Mardi matin à l'aube, 600 policiers ont envahi
le camp de fortune près de Calais dans le nord de la France, connu sous le nom
de « la jungle » et qui abritait quelque 800 migrants sans papiers, pour
la plupart des Afghans cherchant à atteindre la Grande-Bretagne. La police a violemment
repoussé 150 associatifs anglais et français de défense des droits des migrants
qui essayaient de former une chaîne humaine pour empêcher l'expulsion des
migrants. Ils ont ensuite délogé de force les migrants dont la moitié était des
enfants ou des adolescents, effrayés et affolés, au milieu de scènes de grande
détresse.
Des unités de l'armée se tenaient en réserve
aux abords de l'entrée du tunnel sous la Manche. Cependant, les migrants n'ont
pas opposé grande résistance, mais certains ont essayé de défendre la mosquée
du camp où se trouvait aussi une tombe.
Le but de cet acte brutal perpétré avec le
soutien total du gouvernement britannique et de l'Union européenne et une
couverture médiatique importante était de terroriser tous ceux qui cherchent
un refuge loin des privations, de la guerre et des persécutions qui existent en
Asie et en Afrique, et à les dissuader de tenter d'entrer dans l'Union
européenne.
C'est aussi un signe lancé aux forces les plus
réactionnaires de l'Etat et de la société ayant pour objectif de les préparer à
la répression, dans le pays comme à l'étranger, des victimes en nombre croissant
de la crise économique. Ce raid ne représente qu'un élément des agissements
répressifs anti-immigrés en France: Il faut rappeler la mission parlementaire
contre le port de la burqa, l'objectif des 30.000 expulsions de sans-papiers en
2009, l'expulsion brutale des sans-papiers de la Bourse du Travail de Paris par
le service d'ordre de la CGT et la police...Le MRAP (Mouvement contre le
racisme et pour l'amitié entre les peuples) a condamné ce raid, « qui
plonge dans le désarroi des hommes, des femmes, des mineurs qui ont déjà eu
tant à souffrir » et qui « ne sert qu'à entretenir un climat
xénophobe dangereux dans notre pays ».
Le dirigeant néofasciste du Front national
Jean-Marie Le Pen a dit que « C'est toute la France qui est en train de
devenir une jungle. » Une fois les migrants et les manifestants délogés du
périmètre de la « jungle » des centaines de policiers ont procédé à une
opération de nettoyage, à l'aide de bulldozers, de tronçonneuses et de lance-flammes
pour détruire les abris de fortune.
De nombreux migrants, au courant que ce raid
très médiatisé allait avoir lieu, avaient quitté le camp. Ceux qui étaient
restés attendaient la police derrière des banderoles portant des inscriptions en
anglais et en pachtoune. On pouvait lire « Nous avons besoin d'abri et
de protection. Nous voulons l'asile et la paix. La jungle est notre maison. »Sur
une autre, « Donnez-nous l'asile en France. Nous voulons un logement. Nous
ne voulons pas rester dans la jungle. » Les groupes de soutien aux
migrants scandaient « Pas de frontières. Pas de nations. Pas de
déportations. »
Au total, 278 personnes ont été arrêtées, dont
deux membres des associations de soutien. Les 135 mineurs détenus ont été
envoyés dans des « centres spécialisés » selon les autorités. Les
associations de soutien disent qu'il s'agit de centres pour jeunes délinquants.
Eric Besson, ministre de l'Immigration et ancien membre du Parti socialiste qui
s'était rallié à Sarkozy durant sa campagne présidentielle de 2007, a supervisé
l'opération de la police. Il a dit à la presse que depuis janvier, quelque 180
clandestins ont choisi un retour volontaire dans leur pays et 170 ont engagé
des démarches pour une demande d'asile. Cinquante requêtes ont abouti à la
délivrance de titres de séjour provisoires.
Besson a fait la mise en garde suivante,
« Pour ceux qui continuent à refuser ces propositions, nous envisagerons
une procédure de retour contraint dans le pays d'origine. »Sa référence
aux demandes d'asile est particulièrement cynique. Keith Best du Service
britannique de conseil à l'immigration a dit à la presse, « Les Français
ne jouent pas le jeu en autorisant les gens à faire une demande d'asile à
Calais malgré leur obligation vis-à-vis de la Convention des réfugiés. » La
Grande-Bretagne exclut d'accepter les migrants. Alan Johnson, ministre de
l'Intérieur britannique a dit que les réfugiés
authentiques devraient faire leur demande
d'asile dans le pays où ils sont entrés dans l'UE, tandis que ceux qui fuient
les persécutions devraient rentrer chez eux. « Les mesures que nous avons
mises en place ne sont pas là juste pour empêcher l'immigration clandestine, mais
aussi pour mettre fin au trafic de personnes », a dit Johnson. « Nous
travaillons avec les Français, non seulement pour renforcer nos frontières communes,
mais celles de l'Europe dans son ensemble. » Johnson a promis de
poursuivre son soutien à l'action de la France en disant que les agents de la
police des frontières du Royaume-Uni « travaillent déjà jour et nuit aux
côtés des autorités françaises pour sécuriser la frontière à Calais ». La
Grande-Bretagne a récemment donné à la France 15 millions de livres sterling à
cette fin.
Le cynisme de Johnson a été renforcé par le
ministre britannique de l'Immigration Phil Woolas qui a dit que les migrants de
Calais sont forcément clandestins. Il a argué que sinon ils auraient demandé l'asile
en France ou dans le pays de l'UE où ils étaient arrivés. Mais le quotidien The
Guardian écrit, « La Grèce, pays de transit le plus probable pour la
plupart des migrants de Calais, a accepté moins d'un pour cent de demandes
d'asile l'année dernière. L'Italie a provoqué l'inquiétude internationale en
interceptant en mer de façon sommaire des bateaux de migrants et en les forçant
à retourner vers la Libye sans même un regard sur leur demande d'asile. »
Ces actions passent délibérément outre à la
disposition clé de la Convention pour les réfugiés de l'ONU datant de 1951,
appelée non refoulement et qui signifie qu'aucune personne faisant une demande d'asile
ne sera renvoyée dans un pays où elle serait susceptible d'être persécutée. Une
deuxième disposition stipule que chaque demande soit examinée soigneusement et
que personne ne soit poursuivi pour être entré dans un pays de manière
clandestine.
Besson a promis que d'autres squats de la
région seraient progressivement vidés. Des migrants venus d'Irak,
d'Afghanistan, d'Erythrée, de Somalie et d'autres pays encore vivent dans des bâtiments
vides et des cabanes tout le long de la côte du Nord-Pas-de-Calais, espérant
monter dans un camion et passer en Grande-Bretagne comme passager clandestin
Les médias français et la « gauche »
parlent peu des conditions qui créent ces mouvements migratoires massifs.
D'après The Guardian, il y a eu 10 millions de réfugiés et 200 millions de
migrants pour la seule année dernière.
Un article de Philip Johnston dans le
quotidien britannique Daily Telegraph du 22 septembre décrit la situation à
laquelle sont confrontées ces personnes : « Ce qu'ils veulent tous,
c'est entrer en Grande-Bretagne ; et après avoir bravé les sables brûlants
du Sahara, risqué leur vie à traverser la Méditerranée ou passé des journées entières
tout serrés et affamés à l'arrière d'un camion en provenance d'Asie centrale,
ce ne sont pas les 33 kilomètres de mer du Nord qui va les faire reculer.
« A travers l'Europe, les bidonvilles
poussent comme des champignons... Le changement climatique, la croissance de la
population, le manque d'eau, la famine et la guerre vont pousser de plus en
plus de gens à quitter leur pays d'origine et à venir en Europe...
« Les côtes méditerranéennes d'Espagne et
de France voient une augmentation importante des chiffres. En 2008, on a estimé
à 70.000 le nombre de personnes cherchant à faire la traversée à partir
d'Afrique du Nord. Il y a parfois des cadavres qui s'échouent sur les plages, résultat
des tentatives malheureuses de traverser la mer en partant d'Afrique, souvent
dans des embarcations petites et incapables de résister aux éléments. »
The Guardian raconte les difficultés d'Ahmed
Toeb, jeune agriculteur du nord de Kaboul qui dit avoir essayé nuit après nuit
de faire s'arrêter des camions afin de pouvoir atteindre la Grande-Bretagne, en
courant à côté d'eux sur l'autoroute. « J'ai réussi plusieurs fois, mais
après je me suis fait arrêter par la police des frontières française. » La
nuit précédant le raid, on avait eu vent de rumeurs comme quoi la police
viendrait. » Il s'était caché et avait vu des hommes s'enfuir. « Des
amis à moi ont été pris, il y en a un qui a 14 ans. Je ne sais pas où ils sont
maintenant. J'ai peur pour eux. » Il ne cessera pas d'essayer d'entrer en
Grande-Bretagne. S'il essaie de faire une demande d'asile en France, il craint
qu'on ne le renvoie tout simplement en Afghanistan.
Des associatifs d'entraide et des volontaires
qui risquent des amendes allant jusque 75.000 euros et cinq années
d'emprisonnement pour porter assistance à ces migrants clandestins, le délit de
solidarité, ont fait remarquer que des actions comme le raid de Calais ne
feront que déplacer le problème. De nombreux migrants qui ont évité le raid
dorment à présent sous les ponts et dans des bâtiments abandonnés.
Jean-Claude Lenoir,dirigeant du groupe de
soutien Salam a expliqué leur présence au camp : « On voulait d'une
façon symbolique, montrer notre solidarité avec les migrants. On ne peut pas
faire la guerre en Afghanistan et traiter ici les Afghans avec si peu de
dignité. » Les soi-disant partis de gauche en France ont fait une série de
déclarations sur le raid. Le Courrier Picard cite le Parti de Gauche de
Jean-Luc Mélenchon et le Parti communiste qui disent respectivement que c'était
un « spectacle cruel et obscène » et une « opération médiatico-policière. »
Martine Aubry, première secrétaire du Parti socialiste a déclaré, « C'est
un acte totalement inhumain. » Les Verts ont publié un communiqué disant
que « cette opération hautement médiatique n'est qu'une mise en scène
politicienne » organisée avant les élections régionales de 2010.
Tous ces partis étaient dans le gouvernement
de la Gauche plurielle de Lionel Jospin qui s'est joint à l'invasion de
l'Afghanistan initiée par les Etats-Unis en 2002. Ils continuent à soutenir
l'intervention militaire de style colonial actuelle de soldats français aux
côtés de ceux de l'OTAN et qui contribue à ravager le pays et à pousser des millions
de personnes à l'exil. Nombreux sont ceux qui meurent en chemin, mais certains
finissent par arriver à Calais et il en viendra encore.
Le gouvernement de Gauche plurielle a appliqué
les lois anti-immigration qui ont rendu ces migrants clandestins. Il est quasiment
impossible de différencier l'actuelle politique d'immigration du Parti
socialiste de celle du gouvernement Sarkozy. Jospin a travaillé avec le
gouvernement britannique pour rendre le passage en Angleterre aussi difficile
et dangereux que possible, créant ainsi cet engorgement d'immigrants cherchant
à gagner l'Angleterre au centre de la Croix-rouge de Sangatte, fermé en 2002 à la
demande du gouvernement Blair. Jospin avait accusé la Grande-Bretagne d'être
trop « tolérante » en matière d'asile et le quotidien du PC,
L'Humanité, avait critiqué la décision de Sarkozy de « fermer Sangatte
sans que le problème soit réglé en Grande-Bretagne. »
En septembre 2001, le ministre de l'Intérieur
de Jospin Daniel Vaillant avait publié une déclaration conjointe avec le
ministre de l'Intérieur britannique David Blunkett, appelant à de rapides « progrès
pour se mettre d'accord et mettre en pratique les dispositions communes de l'UE
pour traiter le problème des demandeurs d'asile. » et afin de faire cesser
la « ronde des demandes d'asile ». (asylum shopping) (lire
aussi en anglais Britain and France seek tougher measures against refugees)
La manière impitoyable dont sont traités les
réfugiés de Calais et leurs enfants est un avertissement cinglant à la classe
ouvrière d'Europe de la violence répressive que l'Union européenne est en train
de préparer contre tous ceux qui cherchent à se protéger et à protéger leur
famille de la destruction sociale qui leur est infligée par les Etats d'Europe
au nom de l'impérialisme européen.
(Article original anglais paru le 19 septembre
2009)