A la suite des pourparlers internationaux de
Genève, le président américain Obama réitéra les menaces de Washington
vis-à-vis de l’Iran, disant en guise d’avertissement que les
Etats-Unis étaient « prêts à prendre des mesures pour augmenter la
pression » si Téhéran n’« agissait
pas avec célérité » afin d’honorer ses engagements sur le plan
nucléaire. Participaient aux pourparlers de hauts responsables du soi-disant P5
+1 (Etats-Unis, Grande-Bretagne, France, Russie, Chine et Allemagne) ainsi que
le négociateur nucléaire iranien en chef, Saeed Jalali.
Les Etats-Unis, soutenus par la Grande-Bretagne
et la France, ont augmenté la pression sur l’Iran au moyen d’une
« révélation » mélodramatique selon laquelle celui-ci possédait une
usine d’enrichissement d’uranium près de la ville de Qom. Téhéran
avait déjà informé l’AIEA (Agence internationale de l’énergie
atomique) de l’existence de ce site qui est encore en construction,
quatre jours auparavant. Washington a fixé au mois de décembre un délai pour
des négociations, menaçant le gouvernement de Téhéran de sanctions sévères
s’il refusait de se plier à ses exigences.
Durant les pourparlers, Jalali réitéra
l’intention de l’Iran d’ouvrir sous peu l’usine de Qom
aux inspecteurs de l’AIEA et insista une fois de plus pour dire que les
programmes nucléaires de son pays avaient des objectifs pacifiques. Téhéran
maintient qu’il a honoré ses obligations du Traité de non-prolifération
nucléaire en notifiant l’AIEA du début des opérations 180 jours avant. Le chef de l’AIEA, Mohammed El Baradei doit arriver à Téhéran demain
pour discuter l’accès des inspecteurs au site de Qom.
L’Iran accepta également le principe d’un
plan de l’AIEA prévoyant le transfert de la plus grande
partie de son stock existant d’uranium faiblement enrichi en
Russie puis en France pour enrichissement supplémentaire et la transformation
en crayons combustibles de celui-ci pour un petit réacteur près de Téhéran qui
produit des isotopes médicaux. Pour l’instant, le stock d’uranium
iranien a été enrichi à quatre pour cent – le niveau requis
pour un réacteur nucléaire, mais les crayons combustibles destinés au
réacteur de Téhéran exigent un enrichissement de vingt pour cent.
Si ce plan est réalisé, il confirmerait la
déclaration de l’Iran selon laquelle il n’est pas en train de
construire une arme nucléaire. Les médias américains ont décrit à maintes
reprises le stock d’uranium faiblement enrichi de l’Iran, produit à
sa centrale de Natanz, comme « suffisant pour construire une bombe ».
En fait, l’uranium servant à la construction d’une bombe doit être
enrichi à environ 90 pour cent. Si le gros de son stock était transféré en
Russie, cela prendrait des mois à l’Iran pour reconstituer un stock dans
le pays.
Au cours de la réunion d’hier, Jalili eut
aussi des discussions en tête-à-tête avec le sous-secrétaire d’Etat
américain William Burns. La rencontre représentait le contact au plus haut
niveau entre les Etats-Unis et l’Iran depuis la révolution iranienne de 1979 et le premier sur les questions nucléaires. Sous l’administration Bush, les
ambassadeurs des Etats-Unis et de l’Iran à Bagdad avaient tenu plusieurs réunions, mais limitées aux efforts américains pour s’assurer
le soutien des Iraniens pour leur occupation de l’Irak.
Selon le porte-parole du département
d’Etat américain, Robert Wood, Burns dit à son homologue iranien que
l’Iran devait « prendre des mesures et réaliser des démarches
pratiques qui sont en rapport avec ses obligations internationales ». La
discussion comportait aussi « un échange sincère sur d’autres
questions, parmi lesquelles celle des droits démocratiques ». Jalili est
aussi secrétaire de l’organisme puissant qu’est le Conseil de
sécurité national iranien, directement responsable auprès du chef suprême, l’ayatollah
Ali Khamenei.
Tous les participants qualifièrent les
pourparlers de Genève de « constructifs ». Le chef de la politique
étrangère européenne, Javier Solana, dit que toutes les parties s’étaient
« mises d’accord pour intensifier le dialogue dans les semaines à
venir » et de tenir une seconde réunion avant la fin du mois
d’octobre. Malgré la tournure positive donnée à la réunion cependant, la
réaction de l’administration Obama montre l’approche agressive des
négociations de la part de Washington.
Tout en décrivant les pourparlers comme un
« début constructif », Obama fit état de nouveaux délais que
l’Iran devrait respecter, insistant pour que l’AIEA obtienne un
« accès illimité… en l’espace de deux semaines » à
l’« usine nucléaire secrète » se trouvant près de Qom.
« Parler pour le plaisir ne nous intéresse pas » dit Obama et il
averti une fois de plus de ce que « [sa] patience a des limites ».
Comme l’administration Bush dans la période précédant la guerre contre
Irak, Obama réagit aux concessions faites par l’Iran en fixant de
nouveaux ultimatums.
L’administration a fait d’importants
efforts avant la réunion de Genève afin enjôlant et rudoyant à la fois
d’autres membres du P5+1 pour qu’ils soutiennent des mesures fortes
contre l’Iran de la part du Conseil de sécurité des Nations Unies. Les
sanctions actuelles, soutenues à contrecœur par la
Russie et la Chine, sont en grande partie dirigées contre des individus et des
sociétés liés aux programmes nucléaires iraniens. Les mesures punitives
discutées actuellement à Washington comprennent elles, des sanctions à grande
échelle qui pourraient frapper l’accès de l’Iran au financement, au
crédit commercial et à l’assurance et bloquer les importations de
produits pétroliers raffinés dont le pays a grand besoin.
Dans une mesure calculée pour s’assurer le
soutien de la Russie contre l’Iran, Obama a récemment annoncé certaines
modifications du bouclier anti-missile balistique prévu par les Etats-Unis.
Cela comprendra l’annulation des bases prévues en Pologne et en
République tchèque et auxquelles Moscou s’était fortement opposé. Après
une rencontre avec Obama jeudi dernier, le président russe Dmitri Medvedev
avait indiqué assez nettement que Moscou soutiendrait des mesures fortes contre
Téhéran. La déclaration était destinée à mettre l’Iran sur la défensive,
celui-ci ayant, dans le passé, compté sur la Chine et la Russie afin de bloquer
de telles sanctions.
Malgré que les pourparlers de Genève aient eu
lieu en petit comité, plusieurs articles de journaux notèrent un changement de
la position russe. Le Times de Londres commenta ainsi, s’appuyant
sur des sources internes : « On dit que la Russie a joué un rôle
déterminant dans le fait d’avoir concentré à nouveau l’attention de
l’Iran sur le problème nucléaire alors qu’il essayait de
l’esquiver en mettant en avant ses discours bien rôdés sur les injustices
historiques. Moscou semble avoir enlevé la responsabilité d’éviter des
sanctions des épaules de l’Occident et l’avoir placée sur celles de
l’Iran ».
Cette « Realpolitik » sordide, pour
laquelle le sort du peuple iranien est un pion dans un marché cynique à propos
d’intérêts économiques et stratégiques rivaux, souligne le fait que la
confrontation actuelle n’a pas pour objet principal le programme
nucléaire iranien. Celui-ci est bien plutôt le prétexte d’une campagne
américaine dont l’objectif est de mettre en place un régime qui soit plus
favorable aux ambitions de Washington pour la domination économique et
stratégique du Moyen-Orient et de l’Asie centrale.
La concession accordée par rapport au bouclier anti-missile d’Europe de
l’Est est simplement la monnaie de la pièce pour l’assistance
donnée par les Russes aux plans concernant l’Iran.
Dans toute la campagne destinée à faire peur et
menée dans les médias américains sur les usines nucléaires
« secrètes » de l’Iran, certains articles isolés semblent
proposer un marché à Téhéran pour qu’il normalise ses relations en retour
d’assurances mutuelles sur la sécurité. Un commentaire de mardi dans le New
York Times par Flynt et Hillary Leverett, deux critiques de
l’administration Bush, avertissaient du danger de confrontation et
appelaient à une volte-face stratégique par rapport à l’Iran, semblable
au rapprochement opéré par le président Nixon avec la Chine en 1972.
Après avoir noté les parallèles existant entre
les positions agressives de Bush et d’Obama vis-à-vis de l’Iran,
les auteurs de l’article écrivent : « Au
lieu de continuer l’erreur que des sanctions donneront à l’Amérique
une influence sur les prises de décision iraniennes – une stratégie qui
aboutira soit à la frustration soit à la guerre – l’administration
devrait rechercher un réalignement stratégique aussi profond avec l’Iran
que celui effectué par Nixon avec la Chine. Cela requerrait que Washington
fasse la démarche, en premier lieu, d’assurer Téhéran qu’un
rapprochement servirait les besoins stratégiques de l’Iran. »
Il faut se demander cependant qui serait le
premier bénéficiaire d’une stratégie de normalisation des relations avec
l’Iran. Comme dans le cas de l’Irak, ce sont les puissances
européennes, ainsi que la Chine et la Russie qui ont déjà des relations
diplomatiques et économiques bien établies avec l’Iran, dont des contrats
d’exploitation de ses immenses réserves de pétrole et de gaz naturel. Les
Etats-Unis qui ont coupé toutes relations avec Téhéran peu après la révolution
iranienne, seraient obligés de repartir à zéro. En alimentant les tensions en
permanence, même au risque d’une guerre, les Etats-Unis sont capables de
saper les relations de leurs rivaux avec l’Iran tout en essayant
d’installer à Téhéran un régime plus favorable à leurs intérêts.
C’est pourquoi une campagne
d’escalade des menaces et des provocations de la part des Etats-Unis et
de leurs alliés dans les mois à venir est plus vraisemblable qu’un plan
général de la réduction des tensions et de l’établissement de relations
économiques et diplomatiques avec l’Iran.
(Article original anglais publié le 2 octobre 2009)