WSWS : Nouvelles et analyses : Economie mondiale
Deux organismes des Nations
unies ont rapporté mercredi que plus d’un milliard de personnes, soit un
sixième de l’humanité, souffriront de sous-alimentation en 2009. Le
nombre d’affamés a grimpé de quelque 100 millions de personnes en un an,
le résultat de la plus sévère crise économique depuis la Grande Dépression.
L’état de l’insécurité alimentaire, produit par l’Organisation
des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et le
Programme alimentaire mondial (PAM), explique que l’augmentation marquée
de la faim dans le monde n’est pas le résultat de mauvaises récoltes ni
de désastres naturels, mais bien des prix élevés de la nourriture, de la hausse
du chômage et de la baisse des salaires, causés par l’homme.
Au même moment, la
réduction des dons au PAM, qui totalisent à présent 58 pour cent du financement
de l’année dernière, le force à restreindre ses opérations d’aide
alimentaire.
Le rapport indique que la hausse
marquée de la sous-alimentation représente une intensification d’une
tendance à long terme. La faim dans le monde est en augmentation depuis le
début des années 1990. « Même avant les crises alimentaire et
économique qui se sont succédé, le nombre de personnes sous-alimentées dans le
monde a augmenté lentement, mais constamment », note le rapport.
La majeure partie de
l’augmentation de la sous-alimentation a pris place dans les régions les
plus pauvres du monde (l’Asie, l’Afrique subsaharienne,
l’Amérique latine et les Caraïbes ainsi que le Moyen-Orient et
l’Afrique du Nord). « Aucune nation n’est épargnée et, comme
toujours, ce sont les pays les plus pauvres – et les populations les plus
démunies – qui en pâtissent le plus », affirme le document, qui a
été rendu public tout juste avant la Journée mondiale de l’alimentation
le 16 octobre.
Les pays pauvres ont été
touchés par une série de problèmes, notamment un manque d’aide et
d’investissements étrangers, une baisse des salaires et une
multiplication des licenciements, une réduction mondiale sans précédent des
transferts de fonds des émigrants vers des parents demeurés sur place, et des
prix systématiquement élevés pour la nourriture, notent les organismes basés à
Rome.
Les plus démunis souffrent
toujours des effets de la spéculation de 2006 à 2008 sur les denrées qui a fait
grimper les prix de produits de base tels que le riz, le blé et le maïs hors de
la portée de centaines de millions de personnes. Même si les prix ont quelque
peu reculé avec la crise économique de 2009, ils demeurent en moyenne 17 pour
cent plus élevés qu’en 2005.
Les prix élevés de
nourriture ne causent pas seulement la faim. Selon le rapport, la difficulté à
se procurer de la nourriture force des familles à adopter plusieurs
« mécanismes d’adaptation », dont « le remplacement
d’aliments nutritifs par des aliments moins nutritifs, la vente des
moyens de production », et « le renoncement aux soins de santé ou à
l’éducation ».
Le rapport mentionne aussi
que les outils qu’utilisent généralement les gouvernements des pays
pauvres pour faire face à une crise alimentaire (la dévaluation de la monnaie,
les emprunts et l’aide internationale) ont été rendus inefficaces par le
caractère mondial de la crise économique. Par le passé, les crises économiques
ont été concentrées dans une seule nation ou région, souligne le document.
Même si la faim extrême est
plus grave dans les pays moins développés, la misère sociale est en hausse
parmi les travailleurs et les pauvres des économies avancées, où le rapport
estime que 15 millions d’individus souffriront de sous-alimentation en
2009.
Cette statistique est
plutôt une sous-estimation de la crise alimentaire dans les pays avancés. Aux
Etats-Unis seulement, 36,2 millions d’individus vivaient dans des ménages
faisant face à « l’insécurité alimentaire » en 2007,
c’est-à-dire avant le début de la crise économique. Parmi eux se
trouvaient 12 millions d’enfants, selon l’analyse statistique des
données du département américain de l’Agriculture et du Bureau de
recensement. (voir « US: 12 million children face hunger
and food insecurity »).
La crise sociale dans les
économies avancées a été mise en relief par un rapport de l’Organisation
de coopération et de développement économiques (OCDE), aussi publié cette
semaine, sur le chômage. Le rapport a établi que, parmi ses trente états
membres, le taux global de chômage a grimpé de 0,1 pour cent en août par
rapport au taux de 8,6 pour cent en juillet et il était de 2,3 points plus
élevé qu’en août 2008. Il est prévu que les taux de chômage augmentent
pour une autre année et demeurent élevés pendant plusieurs années.
Le chômage en hausse dans
les économies avancées a affecté, de manière disproportionnée, certaines couches
de la population comme les jeunes, les travailleurs non-qualifiés et les
immigrants. Conséquemment, les immigrants ont réduit leurs transferts de fonds,
aggravant la crise de la faim dans les pays plus pauvres.
Les transferts de fonds
comptent pour plus de 6 pour cent du produit intérieur brut (PIB) dans la
plupart des pays en développement selon L’état
de l’insécurité alimentaire. Pour certains pays, la statistique est
beaucoup plus élevée. Au Tadjikistan, les transferts de fonds comptent pour 46
pour cent du PIB ; au Honduras et au Liban, pour environ 25 pour cent.
Environ le cinquième de tous les ménages en Albanie, aux Philippines, au El
Salvador et en Haïti dépendent des transferts de fonds comme source de revenus.
Dans les pays d’Asie
du Sud, les transferts de fonds comptent pour bien plus que la moitié de toutes
les entrées de capitaux étrangers. De manière surprenante, cela est
particulièrement vrai pour l’Inde — qui est vu comme ayant un rôle de
premier plan dans la nouvelle économie mondiale — où les transferts de fonds comptent
pour plus des trois quarts de toutes les entrées d’argent, éclipsant les
investissements étrangers directs.
Cependant, la baisse des
transferts de fonds n’est qu’une partie d’une contraction
marquée de tout le capital allant vers les pays pauvres. Citant un exemple, le
rapport explique que dans les 13 plus grandes économies d’Amérique
latine, les entrées de capitaux ont chuté de plus de trois quarts, de 184
milliards de dollars à environ 43 milliards en 2009.
L’aide étrangère a
aussi rapidement diminué. Le Fonds monétaire international (FMI) a estimé que
71 pays connaîtront en moyenne une diminution de 25 pour cent de l’aide
étrangère cette année. Cette diminution, elle-même la conséquence de la crise
économique dans les pays développés, aura le plus grand impact précisément sur
les pays les plus pauvres, particulièrement ceux de l’Afrique subsaharienne.
Face à cette crise mondiale
de l’alimentation, les organisations
d’aide tirent la sonnette d’alarme et demandent des gestes
immédiats. La crise est d’autant plus incompréhensible que les ressources
ne manquent pas et que la capacité de production alimentaire est amplement
suffisante.
« Nous avons les
moyens économiques et techniques pour éliminer la faim », a déclaré le
directeur général de la FAO, Jacques Diouf. « Ce qui manque, c’est
la volonté politique d’éradiquer la faim pour toujours. »
Cette déclaration n’est
vraie qu’à moitié. Alors qu’il est certainement exact de dire que
la science et la technique ont permis une augmentation de la productivité de l’agriculture
permettant de nourrir facilement toute la population mondiale, ce n’est
pas la « volonté politique » qui est le principal empêchement à l’éradication
de la faim dans le monde. Il s’agit plutôt du système d’organisation
sociale, le capitalisme, qui subordonne le besoin social à la recherche du
profit pour les riches.
L’an dernier, le PAM a
obtenu 5 milliards en dons pour nourrir les affamés du monde. Cette année, les
pays et les riches donateurs ont resserré les cordons de leurs bourses, ne
donnant que 2,9 milliards au PAM.
C’est une somme
misérable.
Selon le magazine Forbes, il y a 224 familles dans le monde qui possède une fortune de plus de 2,9 milliards. La totalité des ressources allouées au PAM pour nourrir les pauvres de par le monde ne représente que 2 pour cent de ce que les grandes banques de Wall Street donneront en salaires et en bonus aux banquiers américains de haut rang, qui ont provoqué avec leur spéculation la crise économique qui a poussé des dizaines de millions de personnes de plus dans la faim. (Voir “A record year for Wall Street pay”.)
Et, naturellement, les 2,9 milliards donnés pour contrer la faim mondiale n’est qu’un pourcentage infinitésimal des milliers de milliards de dollars que les gouvernements ont mobilisé pour sauver les plus grandes banques du monde.
« Les dirigeants mondiaux ont réagi avec vigueur pour empêcher le développement de la crise financière et économique et ont réussi à trouver des milliards de dollars en un temps très court, a noté Diouf. Il faut maintenant faire preuve de la même vigueur pour combattre la faim et la pauvreté. »
Ce n’est pas seulement que ces sauvetages des grandes banques d’une ampleur pratiquement inimaginable et les fortunes individuelles qu’ils servent à protéger représentent une mauvaise allocation des ressources. Ces ressources auraient pu être en effet plutôt utilisées pour satisfaire des besoins sociaux, par exemple, pour assurer que chaque personne puisse manger à sa faim.
La richesse de l’élite financière vient directement de l’appauvrissement de la grande majorité de la population mondiale au moyen de formes prédatrices de spéculation sur la dette, les marchandises essentielles, la propriété foncière, la monnaie et les fermetures d’usines. Et aujourd’hui, il faut ajouter le pillage au grand jour des gouvernements mondiaux à cette liste.
Ces processus provoquent une opposition de masse. Déjà, le prix élevé des aliments de base a provoqué des émeutes de la faim dans 60 pays depuis 2007.
(Article original paru le
15 octobre 2009)
Copyright
1998 - 2012
World Socialist Web Site
Tous droits réservés