Le rassemblement du 17 avril pour la grève des
travailleurs immigrés sans-papiers sur la Place de l’Hôtel de Ville à
Paris a souligné le gouffre politique existant entre les travailleurs immigrés
et l’establishment politique français. Des syndicalistes de la CGT
et des membres du Parti socialiste (PS) étaient présents, de même qu’un
grand nombre de groupes anciennement de gauche, y compris le Parti communiste
français (PCF), le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) et Lutte ouvrière (LO).
Ces forces, traînant derrière l’establishment
français, considèrent les sans-papiers avec un mélange de crainte et de
désillusion. Le potentiel de confrontation s'était révélé en mai 2008 lorsque
des travailleurs sans-papiers auxquels le gouvernement avait demandé de passer
par l'intermédiaire de la CGT pour leur demande de régularisation, avaient
occupé la Bourse du Travail dans le 3ème arrondissement de Paris. Un
commando de nervis de la CGT, aux côtés des CRS, s’était introduit dans
le bâtiment en juin dernier pour expulser les sans-papiers.
Le rassemblement du 17 avril a eu lieu après que des
groupes de sans-papiers ont demandé une manifestation de soutien de la part des
partis politiques. Plusieurs milliers de travailleurs sans-papiers sont en
grève depuis près de 7 mois pour exiger la régularisation de tous.
Le WSWS a parlé à
Qing, une travailleuse sans-papier représentant les travailleurs chinois et
dont la plupart ne parlent que peu le français. Elle a dit que la grève était
« très dur[e], on est en grève depuis plus de six mois. On ne fait plus de
piquets de grève. Nous sommes à peu près 1.800, venus de tous les pays,
beaucoup d'entre nous font du travail de restauration [...] nous sommes 700
Chinois et le reste ce sont des Africains. » Elle a ajouté, « Nos
patrons ne veulent pas nous régulariser, peut-être parce qu'on est chinois. Il y a des problèmes avec les circulaires. »
De nombreux
travailleurs faisant partie du groupe de Qing portaient des badges CGT ou
brandissaient des banderoles de la CGT. A la question de savoir si elle était
membre de la CGT, Qing a dit, « Je ne suis pas déléguée de la CGT, je suis
déléguée des Chinois. Nous sommes des sans-papiers, nous voulons nos droits. On
veut que les syndicats, les associations soient ensemble avec nous, nous
voulons une régularisation des sans-papiers. La CGT, ce n'est
pas important. »
Le WSWS a également parlé à Sidibé Aliou, un travailleur
de l’union locale de Bobigny, une banlieue ouvrière de Paris. Sidibé a
dit : « Le but de la lutte est que les sans-papiers soient
régularisés. [...] Les syndicats doivent demander de régulariser tous les
sans-papiers. »
A la question de
savoir s’il pensait qu’un gouvernement du Parti socialiste
changerait la situation, Sidibé a dit, « Le PS au pouvoir n'a rien fait
pour les sans-papiers. Si la gauche revient au pouvoir en 2012 [date des
prochaines élections présidentielles], ce sera pareil comme en 1987 ou en 2002.
Mais les conditions sont plus dures maintenant. » Il a indiqué qu'avant
les travailleurs sans-papiers pouvaient cotiser aux systèmes de retraite et autres
programmes gouvernementaux, mais que tout cela était fini et qu’une vague
d’arrestations s’était abattue sur les sans-papiers. Il a ajouté,
« Avec la victoire de Chirac en 2002, et surtout Sarkozy, les choses
deviennent de pire en pire. »
Pour les partis politiques présents au rassemblement,
toutefois, la lutte des sans-papiers était un moyen de régulariser la source de
main-d’œuvre bon marché et d’unifier leurs forces dans une
campagne commune. Sarkozy est en train de s’effondrer dans les sondages
– 65 pour cent de l’opinion publique ne souhaite pas qu’il se
représente pour un second mandat en 2012 – en raison surtout de sa
campagne raciste contre la burqa et sur « l’identité
nationale » menée avant les élections régionales du mois dernier. La
pseudo-gauche d’une façon générale soutient la campagne anti-burqa de
Sarkozy.
Pour ces forces, le fait de promouvoir une fausse image
« anti raciste » et de construire une dynamique politique autour du
PS pour préparer son éventuel retour au pouvoir sont des questions cruciales,
de même que garder le contrôle des grévistes sans-papiers pour empêcher une
nouvelle confrontation entre ces travailleurs et les syndicats. C’est
pour ces raisons qu’ils sont prêts à se faire passer cyniquement pour des
amis des sans-papiers même s’ils ne soutiennent pas les luttes des
sans-papiers et leur revendication de régularisation de masse.
Le WSWS a parlé à Rémi Féraud, maire socialiste du 10ème
arrondissement de Paris. Féraud a dit qu’il visait à « soutenir les
sans-papiers » bien qu’« à court terme, on ne s'attend pas à
grand-chose. Mais on ne désespère pas. » A la question de savoir ce que
le PS comptait faire pour les sans-papiers, il a dit, « Si le PS revient
en 2012, les critères [d’immigration] évolueraient, non pas pour
régulariser tous les sans-papiers, mais pour que certains puissent se
régulariser. » En ajoutant, « La France a toujours été un pays
d'immigrés, on ne peut pas les laisser en précarité. L'économie a besoin d'eux
comme main d'oeuvre. »
A la question de
savoir s’il pensait que le PS profiterait du soutien que les autres
partis apportent au rassemblement, Féraud a répondu, « Oui, le PS va
bénéficier de l'unité de la gauche en 2012. »
Le WSWS a également parlé à Jean-Louis Gaillard de Lutte
ouvrière (LO). Il a signalé qu’une « section du patronat est pour
eux [les sans-papiers] – l’intérim, le bâtiment, le
nettoyage. » Il a critiqué l’opposition de Sarkozy à la
régularisation des sans-papiers comme « politique, pas économique »
-- c’est-à-dire fondée improprement sur l’appel politique de
Sarkozy au sentiment néo-fasciste en opposition aux besoins de
main-d’œuvre du patronat français.
En parlant de la
lutte des sans-papiers, Gaillard a loué « le combat de la CGT, le rôle de
la CGT est très bien. »
Lorsque le WSWS a demandé à Gaillard ce qu’il
pensait de la collaboration de la CGT avec les CRS dans l’attaque des
sans-papiers l’année dernière, il l’a défendu sans réserve. En
parlant des sans-papiers, il a dit, « Il y en avait certains qui disaient
que ça n'avançait pas à cause de la CGT. Ils avaient tort – la CGT
essayait de les aider. » Après l’occupation des sans-papiers de la
Bourse du Travail, Gaillard a dit, « les syndicats les ont un peu poussés.
Ben oui, dix fois ils [la CGT] leur ont demandé de partir. »
Il a laissé entendre que, dans une situation analogue, il
envisagerait également de recourir aux CRS à l’encontre des
sans-papiers : « C'est vrai que ça fait drôle. Mais s'ils occupaient
les locaux de LO, je ne sais pas comment ça se passerait. »