Le bombardement du week-end dernier qui, sur les ordres d’un commandant
allemand, a fait des dizaines de victimes civiles afghanes à Kunduz a
déclenché à peine deux semaines avant les élections nationales une crise
sérieuse au sein du gouvernement allemand. Le gouvernement avait cherché à
ne pas aborder le sujet de la guerre en Afghanistan lors de la campagne
électorale mais le tollé de protestations soulevées par le massacre de
Kunduz rend maintenant ceci impossible.
Mardi, le parlement (Bundestag) a tenu une séance spéciale consacrée à
l’Afghanistan. Les partis de la grande coalition gouvernementale, l’Union
chrétienne-démocrate (CDU) et le Parti social-démocrate (SPD), ont profité
de l’occasion pour afficher leur soutien sans faille à la mission militaire
allemande en Afghanistan en général et à l’ordre donné par le commandant
allemand à Kunduz en particulier.
La chancelière Angela Merkel du CDU a dit qu’elle ne tolérerait aucune
critique « que ce soit ici [en Allemagne] ou à l’étranger » des activités
des forces allemandes dans la région. Ses commentaires ont été repris par le
ministre SPD des Affaires étrangères et vice-chancelier, Frank-Walter
Steinmeier, qui a mis en garde contre « des jugements hâtifs » concernant le
comportement des troupes allemandes en Afghanistan. Les partis de
l’opposition, les Verts et le Parti libéral démocrate (FDP), ont serré les
rangs autour du gouvernement.
Le jour même où se tenaient les débats au Bundestag, le ministre allemand
de la Défense, Franz Josef Jung, inaugurait un monument à la gloire des
soldats allemands tués à la guerre. C’est la première fois depuis les
atrocités nazies de la Seconde Guerre mondiale qu'un gouvernement allemande
ose ériger un tel monument.
Ainsi, la réaction du gouvernement allemand, des partis de l’opposition
et du haut commandement militaire au massacre de Kunduz a consisté à lancer
une nouvelle offensive au nom du militarisme allemand.
Quelques heures à peine après les débats au Bundestag, La Gauche (Die
Linke) organisait un rassemblement à la Porte de Brandebourg à Berlin sous
le mot d’ordre : « Stop aux bombardements – Hors d’Afghanistan. » Ce slogan
toutefois, était une imposture. Le véritable objectif du rassemblement était
de briser l’opposition populaire à la guerre et de démontrer le soutien de
Die Linke à l’impérialisme allemand.
Le rassemblement a été organisé rapidement et les dirigeants de Die Linke
n’ont aucunement essayé de mobiliser un sentiment anti guerre existant au
sein de la population. Mais, bien que la participation ait été faible,
environ 500 personnes, les journalistes et les équipes de reporters télé
étaient nombreux. Il est évident que Die Linke avait appelé à ce
rassemblement dans le but de se procurer une plateforme à partir de laquelle
il lui serait possible de faire parvenir un signal aux partis
gouvernementaux et à la classe dirigeante. Le message étant : Nous sommes
prêts à soutenir une nouvelle stratégie pour poursuivre la guerre en
Afghanistan.
Préoccupé par le fait que les développements en Afghanistan risquent de
miner les intérêts internationaux allemands, Die Linke se proposait d’offrir
ses conseils en ce qui concerne une politique étrangère impérialiste plus
efficace et des moyens de la vendre à la population allemande.
Le principal orateur du rassemblement, le co-président du parti, Oskar
Lafontaine, a clairement laissé entendre que Die Linke abandonnait son appel
au retrait immédiat des troupes allemandes d’Afghanistan. Il a déclaré que
ce qui était nécessaire c’était une « solution au moins comparable à celle
adoptée par le gouvernement canadien, » en ajoutant, « il nous faut une date
pour un retrait complet des troupes. »
Le plaidoyer de Lafontaine en faveur de la politique canadienne en
Afghanistan ne reprend rien d’autre que celle du secrétaire américain à la
Défense, Robert Gates, qui avait fait dernièrement l’éloge du Canada en tant
qu’allié le plus étroit des Etats-Unis en Afghanistan.
En réalité, la promesse du gouvernement canadien de retirer ses troupes
d’ici 2011 est une manoeuvre cynique destinée à étouffer le sentiment anti
guerre de masse et les revendications croissantes pour un retrait immédiat
des troupes canadiennes. De plus, il n’existe pas la moindre garantie que le
gouvernement ne revienne sur sa promesse. Il a déjà étendu sa présence en
Afghanistan par deux fois précédemment.
Lafontaine propose que le gouvernement allemand adopte la « solution
canadienne » précisément dans le but de calmer l’opposition dans le pays qui
ne cesse de croître contre la guerre et de faire en sorte que les troupes
allemandes restent en Afghanistan.
Dans son discours, Lafontaine a pris soin de placer ses critiques
formulées à l’encontre de la politique officielle actuelle pratiquée en
Afghanistan dans le cadre d’un soutien patriotique pour les intérêts de la
bourgeoisie allemande, à l'étranger et dans le pays. Il a cité d’influents
responsables allemands de l’armée et des forces de sécurité qui ont
publiquement mis en garde contre le risque que le déploiement de l’armée en
Afghanistan ne ferait qu’accroître le danger d’attaques terroristes en
Allemagne. « Nous ne protégeons pas notre pays, » a-t-il déclaré.
Des signaux politiques identiques ont été lancés par d’autres membres
influents de Die Linke. Dans une interview accordée le jour du rassemblement
à Berlin au journal Junge Welt, la dirigeante du groupe parlementaire
du parti, Dagmar Enkelmann, a déclaré que son parti était en quête « d’un
vaste débat public concernant une stratégie de sortie. »
Toute personne qui se tient au courant de l’intervention américaine en
Irak comprendra la signification de cette expression. « Stratégie de
sortie » est un euphémisme politique pour y maintenir les troupes
indéfiniment.
Les partisans de la guerre en Irak avaient argumenté en faveur d’une
« stratégie de sortie » en se servant de l’argument selon lequel un retrait
immédiat des troupes entraînerait le « chaos ». La « stratégie de sortie »
développée par le gouvernement Obama implique le stationnement de dizaines
de milliers de soldats américains réguliers et irréguliers et le maintien de
bases militaires permanentes dans le pays.
L’occupation coloniale de l’Irak dans le but de sauvegarder les intérêts
impérialistes américains se poursuit sous une forme quelque peu différente,
permettant à Washington de se concentrer sur son front de guerre préféré,
l’Afghanistan et le Pakistan.
Le fait que Die Linke soutient une solution identique en Afghanistan a
été souligné par l’approbation d’Enkelmann de l’appel lancé par la
chancelière allemande, Angela Merkel, et du premier ministre britannique,
Gordon Brown, pour une conférence de l’ONU sur l’Afghanistan, qu’elle a
qualifié dans son interview accordée à Junge Welt de « sommet de
stratégie de sortie ».
Le but d’une telle conférence ne serait ni de mettre fin à la guerre en
Afghanistan ni de créer les conditions d’un retrait des troupes, mais bien
plutôt de rassembler un soutien international supplémentaire et l'aval de
l’ONU pour une guerre illégale qui devient de plus en plus impopulaire. Une
« stratégie de sortie » emmenée par les Nations unies impliquerait
probablement l’envoi de davantage de troupes dans le pays.
Comme l’écrivait le groupe de réflexion américain Stratfor : « Les
dirigeants européens envisagent une stratégie de sortie d’Afghanistan qui
inclut un projet à court terme d’envoi de troupes additionnelles pour la
formation des Afghans eux-mêmes et une date à long terme mutuellement
acceptable pour le retrait. »
Lafontaine, Die Linke et les couches influentes de la bourgeoisie
allemande considèrent une telle « conférence de stratégie de sortie » comme
un moyen de faire basculer le contrôle de l’opération des Nations unies,
conduite les Etats-Unis, sur les puissances européennes, et en premier lieu
sur l’Allemagne.
Lors d’une conférence de presse tenue un jour avant le rassemblement à la
Porte de Brandebourg, Dietmar Bartsch, un autre dirigeant de Die Linke,
avait également exprimé son soutien pour une forme différente de
l’intervention militaire. Bartsch avait réclamé une stratégie alternative
fondée sur un plus grand engagement civil et une formation plus rapide de la
police locale afghane par des policiers allemands.
Les arguments avancés par Bartsch et Enkelmann en faveur d’une
« stratégie de sortie » d’Afghanistan, « la reconstruction du pays, » « la
concentration sur un engagement civil, » « la formation des forces
sécuritaires locales », rappellent bizarrement les raisons invoquées par le
Parti social-démocrate et les Verts pour l’envoi de troupes en Afghanistan
initialement en 2003.
Le parti Die Linke est célébré par les sections influentes des médias et
des cercles politiques bourgeois. Au fur et à mesure que la date des
élections fédérales du 27 septembre approche, de plus en plus de voix
s’associent pour proclamer que Die Linke a suffisamment prouvé sa loyauté en
ce qui concerne les questions de politique intérieure. Il a contribué
notamment à appliquer des coupes sociales draconiennes durant son
gouvernement de coalition avec le SPD dans la capitale de Berlin.
Afin de progresser et de devenir une part intégrante de la coalition
dirigeante au niveau fédéral, Die Linke doit aussi prouver qu’il est capable
de défendre de manière fiable les intérêts impérialistes allemands à
l’étranger. C’est dans ce contexte que l’on doit voir le changement de ligne
en Afghanistan qui est effectué par Lafontaine et Die Linke.