Il a insisté sur la
nécessité de réaffirmer « la fierté d'être français. »
Besson a donné la preuve vivante du vieil adage de Samuel Johnson: « Le
patriotisme est le dernier refuge des crapules. »
Ces « débats » seront organisés par les préfets durant la période de deux
mois et demi précédant les élections régionales de mars 2010. Ils
atteindront leur point culminant en un «grand colloque de synthèse. »
Besson soutient aussi la campagne lancée par Sarkozy et André Gerin
concernant l'interdiction de la burqa. Dans une discussion télévisée sur LCI
TV, Besson a dit, «On peut débattre sur l'opportunité de la loi ... mais sur
les principes il n'y a pas de débat: la burqa est inacceptable et contraire
aux valeurs de l'identité nationale. »
Parmi ses propositions, on trouve l'obligation d'enseigner et de chanter
l'hymne national, la Marseillaise, dans les écoles et d'offrir « à tout adulte
désireux, de bénéficier d'une sorte d'instruction citoyenne. »
La perspective sociale profondément réactionnaire de ce discours
nationaliste émerge dans sa déclaration citée dans Le Figaro du 25
octobre: « Un pays qui aurait une couverture sociale peu généreuse pourrait
se permettre d'accueillir des étrangers en situation irrégulière. Mais nous
devons protéger notre pacte social. »
Reprenant un thème cher aux fascistes, il identifie les immigrants, et
non l'actuelle politique d'austérité de son gouvernement, à une menace
contre l'Etat providence.
Besson reconnaît ouvertement qu'il est en train d'adopter d'importants
éléments du programme du Front national de Le Pen. «Nous n'aurions jamais dû
abandonner au FN un certain nombre de valeurs, comme le patriotisme, »
dit-il. Il prétend qu'adopter de telles valeurs assènera un coup fatal aux
néofascistes.
Avant de rejoindre le camp de Sarkozy, Eric Besson faisait partie de
l'équipe de campagne de Ségolène Royal lors de l'élection présidentielle de
2007. La candidate malheureuse du Parti socialiste a exprimé son accord
fondamental avec son ancien collègue. Dans un article du 29 octobre, Le
Figaro écrit, « Certes, elle a estimé mercredi que le débat sur
l'identité nationale constituait une 'opération de diversion et une
opération de conquête d'un certain électorat avant les élections régionales'
de mars. Mais elle aussitôt ajouté qu'elle considérait que ce débat est 'un
vrai débat'... 'J'ai été d'ailleurs la première à poser la question de la
nation et de l'identité nationale ... Ce débat est fondamental.' »
Loin de considérer que la campagne chauvine de Besson les affaiblira
politiquement, Marine Le Pen, probable successeur de son père à la tête du
Front national (FN) a jubilé, « L'important, c'est que ce débat s'ouvre.
Cela fait vingt-cinq ans que le FN réclame ce débat et qu'on nous le
refuse. » (Le Figaro du 29 octobre.)
D'autres commentateurs du PS, prétendant l'indignation contre leur ancien
collègue, ont accusé Sarkozy et Besson de manoeuvre électorale grossière.
Jean-Christophe Cambadélis, député et secrétaire national du PS, a condamné
Besson dimanche dernier. «Empêtré dans une gestion calamiteuse de
l'immigration, confronté aux déficits publics, bousculé par les sondages,
les licenciements, la vie chère, M. Besson se propose de faire un colloque
sur l'identité nationale. La ficelle est grosse! » Il a poursuivi en notant
que les thèmes de l'immigration et de la sécurité sont réactivés à cinq mois
des élections régionales.
Ce ne sont pas des questions purement électorales qui sont en jeu. La
classe dirigeante française, dont la « gauche » est une composante politique
essentielle, est en train d'aligner les forces politiques et celles de
l'Etat pour une mobilisation contre la résistance de masse inévitable de la
classe ouvrière contre sa paupérisation, dans l'intérêt du capitalisme
français en crise.
Tous les appels au racisme et au nationalisme doivent être rejetés avec
mépris par les travailleurs et les jeunes sur la base de l'unité de classe.
Pour cela, il faut développer une perspective socialiste et
internationaliste en France, en Europe et de par le monde.