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Québec : Une vague de suicides souligne les terribles conditions de travail des infirmières

Par Éric Marquis
26 août 2010

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Une infirmière de 58 ans s'est récemment enlevée la vie au Centre hospitalier universitaire de Québec (CHUQ). C'était le quatrième suicide d'une infirmière à survenir en 18 mois dans cette institution. Les causes d'un tel phénomène sont directement reliées aux dures conditions dans lesquelles évoluent les travailleurs de la santé, dans un réseau public soumis de plus en plus aux pressions du marché.

La dernière victime en date avait 37 années d'expérience et allait prendre sa retraite dans un an et demi. Dans une lettre laissée à ses proches, elle mentionnait les difficultés qu'elle vivait en raison d'un retour forcé au travail, tout juste après avoir été en congé de maladie.

Dans une entrevue menée par le journal Le Soleil, une collègue de l'infirmière relate comment elle l'avait vue quitter le bureau du médecin de santé du CHUQ les larmes aux yeux après s'être faite dire qu'elle devait retourner au travail. Elle lui avait alors dit qu'elle n'était pas prête à revenir.

L'infirmière qui a alerté les médias connaissait les trois autres femmes qui s'étaient enlevé la vie. L'une d'entre elles était à quelques mois de prendre sa retraite, une autre devait quitter dans deux ans alors que la dernière n'avait que 21 ans et commençait à peine dans le milieu.

Les pressions auxquelles doivent faire face les infirmières pour combler le manque chronique de personnel, notamment en subissant l'imposition d'heures supplémentaires, sont devenues une réalité quotidienne dans les hôpitaux.

Ainsi, selon les statistiques du ministère de la santé et des services sociaux du Québec (MSSS), le nombre total d'heures supplémentaires effectuées par les infirmières aurait augmenté de 27 pour cent entre 2004 et 2009, soit 3,5 millions d'heures en temps supplémentaire pour l'année 2008-2009.

Selon une enquête commandée par la Fédération canadienne des syndicats d'infirmières et d'infirmiers, basée sur des données tirées de l'Enquête sur la population active de 2005 et 2008, 61 000 faisaient du temps supplémentaire chaque semaine en 2008, à la grandeur du pays. À partir de 2005, jusqu'à 2008, le nombre d'heures supplémentaires travaillées par le personnel infirmier a grimpé de 30 pour cent. En 2008, 21 560 100 heures supplémentaires ont été cumulées, soit l'équivalent de 12 000 emplois à temps plein.

Au Canada, entre 2005 et 2008, le nombre d'absences dans le personnel infirmier a augmenté de 14,4 pour cent. Le Québec, avec Terre-Neuve, était la province avec le plus haut taux d'absentéisme hebdomadaire avec 11 pour cent alors que la moyenne nationale était de 9 pour cent. Le Québec avait aussi le plus haut taux de temps supplémentaires hebdomadaires avec 35 pour cent, la moyenne nationale étant de 31 pour cent.

Suite à l'annonce du plus récent suicide au CHUQ, de nombreux témoignages d'infirmières décrivant des conditions de travail épouvantables ont été publiés dans les journaux. Certaines faisaient état de menaces de la part de l'employeur les obligeant à faire du temps supplémentaire. D'autres ont souligné la détresse psychologique vécue par des collègues et les tentatives de suicide chez plusieurs d'entre eux.

Selon une récente étude de la Fédération canadienne des syndicats d'infirmières/infirmiers, les infirmières qualifient leur milieu de travail de stressant (86 %), d'oppressant (85 %), mal doté (86 %), mal financé (88 %) et lourd (91 %).

Dans des commentaires révélateurs sur les conditions de travail et le stress des employés, la présidente du Syndicat des infirmières du CHUQ, Nancy Bédard, a déclaré au quotidien Le Soleil qu'elle côtoyait quotidiennement la détresse des travailleuses.

Malgré tout, la réaction du syndicat local à la publication de la nouvelle a été de nier que les quatre derniers suicides pouvaient être directement reliés au travail. « Je ne peux pas faire de lien, mais je peux vous dire que les conditions dans lesquelles plongent les professionnels en soins . peuvent effectivement les amener en détresse psychologique », a-t-elle affirmé.

C'est une infirmière de l'établissement qui, sous le couvert de l'anonymat, aurait contacté le réseau TVA pour les informer de l'acte, soutenant que cette vague de suicides était probablement liée à la surcharge de travail.

Le directeur des communications du CHUQ, Richard Fournier, a pour sa part affirmé que l'on ne pouvait établir de lien entre ces suicides et le milieu de travail, soulignant que les quatre infirmières à s'être enlevé la vie étaient en arrêt de travail en raison de « difficultés personnelles importantes » et qu'elles avaient, « pour la plupart, une charge de travail légère ou régulière ».

En fait, le niveau alarmant de détresse psychologique, qui peut mener ultimement au suicide, chez les travailleurs du système de santé au Québec ne peut être compris qu'en considérant le contexte des immenses attaques orchestrées par la grande entreprise depuis des années contre le système de santé public, tant par les gouvernements du Parti Québécois que du Parti libéral.

Et ce sont les centrales syndicales du Québec qui ont joué le rôle clé pour imposer ces attaques. Les retraites forcées de 30.000 travailleurs de la santé en 1997, par exemple, ont été ordonnées par le gouvernement péquiste de Lucien Bouchard à la demande des chefs syndicaux. Et quand la bureaucratie syndicale ne parvient pas à étouffer l'opposition des membres de la base, elle s'empresse d'isoler et de torpiller les luttes qui éclatent, comme ce fut le cas lors de la grève des infirmières de 1999.

Le rôle des syndicats en tant qu'agents du grand patronat a été de nouveau mis à nu lors de la dernière ronde de négociations avec le gouvernement libéral de Jean Charest.

Alors que ce dernier déposait fin mars un budget comportant une baisse drastique des dépenses sociales et l'introduction de frais pour les visites médicales, soulevant un tollé de protestation dans la population, les centrales syndicales censées représenter les 475.000 employés du secteur public et parapublic du Québec ont refusé de mener la moindre lutte pour la défense des services publics et des travailleurs qui les fournissent. Les syndicats se sont plutôt empressés de signer en juin une entente de principe représentant une capitulation totale aux demandes gouvernementales : une entente sur cinq ans avec une augmentation salariale totale de seulement 7 pour cent, tel qu'exigé dès le départ par le gouvernement.

Pendant ce temps, la colère gronde parmi les membres de la base devant cette nouvelle baisse de leurs salaires réels et devant la dégradation continuelle de leurs conditions de travail.

On en a eu un bref aperçu le 8 juin dernier lors d'une grève de 7000 enseignants que leur syndicat, l'Alliance des professeurs de Montréal, a limité à une seule journée pour éviter une mobilisation générale contre le très impopulaire gouvernement Charest.

Et on la sent aujourd'hui encore dans l'incapacité du syndicat des infirmières, la Fédération interprofessionnelle de la santé (FIQ), à conclure un accord sur les conditions de travail. Le gouvernement se montre intransigeant sur les deux revendications principales des infirmières - l'arrêt du temps supplémentaire obligatoire et du recours accru aux agences privées de placement - et une entente sans au moins une apparence de changement sur ces deux questions serait dure à faire avaler aux membres de la base. La FIQ se dit prête à tenir un vote de grève à la fin du mois de septembre.

Il est nécessaire et urgent pour les travailleurs de lancer une contre-offensive contre le gouvernement Charest qui, en tant que représentant de la classe dirigeante, a entrepris de démanteler les services publics et d'empirer les conditions de travail de ceux et celles qui les fournissent.

Les infirmières peuvent tracer la voie. Mais leur lutte ne pourra aller de l'avant qu'en brisant l'isolement que cherchent à imposer les centrales syndicales et en lançant l'appel le plus large à l'ensemble des travailleurs pour une lutte commune contre le démantèlement des services publics et l'assaut généralisé sur les emplois et les salaires.

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