L'injonction de la Cour suprême accordée à Network Rail
(NWR) pour bloquer le mouvement de grève des membres du syndicat RMT (Rail
Maritime and Transport) constitue une attaque préventive contre l'opposition en
train de se développer au sein de la classe ouvrière face aux mesures
d'austérité galopantes.
Le NWR, entreprise d'Etat, entretient les voies et le
système de signalisation sur lesquelles des entreprises ferroviaires privées
font circuler des services de trains. Il donne en location des contrats
d'équipement et de remplacement de voies à des fournisseurs privés tels Jarvis.
En septembre, le NWR a menacé de licencier l'ensemble des
13 000 membres du personnel de maintenance des voies et d'en ré-embaucher un
nombre réduit sous de nouvelles conditions et de nouveaux termes, ce qui a
déclenché ce vote récent en faveur d'un mouvement de grève. Les
aiguilleurs de trains et les travailleurs de la
maintenance ont voté à 77 pour cent en faveur d'un mouvement de grève. Les
personnels de surveillance de l'Association des personnels salariés des
transports (TSSA) ont aussi voté pour la grève.
Cette grève aurait été la première grève nationale depuis
16 ans.
L'objectif du NWR est d'imposer 1 500 suppressions de
postes. La direction du syndicat RMT a prôné des suppressions de postes sur la
base du volontariat, mais l'opposition qui enflait a exigé que soit organisé un
vote sur la grève.
Avec cette grève prévue pour la période chargée de
Pâques, NWR a essayé d'en obtenir une interdiction et a eu gain de cause le 1er
avril. La décision de la Cour suprême signifie que, selon les lois
antisyndicales, il ne peut y avoir aucune grève dans la période précédant les
élections législatives anticipées du 6 mai prochain.
La Grande-Bretagne a une des législations les plus
restrictives d'Europe concernant les syndicats, du fait de mesures introduites
sous les gouvernements conservateurs de Thatcher et Major dans les années 1980
et 1990 et maintenues par les Travaillistes depuis 1997.
La législation spécifiquement utilisée actuellement
contre les travailleurs du réseau ferroviaire fut introduite par les
Conservateurs dans les années 1980 puis amendée par les Travaillistes en 2004,
et stipulait pour la première fois que les syndicats fournissent
obligatoirement des informations détaillées sur qui précisément a voté en
faveur d'un mouvement de grève. Les syndicats doivent fournir des informations
sur le nombre de travailleurs impliqués sur chaque lieu de travail et leur rôle
spécifique.
Cela donne tout simplement aux patrons le temps
nécessaire pour gérer ce conflit tout à leur avantage. C'est devenu une charte
des patrons visant à empêcher que se tienne un mouvement de grève. Le Financial
Times cite un avocat des syndicats qualifiant cette législation de
« moyen le plus aisé pour les patrons d'attaquer une grève. » Des
analystes ont considéré cette injonction comme « l'arme préférée à un
moment où les cadres utilisent de plus en plus les tribunaux pour détourner
les grèves. »
Le FT a dit que « les experts des relations
au travail disent que le nombre d'injonctions recherchées par les patrons pour
empêcher une grève est en augmentation depuis la moitié des années 2000 et ils
trouvent de temps à autres une nouvelle méthode. L' « argument de la
liste », disent-ils, est un joker potentiel pour des patrons qui
envisagent le recours à l'injonction. »
Un avocat qui conseille les syndicats sur ces questions a
qualifié de « kafkaïenne » la tâche consistant à fournir une liste
précise des grévistes.
L'injonction de la Cour suprême contre RMT fait suite à
un jugement en décembre dernier contre le personnel navigant de British
Airways, où un juge a déclaré qu' « une grève de ce genre à 12 jours de
Noël est de mon point de vue fondamentalement plus préjudiciable à BA et au
public en général qu'une grève se déroulant à presque n'importe quel autre
moment. »
Cette injonction avait nécessité un second vote et avait reporté
les grèves jusqu'au mois dernier.
De plus, des injonctions ont été obtenues réussissant à
empêcher une grève de pilotes de ports à Milford Haven, une grève des
électriciens du métro de Londres et une grève concernant les salaires et les
conditions de travail chez Metrobus.
Ces cinq dernières années, sur les 36 dernières
injonctions recherchées quasiment toutes ont été obtenues.
Gregor Gall a fait remarquer dans le Guardian,
« La loi, telle qu'elle est actuellement, oblige un syndicat à fournir à
l'employeur une énorme somme d'informations sur les membres qui ont participé
au vote et sur les membres qui feront grève... Dans le cas de RMT, avec des
milliers de postes de signalisation (définis comme des lieux de travail
individuels) et de travailleurs forcés d'aller de l'un à l'autre lorsque
l'employeur le lui demande, ce sera toujours quasiment mission impossible pour
être à cent pour cent précis. »
Le mois dernier, le cabinet juridique sis à Londres,
Herbert Smith LLP, a publié un document d'information conseillant les
entreprises confrontées à une recrudescence des mouvements de grève.
Il fait remarquer que « 2009 a vu davantage
d'employeurs confrontés à la menace de mouvements de grève et cette tendance
semble vouloir se poursuivre en 2010, » avant de proposer « quelques
conseils pratiques pour les employeurs. »
Après avoir approuvé la ligne dure adoptée par les
tribunaux concernant les procédures de vote, le document conseille:
« Les entreprises confrontées à la perspective d'une
grève seraient bien avisés d'examiner au peigne fin la manière dont les
syndicats organisent le vote. »
Puis de poursuivre, «Un mot de précaution: certains
commentateurs ont posé la question de savoir si les tribunaux du Royaume-Uni
ont raison de considérer que la complexité de la loi concernant le vote ne
contrevient pas aux droits de l'Homme. Il n'est pas impossible que soit déposée
une requête auprès de la Cour européenne des droits de l'Homme. »
Le droit de grève a été sérieusement réduit par cette
disposition juridique. Mais certaines sections de la classe dirigeante, ainsi
que la bureaucratie syndicale, mettent en garde que cela aura pour effet
d'encourager les grèves sauvages.
Les travailleurs des postes de tout le Royaume-Uni ont
fait toute une série de grèves sauvages l'année dernière face au refus des
syndicats d'organiser et coordonner une grève nationale. Et on a vu des
initiatives similaires récemment chez les conducteurs de trains, le personnel
de signalisation, les machinistes et techniciens du réseau ferroviaire en
Belgique et chez les aiguilleurs du ciel en Espagne et les dockers en Finlande.
Tirant la sonnette d'alarme durant le récent conflit du
rail, Sarah Veale, dirigeante des droits à l'égalité et à l'emploi du Trades
Union Congress (TUC) a averti qu'il y avait une recrudescence des « grèves
sauvages » indiquant que les injonctions des tribunaux n'empêcheraient pas
les travailleurs d' entreprendre des actions.
Le député travailliste de Hayes and Harlington, John
McDonnell qui se qualifie lui-même comme étant de « gauche » a écrit
une chronique dans le Guardian du 3 avril, attaquant la position du
journal au sujet de l'injonction contre RMT. Il écrit, « Dans au moins
quatre occasions durant ces trois dernières années, j'ai essayé au parlement au
nom de RMT et d'autres syndicats affiliés au TUC d'amender la loi sur l'emploi
pour demander que les employeurs coopèrent avec les syndicats dans le processus
du vote de façon à ce que ces problèmes soient surmontés. Les organisations
patronales, les Conservateurs et le gouvernement sont tous contre cette
réforme.
« Le résultat » poursuit-il, « n'est pas
moins de grèves mais un climat de relations sociales qui se détériore tandis
que les gens s'énervent de plus en plus de voir leurs souhaits démocratiques
frustrés par des lois antisyndicales biaisées. »
C'est un appel lancé aux patrons pour qu'ils ne rendent
pas plus difficile la tâche de la bureaucratie syndicale consistant à contrôler
le mécontentement social et au travail, en contraignant les travailleurs à
rompre avec les structures et réglementations officielles.
Mais c'est là précisément ce qu'il faut faire si l'on
veut mener une lutte contre les patrons et l'Etat et l'appareil judiciaire qui
sert leurs intérêts.