Les élections parlementaires qui se
déroulent tous les quatre ans sont considérées comme le scrutin le plus important
en Allemagne. Elles déterminent non seulement la répartition des sièges au
parlement allemand (Bundestag), mais aussi la composition du gouvernement.
A moins de cinq semaines de la date des
élections, le 27 septembre, toutefois, l’absence de tout débat politique dans
l’actuelle campagne électorale est devenue aussi évident qu’elle est un sujet
qui domine les commentaires politiques. La presse se plaint du fait d’une
campagne ennuyeuse et impute la faute soit à la réticence de la chancelière
sortante de défier ses rivaux soit à l’apathie présumée de l’électorat.
La véritable raison est ailleurs. Tous les
partis représentés au parlement allemand s'accordent à penser que le prochain
gouvernement sera obligé de reporter le fardeau de la crise économique
internationale sur la population. Personne n’est disposé à aborder la question
de ce qui attend la population après les élections. Au lieu de cela, des
querelles mesquines et des banalités (tel le scandale de la ministre de la
Santé ayant utilisé une voiture de fonction à des fins personnelles) dominent
la campagne électorale.
Il y a littéralement un complot pour
dissimuler la véritable ampleur de la crise et pour reporter ses conséquences
les plus graves à une date après les élections.
Comme le rapportait le 25 août le Financial
Times Deutschland, en se référant à plusieurs présidents de groupes, il
existe « une sorte d’accord moratoire entre l’industrie allemande et le
gouvernement » pour différer la suppression massive d’emplois après la
date des élections. Sitôt les élections passées, « L’industrie allemande
envisage de pratiquer des suppressions massives d’emplois. » Le journal
conclut en disant : « L’admission des patrons ne sert qu’à justifier
la crainte que les coupes les plus cruelles sont encore à venir pour les
travailleurs allemands. »
Des commentaires identiques ont été faits
par l’ancien président de l’industrie allemande (BDI), Olaf Henkel, dans un
article publié dans le journal économique Handelsblatt. Henkel, qui
siège au conseil de surveillance de plusieurs grands groupes, écrit :
« Directement après les élections non seulement les conséquences de la
crise économique mais aussi la politique fait maison (à savoir du gouvernement)
conduira à une augmentation considérable du nombre des chômeurs en
Allemagne. » Il reproche aux partis gouvernementaux de ne pas être
disposés « à dire maintenant la vérité au sujet des décisions qui devront
être prises durant la prochaine période législative. »
Il règne aussi un silence absolu dans la
campagne électorale sur les prochaines réductions des dépenses sociales. Tout
récemment, la grande coalition a inscrit dans la Constitution une loi limitant
l’endettement et qui obligera tout futur gouvernement à réduire le déficit
budgétaire qui connaît une forte hausse par des coupes budgétaires drastiques.
Les milliards octroyés aux banques, le trou béant des revenus fiscaux et le
fardeau grandissant des paiements sociaux doivent être récupérés aux dépens des
couches les plus faibles de la société. Toutefois, pas le moindre mot n’est dit
à ce sujet durant cette campagne. Au lieu de cela, des affirmations creuses
sont faites, promettant des augmentations des dépenses d’éducation, des
améliorations sociales et des réductions d’impôts, des promesses qui seront
mises au rebut après les élections.
La guerre en Afghanistan a également disparu
en grande partie de la campagne électorale. Bien que le gouvernement ait plongé
l’armée allemande de plus en plus profondément dans une guerre brutale et qui
prend de plus en plus les formes d’un embrasement régional, il n’y a pas de
débat public. Le ministre allemand de la Défense, Franz Josef Jung, refuse même
de qualifier le conflit de « guerre ». Les véritables objectifs de la
guerre, l’asservissement impérialiste d’une région stratégiquement importante,
sont étouffés et niés.
Les soi-disant partis de l’opposition sont
tous d’accord sur ces questions avec les partis de la grande coalition, l’Union
chrétienne-démocrate (CDU), l’Union chrétienne-sociale (CSU) et le Parti
social-démocrate (SPD). Les Verts avaient à la fois soutenu l’envoi de troupes
en Afghanistan et l’Agenda 2010 antisocial quand ils étaient au gouvernement
avec le SPD et ils restent de fervents partisans des deux politiques. Le Parti
libéral démocrate (FDP) propose même d’aller plus loin dans les coupes sociales
que ne le fait la grande coalition.
Le parti La
Gauche (Die Linke) n’est pas une exception. Officiellement il appelle au
retrait des troupes allemandes d’Afghanistan et à l’abolition des lois Hartz
IV, mais n’entreprend aucune démarche pour mobiliser en faveur de ces
revendications. Tout comme la chancelière Merkel, le dirigeant de Die Linke,
Oskar Lafontaine, se réfère à Ludwig Erhard en le louant comme le père de
« l’économie sociale de marché ». En réalité, Erhard fut un
politicien de l’aile droite de la CDU et un défenseur sans faille du système
capitaliste. Il fut obligé de démissionner comme chancelier suite à une série
de grèves des mineurs en 1966. Les acquis sociaux remportés au milieu du boom
d’après-guerre avaient été le résultat de la lutte des travailleurs contre
Erhard. De tels acquis furent gagnés de haute lutte au milieu du boom
d’après-guerre et toute répétition au milieu de la plus profonde crise
économique mondiale depuis 1930 est exclue.
Bien que cinq
partis siègent actuellement au Bundestag, les différences programmatiques entre
eux sont tellement minimes que chaque parti pourrait en principe coopérer avec
l’autre. Aucun n’est prêt à défier le pouvoir des banques et des grands groupes
qui sont responsables de la crise économique et qui engrangent à présent de
nouveaux profits et une nouvelle richesse. Ils se font tous concurrence pour la
seule et même mince couche d’électeurs, les sections les plus riches de la
classe moyenne qu’ils qualifient de « mainstream » (courant
dominant.) La population laborieuse est en grande partie exclue de jouer un
rôle quelconque dans l’élection.
Il y quatre
ans, la dirigeante du CDU, Angela Merkel, et le dirigeant du FDP, Guido
Westerwelle, avaient préconisé une coalition noir-jaune de leurs partis avant
les élections. Ce qui fut déjoué par le résultat des élections qui manqua de
fournir aux deux partis une majorité. Cette fois-ci, Merkel a été plus prudente
et ne s’est pas engagée à former une coalition avec la FDP.
Sa décision
n’est pas seulement due au fait que le résultat des élections est incertain.
Selon les sondages actuels, une coalition CDU-FDP remporterait une étroite
majorité, mais de tels sondages ne sont souvent pas fiables (en 2005 ils
avaient été imprécis et avaient occasionné une erreur de l’ordre de 7 pour
cent) et environ 40 pour cent des personnes interrogées restent indécises.
Mais, ce qui est plus important, c’est qu’il subsiste des doutes dans des
sections du camp conservateur quant à savoir si la coalition CDU-FDP serait
capable de contenir l’opposition populaire ainsi que la colère. Sous un
gouvernement formé presque entièrement de politiciens ouvertement
pro-patronaux, il serait bien plus difficile pour les syndicats de tenir en
bride la classe ouvrière. Au cours de ces onze dernières années, les syndicats
ont joué un rôle crucial dans l’application des coupes sociales en étouffant
toute opposition générale, d’abord sous le gouvernement Schröder et, plus
récemment, sous le gouvernement Merkel.
Plusieurs
politiciens conservateurs de premier plan ont pour cette raison invité le FDP à
modérer sa rhétorique néolibérale. Le premier ministre bavarois, Horst Seehofer
(CSU), qui gouverne à Munich en coalition avec le FDP, a averti le dirigeant du
FDP, Guido Westerwelle, qu’il rencontrerait « la résistance de la
CDU » en cas d’« attaque néolibérale après les élections. » Des
commentaires identiques sont venus du premier ministre sarrois, Peter Müller
(CDU), qui doit se faire réélire ce week-end, ainsi que de son collègue Jürgen
Rüttgers (CDU) de Rhénanie-du-Nord/Westphalie. Rüttgers qui gouverne aussi son
Land en coalition avec le FDP, craint, selon le magazine Der Spiegel,
qu’« une tempête de protestations contre une alliance CDU-FDP » au
niveau fédéral puisse lui coûter les prochaines élections régionales en
Rhénanie-du-Nord/Westphalie en mai 2010.
Se référant
à des sources CDU, Der Spiegel rapporte que la chancelière Merkel
« préconiserait avant tout une reconduction de la grande coalition… Une
poursuite de la coopération avec le SPD offrirait de nombreux avantages du
point de vue de la chancelière. » Une grande coalition est sûre d’avoir
une nette majorité dans les deux chambres du parlement allemand, le Bundestag
et le Bundesrat. Une telle majorité ferait défaut à une coalition CDU-FDP si la
CDU enregistrait de mauvais résultats lors des élections régionales imminentes.
De plus, la coalition avec le SPD a fourni au gouvernement le soutien sans
entraves des syndicats qui ont appliqué des accords à bas salaires ou, comme
l’a fait le syndicat des cheminots Transnet durant la dernière grève des
conducteurs de train, ont ouvertement agi comme briseurs de grève.
Le SPD
souhaiterait également poursuivre la grande coalition. Après une chute dans les
sondages à un niveau de soutien d’environ 22 pour cent et refusant pour le
moment de former une coalition avec Die Linke au niveau fédéral, la grande
coalition offre la seule perspective pour le SPD de rester au gouvernement.
Dans le
même temps, une poursuite de la grande coalition mènerait inévitablement à la
poursuite du déclin du soutien à la CDU et au SPD, les deux soi-disant partis
populaires traditionnels de la politique allemande. Après onze années passé au
gouvernement le SPD souffre d’une diminution chronique des adhérents et
enregistre dans les sondages son plus mauvais résultat de la période
d’après-guerre. Et, en dépit d’un bon score personnel de la chancelière Merkel
dans les sondages, la CDU n’a pas été en mesure d’améliorer son maigre résultat
de 2005. Le parti tourne actuellement autour de 36 pour cent.
Des
négociations intenses sont menées pour trouver des alternatives à une grande
coalition. Si le 27 septembre une nette majorité CDU-FDP se dessinait, alors
une coalition de ces partis, y compris la CSU, serait probable. Mais les Verts,
qui ont pour la première fois formé à Hambourg au niveau régional une coalition
avec la CDU, ont fait connaître leur volonté de collaborer avec la CDU et la
CSU. Les questions programmatiques ne présentant pas d’obstacle majeur pour
l’ancien parti écologique. Les Verts ne cachent pas leurs relations étroites
avec le monde des affaires et ils défendent avec véhémence l’intervention de
l’armée allemande en Afghanistan.
Die Linke joue un rôle clé dans les considérations concernant les
futures coalitions. Si les conflits sociaux s’intensifiaient alors le parti
deviendrait utile. Dans les Länder (tels Berlin) et les municipalités en
Allemagne de l’Est où il partage le pouvoir, il agit comme un appui fiable pour
l’ordre bourgeois. A présent, il pourrait entrer pour la première fois dans le
gouvernement d’un Land en Allemagne de l’Ouest.
La première tentative de ce genre du parti
avait échoué l’année dernière dans le Land de Hesse. Des adversaires au sein
même du SPD avait sabordé la tentative de la dirigeante régionale du parti,
Andrea Ypsilanti, de former une coalition avec Die Linke et les Verts. Ils
avaient profité du fait qu’Ypsilanti avait catégoriquement exclu avant les
élections toute coopération avec Die Linke. Toutefois, dans le petit Land de
Sarre, en Allemagne de l’Ouest, où des élections doivent avoir lieu dimanche
prochain, il y a de bonnes chances que le SPD, Die Linke et les Verts forment
un gouvernement commun, et ce à peine quelques semaines avant les élections
législatives.
Die Linke est particulièrement fort en Sarre en raison du rôle joué par
Oskar Lafontaine au niveau régional. Lafontaine a dirigé le SPD de Sarre
pendant 19 ans et a pendant 14 ans gouverné le Land comme premier ministre
avant de prendre la direction du SPD au niveau fédéral. Plus tard, il a quitté
le SPD pour fonder Die Linke. Selon des sondages d’opinion, le camp de la CDU
et du FDP sont au coude à coude avec le camp du SPD, Die Linke et les Verts. Le
SPD a déjà fait savoir dans le Land de Sarre qu’il démarrerait immédiatement
des négociations avec Die Linke et les Verts pour la formation d’une alliance
au cas où les trois partis dépasseraient la CDU et le FDP. La direction
nationale du SPD a déjà donné le feu vert à une telle coalition.
Il y a de grandes chances aussi qu’une
coalition réunissant Die Linke, le SPD et les Verts puisse remplacer la CDU
sortante dans le Land de Thuringe, en Allemagne de l’Est, où des élections ont
également lieu ce dimanche. Les élections régionales sont traditionnellement un
genre de test décisif pour les élections fédérales et les élections régionales
de dimanche pourraient bien influencer le résultat du 27 septembre. Le SPD a
catégoriquement exclu une coalition avec Die Linke pour la prochaine période
législative mais souhaite maintenir ouvertes d’autres options par la suite. Il
est aussi tout à fait possible que les prochaines élections législatives se
déroulent en l’espace de moins de quatre ans si la situation économique et
sociale continue de se détériorer.
Quant à Die Linke, il a montré clairement
qu’il était prêt à tout pour se faire reconnaître par le SPD en tant que
partenaire gouvernemental. En Sarre, Lafontaine a déjà réuni une équipe
gouvernementale acceptable au SPD et aux Verts. Il est question de Heinz
Bierbaum, comme ministre de l’Economie, aux côtés de l’ancien membre des Verts,
Barbara Spaniol, comme ministre de l’Education et de Volker Schneider qui a
travaillé durant de nombreuses années dans le groupe parlementaire SPD, comme
ministre du Travail.
En Thuringe, où le SPD est nettement plus
faible que Die Linke, le candidat tête de liste, Bodo Ramelow, a indiqué qu’il
permettrait au SPD d’occuper le poste de premier ministre. Politiquement, une
démarche sans précédent. Normalement c'est le parti bénéficiant du plus grand
soutien électoral qui prend la tête du gouvernement dans une coalition de
partis.
Une fois au gouvernement, Die Linke agirait
en Sarre, en Thuringe ou à un niveau fédéral, exactement comme il le fait à
Berlin. Dans la capitale allemande, Die Linke a entièrement soutenu les coupes
introduites par le SPD et a appliqué impitoyablement les lois antisociales
Hartz IV. La tâche la plus importante du parti est à présent de renforcer le
SPD qui est en train de perdre rapidement son soutien suite à sa politique
droitière.
Même si le résultat électoral devait rester
ouvert le 27 septembre, une chose est sûre : le prochain gouvernement,
indépendamment de sa composition, rejettera le fardeau de la crise sur la
population. Pour se défendre et pour empêcher qu’un tel désastre se produise,
la classe ouvrière a besoin d’un nouveau parti. La construction d’un tel parti
est l’objectif du Parti de l’Egalité sociale (Partei für Soziale Gleichheit,
PSG) en présentant ses propres candidats aux élections.