Le ministre de la Sécurité publique du Canada, Vic Toews, a déclaré
encore une fois hier que les lois du pays allaient devoir être renforcées
pour empêcher que des navires chargés de gens désespérés fuyant la
persécution et la pauvreté ne viennent demander l'asile au Canada.
Jeudi dernier, le gouvernement conservateur du Canada a mis en oeuvre une
opération majeure de l'armée et des autres forces de sécurité au large de la
côte ouest du pays, faisant appel à une frégate et à des avions des Forces
armées canadiennes (FAC) pour intercepter un cargo battant pavillon
thaïlandais qui transportait 492 Tamouls sri lankais.
Cette opération, acclamée dans les médias, avait pour but de présenter
l'arrivée des Tamouls, parmi lesquels se trouvaient de nombreuses femmes et
enfants, comme une grave menace à la sécurité et de rejeter leur demande
d'asile comme un « court-circuit » illégitime du processus d’acceptation des
immigrés.
En fait, selon le droit canadien et international, le Canada est dans
l'obligation juridique d'offrir le refuge à ceux fuyant la persécution
politique et de donner à ceux qui demandent l'asile la chance de démontrer
le bien-fondé de leur requête.
Après s'être emparées du navire, le MV Sun Sea, l'armée et les
forces de sécurité du Canada l'ont escorté vers une base navale des FAC qui
se trouvait à proximité. Les « réfugiés de la mer » y ont ensuite été
interrogés avant d'être transférés vers deux prisons, en attendant les
audiences sur leur requête de statut de réfugiés politiques.
Sans présenter la moindre preuve, Toews et d'autres représentants du
gouvernement ont dit à maintes reprises que le voyage du MV Sun Sea
vers le Canada avait probablement été planifié par les Tigres de libération
de l'Eelam tamoul (LTTE), dans l'intention d'amener des terroristes au
Canada et de trouver du financement. Les passagers auraient payé de 40 000 à
50 000 dollars pour le voyage.
Le gouvernement conservateur et la plupart des médias ont insisté pour
que le gouvernement réponde à cette prétendue menace à la sécurité en
rendant les lois canadiennes sur les réfugiés encore plus restrictives.
Alors que le gouvernement n’a pas encore fait de propositions fermes, ils
ont suggéré que les lois pourraient être changées de façon à dépouiller ceux
qui arrivent au Canada par bateaux non autorisés d’une partie ou de tous les
droits accordés aux demandeurs d’asile.
S’exprimant dimanche, Toews a indiqué que le gouvernement pourrait aussi
utiliser les lois anti-terrorisme du pays afin de poursuivre tout Canadien
d’origine tamoule qui a aidé à financer le voyage de leurs proches vers le
Canada à bord du MV Sun Sea. En vertu des lois draconiennes
anti-terrorisme du Canada, il est illégal de donner de l’argent à une
organisation qui, comme les LTTE, a été officiellement désignée comme
organisation terroriste par le gouvernement fédéral.
La presse, sans nul doute avec le soutien des conservateurs en
arrière-plan, a proposé une série d'autres mesures réactionnaires, dont
beaucoup sont calquées sur celles prises par l'Australie. Il s'agit
notamment d’utiliser la marine afin d’intercepter les navires en haute mer
de manière à empêcher les réfugiés d'entrer sur les mers territoriales du
Canada, et établir des camps de détention pour les demandeurs d’asile en des
endroits inhospitaliers, loin de tout centre urbain, voire même à
l’extérieur du Canada.
Il convient de noter que le premier ministre Stephen Harper a exprimé à
plusieurs reprises son admiration pour l'ancien premier ministre d’Australie
et proche allié de George W. Bush, John Howard. Dans le but de justifier
l’intensification des pouvoirs répressifs de l'État et d’utiliser le
chauvinisme pour détourner la frustration sociale grandissante vers des
canaux réactionnaires, Howard a monté à plusieurs reprises de virulentes
campagnes anti-immigrés et anti-réfugiés. Plus infâme encore, il y a des
preuves qui suggèrent que son gouvernement a délibérément retardé
l'organisation d'une opération de sauvetage d'un navire de réfugiés en
provenance d'Indonésie, à une époque où Howard et ses libéraux étaient en
quête d’une réélection basée sur une plate-forme de la « ligne dure » contre
les réfugiés.
Il n'y a aucun doute que le gouvernement minoritaire de Harper s'est
servi de l'arrivée du MV Sun Sea pour promouvoir son propre programme
anti-crime et anti-terroriste réactionnaire et pour faire diversion. Il
espère ainsi attiser ouvertement les préjugés anti-immigrés.
S'il se sent obligé de mettre de l'avant de tels appels manipulateurs,
c'est parce qu'il reconnaît qu'il y a en fait un faible appui populaire pour
son programme de coupes dans les services publics, pour ses diminutions
d'impôts pour la grande entreprise et les riches et pour le réarmement de
l'armée afin qu'elle soit déployée dans des guerres à l'étranger. Au même
moment, la construction d'un appareil de sécurité nationale va main dans la
main avec la criminalisation de la dissidence. Cela fut exemplifié par une
opération de police provocatrice et massive orchestrée contre les
manifestations anti-G20 à Toronto il y a moins de 2 mois.
Aussi sérieux et sinistre que cela puisse être, le gouvernement Harper,
en soulevant la colère contre les « boat people » tamouls, ne veut pas
seulement pousser plus avant son programme réactionnaire. Il donne aussi un
appui au gouvernement autoritaire et communautariste du Sri Lanka — un
gouvernement qui est impliqué dans des crimes de guerre horribles.
Dans les jours et les semaines précédant l'arrestation du MV Sun Sea
par l'armée canadienne la semaine dernière, le régime sri lankais a
fortement encouragé le gouvernement canadien à prendre des mesures contre
celui-ci sur la base que c'était un bateau terroriste.
Gotayaba Rajapakse, le ministre de la Défense sri lankais et le frère du
président du pays, Mahinda Rajapakse, a dit lors d'une conférence de presse
organisée par la marine sri lankaise au début du mois que le MV Sun Sea
faisait partie du réseau international terroriste des LTTE.
Même si le gouvernement sri lankais se vante de sa victoire militaire
contre les LTTE, il est déterminé à continuer de se présenter comme étant
sous une menace terroriste, incluant une menace provenant des émigrés
tamouls ou de la diaspora, pour deux raisons. Premièrement, parce qu'il a
besoin d'un prétexte pour maintenir le vaste appareil répressif et les
restrictions sur les libertés civiques. Le gouvernement sri lankais est en
train d'introduire des mesures destinées à faire payer les travailleurs du
Sri Lanka cinghalais et tamouls pour les énormes dépenses réalisées lors des
trente ans de guerre civile et à leur faire payer la présente crise
économique. Deuxièmement, il veut délégitimer toute opposition à ses
politiques chauvines anti-tamoules.
Le World Socialist Web Site a toujours insisté qu’il était opposé
aux politiques ethno-communautaristes des LTTE ainsi qu’à leur campagne pour
la formation d’un État capitaliste séparé au nord et à l’est de l’île du Sri
Lanka. Mais malgré cette opposition, nous avons toujours affirmé que c’était
la bourgeoisie cingalaise qui portait la responsabilité pour trente ans de
guerre civile, car elle a attaqué la minorité tamoule pendant des décenies
au moyen d’une série de mesures discriminatoires et des vagues de violence
communautariste de plus en plus importante. A la racine de ces politiques
communautaristes, on ne trouve pas que la lutte pour monopoliser les
ressources de l’Etat. C’est aussi une façon de détourner les tensions
sociales qu’a générées le régime bourgeois et de diviser la classe ouvrière.
La fin de la guerre civile n’a rien changé à cet état de fait.
Comme quelques réfugiés du MV Sun Sea l’ont expliqué dans une
lettre qu’a obtenue le National Post : « Le gouvernement sri-lankais
a dit que le conflit ethnique au Sri Lanka était maintenant terminé.
Toutefois, ni la Loi contre le terrorisme [qui permet l’arrestation
arbritaire des civils] ni l’Acte des réglements d’urgence n’ont été abolis.
Les Tamouls innocents emprisonnés n’ont pas été libérés. Les civils déplacés
n’ont pas été réinstallés dans leurs foyers. Ce que l’on voit plutôt, c’est
une multitude de disparations, de massacre de masse et d’extorsions. »
De telles politiques communautaristes ne sont en rien limitées au Sri
Lanka. En fait, elles sont depuis des dizaines d’années un des aspects du
régime bourgeois dans pratiquement tous les pays capitalistes pauvres de
l’Asie et de l’Asie.
L’attaque en règle du gouvernement Harper contre les réfugiés fait partie
d’un mouvement plus large se développant dans les pays capitalistes avancés,
allant de la militarisation de la frontière entre les Etats-Unis et le
Mexique par l’administration Obama jusqu’à l’interdiction de la burqa en
France, consistant à diaboliser les réfugiés, les immigrants et les
musulmans.
Dans le contexte de la crise s’approfondissant, la bourgeoisie des pays
historiquement privilégiés prépare ses propres formes de politiques
communautaristes, tout ceci au même moment que les droits démocratiques en
général sont sous attaque constante.