Le gouvernement du Québec, dirigé par le parti
libéral du Québec (PLQ) de Jean Charest, prépare une série de mesures visant à
reporter le fardeau de la crise économique sur la classe ouvrière et à mettre
en place des plans de longue date de la classe dirigeante québécoise pour réduire
les services publics.
Sous le prétexte de s’attaquer au déficit
provincial — qui atteindra 3,9 milliards de dollars en 2009-2010 et 3,8
milliards en 2010-2011 selon le budget de mars dernier — le gouvernement a
laissé filtrer ses intentions dans la presse au cours des dernières semaines.
Même si tous les détails n’ont pas été révélés, les mesures envisagées
comprennent une hausse des taxes à la consommation, l’augmentation des
tarifs sur des services publics vitaux, et des coupures dans les programmes
sociaux.
Une hausse déjà annoncée de la taxe de vente du
Québec (TVQ) de 1 pour cent à compter de janvier 2011 sera appliquée. Cette
mesure avait été annoncée dans le budget de mars, mais le gouvernement a laissé
entendre en septembre qu’il pourrait l’augmenter dès janvier 2010
pour ensuite faire marche arrière. Lors de ce même budget, une hausse
généralisée de presque tous les tarifs avait aussi été mise de l’avant.
Les révélations des dernières semaines montrent que les discussions portent
maintenant sur l’ampleur qu’il faut donner à ces mesures.
D’après de nombreux articles parus dans
les médias, les mesures en préparation comprennent :
* une augmentation des frais de scolarité ;
* une hausse supplémentaire des tarifs
d’électricité de 1 cent le kilowatt-heure, soit une augmentation annuelle
de 175 $ à 265 $ en moyenne par famille, selon les experts ;
* une limite de 3,2 pour cent sur la
croissance des dépenses gouvernementales, bien en deçà des besoins réels compte
tenu de l’inflation, de la croissance de la population et de
l’impact de la pire crise économique depuis la Grande Dépression ;
* une hausse de la taxe sur l’essence qui,
combinée aux futurs droits d’émission de gaz à effet de serre, ferait
augmenter le litre d’essence de 3,7 cents à 12,7 cents.
Fait significatif, le gouvernement a écarté
toute augmentation de l’impôt sur le revenu comme moyen de combler le déficit
budgétaire. Les impôts sur les couches les plus riches de la société et sur les
entreprises ont été fortement réduits ces dernières années par les
gouvernements du Parti québécois (PQ) et du Parti libéral. Par des hausses de
taxes régressives et de tarifs, combinées à des coupures dans les dépenses
sociales, l’élite dirigeante cherche à piger dans les poches des
travailleurs sans toucher aux fortunes amassées au sommet de la société.
Bien que le gouvernement décrive déjà la hausse
de certains tarifs comme un « rattrapage important et progressif »,
il est fort probable que les mesures de droite annoncées par le gouvernement
pour combler le déficit seront encore plus importantes qu’il ne l’a
laissé entendre jusqu’à maintenant. En effet, les prévisions budgétaires
du gouvernement sont basées sur une « reprise bien enclenchée » à
compter de 2011. En s’appuyant sur ce scénario optimiste, le gouvernement
du Québec aurait tout de même accumulé un déficit de 11,6 milliards d’ici
2014. De plus, le gouvernement fédéral est lui aussi en déficit budgétaire et prévoit
aussi des coupures.
Selon un article paru dans La Presse du
23 septembre, le gouvernement a déjà des plans beaucoup plus drastiques qu’il
ne le laisse paraître concernant la hausse généralisée des tarifs. Ces plans
étaient inscrits dans un document joint au dernier budget de l’ancienne ministre
des Finances, Monique Jérôme-Forget.
La Presse
écrit : « Dans la partie "confidentielle" non accessible au
public, il [le gouvernement Charest] souligne que la politique, en plus de
l'indexation générale, devra déterminer les coûts des services tarifés "ou
pouvant l'être" (souligné par nous). Certains services, jusqu'ici
offerts gratuitement par Québec, pourraient donc basculer du côté des activités
pour lesquelles Québec exigera d'être rétribué, voire remboursé, puisqu'on
parle en même temps "d'autofinancement". »
Le gouvernement Charest parle maintenant de
« nouveau contrat social » et le ministre des Finances, affirme
qu’un « changement culturel global » est nécessaire,
c’est-à-dire mettre fin à la « culture de la gratuité » et
développer le principe de l’utilisateur-payeur. Des références sont
faites aux années 1990 du gouvernement du PQ de Lucien Bouchard, où celui-ci,
avec l’appui des syndicats, avait procédé à des coupures drastiques dans
les services sociaux au nom de la lutte pour l’atteinte du déficit zéro.
Cette offensive politique du gouvernement
Charest reflète des plans souhaités depuis longtemps par la bourgeoisie québécoise.
En 2005, des idéologues de droite bien en vue, souverainistes comme
fédéralistes, avaient signé le « Manifeste pour un Québec lucide ».
Ceux-ci dénonçaient l’ « immobilisme » de la société
québécoise, c’est-à-dire l’opposition populaire aux politiques néolibérales.
Ils prônaient un agenda profondément anti-ouvrier : le démantèlement de
l’Etat-providence, des hausses de frais, des baisses d’impôts pour
les plus riches, etc.
En 2008, deux rapports, commandés par le
gouvernement libéral de Jean Charest, avaient été déposés. Le premier, le
rapport Castonguay sur le système de santé, appelait notamment à une présence
accrue du privé dans les soins de santé et à l’instauration d’une
franchise annuelle. Le deuxième, le rapport Montmarquette dirigé par Claude
Montmarquette et Joseph Facal, tous deux signataires du manifeste pour un
Québec lucide, appelait notamment à des hausses de frais d’électricité,
de scolarité, de garderie et à la mise en place d’un système de péage
pour les routes.
Le gouvernement minoritaire de Jean Charest
s’était distancé de ces rapports disant qu’il n’avait pas
l’intention d’appliquer leurs recommandations. En fait, le
gouvernement Charest, dès son élection en 2003, avait cherché à implanter un
programme de droite. Il avait baissé les impôts pour les plus riches, implanté
un programme de partenariat public-privé et permis le recours à la
sous-traitance dans les services publics. Mais, vu l’opposition que cette
« réingénierie de l’État » avait suscité dans la classe
ouvrière, le gouvernement Charest avait dû reculer, du moins temporairement et
partiellement, sur certains aspects de son programme de droite.
Par la suite, Charest s’était servi de
manière plus conséquente de la bureaucratie syndicale pour que celle-ci l’aide
à aller de l’avant avec sa poussée majeure pour la
privatisation (particulièrement du système de la santé), pour des
augmentations des frais de scolarité et pour l'imposition
des coupures salariales réelles sur les travailleurs du secteur
public.
Le manifeste pour un Québec lucide, les rapports
Montmarquette et Castonguay ainsi que les commentaires favorables faits dans
les grands titres de la province pour ce programme droitier et anti-ouvrier
montrent que la classe dirigeante québécoise cherche à aller beaucoup plus loin
dans ces attaques qu’elle n’a pu le faire jusqu’à maintenant.
Elle voit la crise économique et le retour aux déficits budgétaires comme
l’occasion pour intensifier sa campagne idéologique et aller de l’avant
dans ces attaques.
Plus récemment, au début septembre, les
économistes de la Banque TD emboitaient le pas à ceux des Caisses Desjardins,
dont le rapport avait été publié en mai, en affirmant aux Québécois que des
« sacrifices » sont inévitables. Le 16 septembre, l’agence de
notation financière Standard and Poor’s a réduit les perspectives
rattachées à la cote de crédit du Québec, les faisant passer de positives à
stables. Le ministre des Finances du Québec, Raymond Bachand, a réagi en disant
que ce n’est pas une menace, mais qu’à un certain moment, il faut
« avoir une maison qui est en ordre ».
Depuis que le Québec est retourné dans une
période de déficit budgétaire, l’opposition à l’Assemblée
nationale, dirigée par le parti québécois, un parti indépendantiste de la
grande entreprise, a critiqué le gouvernement par la droite. Le PQ a vivement
critiqué le projet de loi 40, qui vise à permettre au gouvernement du Québec de
faire des déficits. Il a dénoncé le PLQ pour ne pas dire clairement quand il
arrêterait de faire des déficits. Au même moment, et d’une manière tout à
fait démagogique, le PQ, qui a imposé au milieu des années 90 des coupures draconiennes
dans les réseaux de la santé et de l’éducation, se dit opposé à chaque coupure
concrète mise de l’avant par les libéraux. Au printemps dernier, sous la
pression du PQ, le gouvernement a accepté d’énoncer dans son projet de
loi que les déficits prendraient fin en 2014.
Le gouvernement Charest est très conscient de
l’opposition populaire aux mesures qu’il veut imposer. Cette opposition
a d’ailleurs été révélée dans un sondage de Léger marketing publié dans
le Journal de Montréal. À l’évocation de la hausse des tarifs, 65 pour
cent des répondants se disaient « en colère », 29 pour cent affirmaient
comprendre, mais que ça les dérangeait.
Charest tente de manœuvrer afin de ne pas
attiser l’opposition populaire. II a annoncé que les frais de garderie,
gelés à 7 $ par jour, ne seraient pas touchés. Son ministre des Finances,
Bachand, a dit fin septembre que le gouvernement allait concentrer ses hausses
de frais sur l’électricité et que les autres mesures envisagées étaient
trop « compliquées » ou ne généreraient que des revenus marginaux.
Ces déclarations ne visent qu’à endormir politiquement les travailleurs
devant ce qui s’annonce comme l’attaque la plus massive sur les
programmes sociaux et services publics depuis les coupures péquistes des années
90.
Quant aux médias de la grande
entreprise, ils s’inquiètent de la possibilité que le gouvernement
n’aille pas assez loin et font des appels ouverts à Charest pour
qu’il défie l’opposition populaire. Le 28 septembre, André Pratte,
l’éditorialiste en chef de La Presse, dans un article intitulé La
révolution tarifaire, écrivait : « En ce début de troisième
mandat, M. Charest a l'occasion de faire prendre au Québec un virage historique
en matière de financement des services publics et de mettre ainsi un terme à la
culture malsaine de la gratuité. Certes, le combat sera rude et politiquement
coûteux. Mais l'avenir du modèle québécois en dépend. »
Une semaine plus tard, Alain
Dubuc, chroniqueur important du même journal, appelait le gouvernement Charest
à défier la volonté populaire : « La remise sur les rails des
finances publiques ne pourra pas être un exercice de démocratie directe, ou
encore une démarche citoyenne. Cela nous rappelle que diriger, c'est d'abord et
avant tout faire des choix et décider, même si cela est impopulaire. »
Les syndicats sont restés silencieux
face aux raz-de-marée d’articles dans les médias concernant les attaques
à venir sur les conditions des travailleurs. Comme ils l’ont fait avec le
PQ dans les années 1990, ils offrent leur collaboration au gouvernement afin de
maintenir les éventuels mouvements d’opposition de la classe ouvrière
dans les limites de l’ordre établi, en ramenant ceux-ci derrière leur
proche allié, le Parti québécois.