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Canada : Une réaction désorganisée à la pandémie de grippe porcine met en lumière l’indifférence des gouvernements

Par Carl Bronski
12 novembre 2009

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Alors que la population est de plus en plus mécontente devant la lenteur de la campagne de vaccination pour la grippe H1N1 à travers le Canada et indignée par le traitement préférentiel réservé à certaines personnes haut placées, les officiels de la santé aux niveaux fédéral et provinciaux continuent de renier leurs engagements, envers les groupes à risque et la population en général qui souhaitent se faire vacciner.

Quelques semaines plus tôt, les autorités sanitaires se vantaient que le Canada allait disposer de plus de 50 millions de doses de vaccins à administrer à quiconque souhaiterait recevoir ce vaccin. La population nationale s’élevant à 34 millions, le débat public portait surtout sur la distribution de doses en surplus vers d’autres pays. On a fait remarquer que, parce que le gouvernement avait signé un contrat avec GlaxoSmithKline, une pharmaceutique possédant une usine de production en territoire canadien, les pénuries anticipées aux Etats-Unis et ailleurs ne surviendraient pas au Canada.

 « Le Canada est bien préparé pour ces situations grâce à des années de planification », a affirmé l’administrateur en chef de l’Agence de la santé publique du Canada, David Butler-Jones.

Ce scénario favorable dépeint par les officiels de toutes tendances politiques a cependant rapidement fait place à des accusations publiques d’incompétence, d’indifférence et de favoritisme. La mauvaise gestion de la pandémie de H1N1 par les autorités canadiennes a même été comparée à la réaction de l’administration de George W. Bush face à l’ouragan Katrina.

Depuis le 30 octobre, pratiquement chaque province et territoire a été forcée de réduire et modifier son programme de vaccination, augmentant ainsi la vulnérabilité de la population à la propagation du virus. En Ontario, la ministre libérale de la Santé, Deb Matthews, a annoncé mercredi dernier que la province allait manquer de doses avant le week-end. L’Alberta est déjà en manque de vaccin et a fermé temporairement cette semaine des cliniques, même pour les groupes les plus à risque.

En Colombie-Britannique, la province où il est survenu le plus de décès et d’hospitalisations causés par le virus de la grippe, tous les centres de vaccination étaient fermés le week-end dernier en raison de pénurie de vaccin. A l’Ile-du-Prince-Edouard, la vaccination des groupes d’enfants les plus vulnérables a été suspendue. Et dans de nombreuses villes à travers le pays, les plans de vaccination pour les personnes ne faisant pas partie d’un groupe à risque ont été suspendus indéfiniment, et ce à un moment où les responsables de la santé publique estime que la pandémie de grippe n’a pas encore atteint son pic et qu’elle va demeurer en force durant le mois de décembre.

Jusqu’à maintenant, 101 personnes sont mortes au Canada d’une infection par le virus H1N1 et 1700 ont été hospitalisées. D’autres victimes sont assurément à prévoir alors que la pandémie approche un pic.

De plus, mettant en évidence les conditions affreuses qui existent au sein des réserves amérindiennes du Canada, les Premières Nations ont été proportionnellement beaucoup plus touchées par la première vague de H1N1 ce printemps et en début d’été. Les Amérindiens et les Inuits comptent pour moins de 4 pour cent de la population canadienne mais, à la mi-août, comptaient pour 11,1 pour cent de tous les cas rapportés de grippe porcine, 15,6 pour cent des hospitalisations, 15 pour cent des patients atteints admis aux soins intensifs et 12,3 pour cent des décès dus au H1N1.

La pauvreté, la malnutrition, les logements surpeuplés et le manque d’accès à l’eau potable — des situations habituelles sur les réserves autochtones canadiennes et dans les villages où les Inuits ont été installés — contribuent à la propagation rapide du nouveau virus, explique Malcolm King, le directeur scientifique de l’Institut albertain de la santé des peuples autochtones aux Instituts canadiens de recherche en santé : « Déjà dans la première phase de l’épidémie de grippe porcine, les peuples autochtones ont payé durement le prix. Les perspectives que leur santé soit affectée de manière disproportionnée lors de la prochaine vague de la pandémie planent au-dessus de nous ».

L’approvisionnement actuel du Canada en vaccin a été attribué à des retards dans la production de vaccin chez la compagnie pharmaceutique GlaxoSmithKline à Sainte-Foy, dans la province de Québec. Apparemment, la chute de production a été due à un changement vers la production d’une quantité de vaccins spéciaux « sans adjuvant » pour les femmes enceintes. Plus tôt, le gouvernement fédéral avait été critiqué pour ne pas avoir prévu suffisamment de doses de ce vaccin spécial. Le changement soudain dans la production a eu un impact significatif sur la production.

Mais la réaction inadéquate du gouvernement à la pandémie de grippe H1N1 n’est pas due qu’aux ralentissements de la production à l’usine de Ste-Foy.

Même dans les cliniques où le service a été disponible pour les groupes à haut risque — les jeunes enfants, les personnes de moins de 65 ans avec des problèmes de santé, les femmes enceintes, les gens habitant des régions reculées ainsi que ceux qui fournissent les soins — les temps d’attente ont été longs. Les critiques ont remarqué que les longues files d’attente aux cliniques publiques sont au moins en partie le résultat de l’échec des autorités de la santé à assurer la livraison adéquate et à temps du vaccin aux bureaux de médecin de famille.

À Toronto, Vancouver et Montréal, la semaine dernière, ces groupes plus vulnérables ont été maintenus à l’extérieur, dans des files d’attente désorganisées, jusqu’à 6 heures au froid et à la pluie. Le manque de préparation a été tel pour cette pandémie que les autorités savaient avec certitude, depuis bien plus que six mois, qu’elle éclaterait, que des cliniques publiques ont été organisées de façon désordonnée chez des concessionnaires automobiles, dans des stationnements et d’autres lieux sans même un toit de fortune pour se protéger contre le climat. Au Québec, les autorités ont demandé des preuves de résidence locale avant de fournir les services, après que des troubles eurent lieu entre des gens provenant de différentes municipalités qui attendaient en ligne.

Mais alors que les gens faisant partie des groupes à haut risque continuent d’attendre pour être vaccinés, et alors que les enfants plus âgés et les adultes, moins vulnérables, attendent, jusqu’ici en vain, leur tour pour être vaccinés, des rapports ont commencé à paraître les uns après les autres montrant les efforts des sections les plus privilégiées de la société pour court-circuiter le système et recevoir leur vaccin.

La colère ressentie par la population face au fait que des individus bien nantis se soient assuré d’être servis d’abord  a mis en lumière les divisions de classe sans cesse grandissantes de la société canadienne.

À Toronto, trois milliers de doses du vaccin ont été livrées à la clinique privée et profitable, Medcan Clinic — une entreprise qui fournit un traitement dispendieux (2300 dollars par personne pour un examen médical « avancé ») à une clientèle qui fait partie de l’élite patronale de Toronto. Lorsque la découverte fut communiquée à travers les journaux de la ville, la ministre provinciale de la santé, Matthews, dont le gouvernement permettait de telles pratiques, a juré « d’examiner » l’affaire.

Au même moment, d’autres abus sont révélés, dévoilant combien le système de santé à deux vitesses a crû au Canada.

La Montreal Gazette a rapporté que les 200 principaux donateurs et leur famille à l’Hôpital général juif de Montréal avaient eu un accès prioritaire aux vaccins H1N1. A Toronto, l’ensemble du conseil des directeurs du Mount Sinai Hospital a violé les règles fédérales régissant l’attribution des vaccins en court-circuitant la queue. Ils ont été vaccinés avant même que les cliniques de vaccination pour les groupes les plus vulnérables aient été ouvertes. Le docteur Donald Low, microbiologiste en chef de l’hôpital et directeur médical des laboratoires de santé publique de l’Ontario, a dit : « Ce que l’on voit n’est pas très beau. » Depuis que les agissements des directeurs du Mount Sinai Hospital sont connus du public, il a été également révélé que les conseils de directeurs de trois autres hôpitaux de la région de Toronto avaient aussi reçu un traitement préférentiel.

Sans aucun doute un des incidents le plus largement rapporté dans la presse sur le court-circuitage des queues par les élites, il a été révélé que les athlètes millionnaires de deux clubs de hockey professionnel, les Flames de Calgary et les Maple Leafs de Toronto, ainsi que le club de basketball des Raptors de Toronto se trouvaient parmi les premiers à être vaccinés, malgré le fait qu’ils font partie d’un des groupes les moins vulnérables à la grippe.

Mais même si ces révélations ont été largement désapprouvées par la population, les éditorialistes des grands médias ont sauté sur l’occasion qui leur était offerte de faire la promotion d’un système de santé entièrement à deux vitesses basé ouvertement sur le profit. Ainsi, le Calgary Herald a proposé que la décision de violer les règles de la santé publique et de vacciner les joueurs de hockey professionnels était « très à propos du point de vue des affaires ».

Le National Post a ajouté sa contribution au développement de l’argumentation en postulant que le court-circuitage des queues est déjà bien établi dans le système de santé canadien, malgré la création du mythe du système de santé universel propagé par l’ensemble des principaux partis politiques au Canada. Le quotidien, qui est depuis longtemps un défenseur acharné de la privatisation tous azimuts du système de santé public a utilisé les ratés gouvernementaux pour relancer le débat sur les soi-disant avantages de la médecine pour le profit.

Mais  l’incompétence  gouvernementale et le court-circuitage des queues dont les éditorialistes font leur chou gras sont la conséquence d’un fait capital. L’échec de l’établissement de Sainte-Foy, comme de toutes les autres grandes pharmaceutiques internationalement, à offrir une quantité suffisante de vaccins contre le virus H1N1 expose le mensonge d’un des tenants essentiels du capitalisme : la « main invisible » du marché peut rationnellement distribuer les biens et services essentiels.

Les grandes pharmaceutiques ont évalué que la production de vaccins contre la grippe n’était pas suffisamment profitable. En plus de ne pas rapporter beaucoup, les vaccins produits sont inutiles pour l’année suivante à cause des mutations du virus de la grippe d’une année à l’autre. L’établissement de Sainte-Foy n’a conservé sa capacité de production de vaccins en 2001 qu’après avoir obtenu un contrat de 300 millions sur 10 années du gouvernement fédéral ainsi que d’autres fonds gouvernementaux pour agrandir l’usine.

Les grandes pharmaceutiques ont d’immenses ressources à leur disposition pour développer des façons plus modernes de produire en masse les vaccins. Mais les profits vont plutôt aux chefs d’entreprise et aux actionnaires multimillionnaires, et la part du lion des revenus ne va pas à la recherche et au développement de nouveaux médicaments, mais plutôt à la mise en marché et à l’administration. De plus, une partie importante de la recherche et du développement vise à développer des médicaments « moi aussi », une version légèrement modifiée de médicaments déjà existants se vendant bien dans le but de prendre des parts du marché au moyen d’un produit breveté.

Les efforts du monde médical et scientifique pour comprendre et combattre la grippe porcine sont aussi compromis par l’absence d’une stratégie mondiale, conséquence directe de l’existence du système des États-nations en concurrence les uns avec les autres.

Alors que le virus ne connaît pas de frontières, les gouvernements des nations les plus riches ont chacun adopté leur propre stratégie contre la grippe. Chacune de ces stratégies vise à mettre la main sur le plus grand nombre de vaccins possible. Ce ne sont que les restes, dont l’existence semble de plus en plus improbable, qui iront aux pays pauvres. C’est pourtant dans ces pays que le virus de la grippe pourra faire les plus grands dégâts, leur population ne pouvant avoir facilement des soins, de la nourriture ou de l’eau saine.

Le problème central de la pandémie de grippe porcine n’est pas de nature scientifique ou médical. Contrairement à ce qu’affirment sans fondement certains groupes, tant à gauche qu’à droite, il n’y a pas de preuves historiques ou scientifiques qui contredisent le rôle vital de la vaccination.

Le problème est plutôt la subordination du développement scientifique à la course aux profits des sociétés pharmaceutiques et la décimation du système de santé publique. Sur une échelle mondiale, ceci est système anarchique des gouvernements nationaux en concurrence les uns avec les autres. Une fois libéré de ces contraintes, il ne peut y avoir de doute que la science et la médecine augmenteront de façon importante la durée et la qualité de vie de milliard de personnes.

(Article original anglais par le 9 novembre 2009)

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