Julian Assange s'est vu accorder la libération conditionnelle par la
Haute Cour de justice de Londres jeudi. Le fondateur de WikiLeaks, contre qui
aucune accusation n'a été portée, et qui a encore moins été reconnu coupable
d’un crime, n'a été libéré qu'après plusieurs heures. Assange n'a franchi
les portes de la Haute Cour de justice qu'à 18h, soit plus de 5 heures après
avoir obtenu sa libération conditionnelle.
Il est apparu à la fin de l'après-midi devant ses
partisans et les médias internationaux qui espéraient pouvoir l'apercevoir.
Diverses histoires ont émergé pour venir expliquer pourquoi il avait été libéré
si tard.
Il avait initialement été dit qu'il faudrait une heure
pour lui installer le bracelet électronique, l'une des conditions de sa
libération. On avait indiqué par la suite que l'argent pour la caution n'avait
pas été présenté au tribunal de Westminster, où Assange s'était d'abord vu
accorder une libération conditionnelle mardi. De plus, des journalistes auraient été informés que le juge Ouseley, avait eu de la
difficulté à contacter toutes les personnes qu’il avait exigé qu'elles se
portent garantes pour qu’elles se rendent au poste de police afin de
signer les documents nécessaires.
Il fut insinué à un certain moment que si les
procédures n'étaient pas conclues avant le départ de l'autobus de la prison
pour Wandsworth, Assange devrait être gardé incarcéré
durant une autre nuit. Jusqu'à 17h45, on prétendit qu'il ne pourrait être
libéré en raison du manque de temps pour se rendre en voiture jusqu'à Ellingham
Hall dans le comté de Suffolk avant 22h, l'heure de son couvre-feu. Ce
galimatias d'explications s'est déroulé durant tout
l'après-midi.
Lorsqu'il est sorti, aux applaudissements de la foule
qui l’avait attendu toute la journée au froid mordant, Assange a remercié
ceux qui s'étaient portés garants de lui face à « de grandes difficultés
et toutes ces diversions ».
Son apparition en public fut le point culminant d'une
journée riche en événements extraordinaires. En effet, le parquet suédois a
d'abord nié avoir appelé de la décision du Crown Prosecution Service anglais
(CPS) d'accorder une libération conditionnelle. Le bureau du procureur a
déclaré à Sky News : « La décision d'en appeler de la libération
conditionnelle de M. Assange fut l'entière décision des autorités britanniques,
nous n'avons rien à y voir. » Karin Rosander, directrice des
communications pour le bureau du procureur suédois, a affirmé au
Guardian : « C'est aux autorités britanniques seules de s'occuper de
ce cas. »
S'expliquant ce matin-là à l'émission
« Today » sur les ondes de la BBC Radio 4, KeirStarmer, directeur du
CPS, a cherché à masquer la révélation que ce sont les autorités britanniques
qui avaient empêché la libération d'Assange, après que celui-ci eu obtenu sa
libération conditionnelle le mardi 14 décembre. Il a déclaré : « La
position générale et la nature des dispositions sont tout à fait claires. Le
Crown Prosecution Service se comporte en tant que représentant du gouvernement qui
cherche à obtenir extradition, dans ce cas-ci, le gouvernement suédois. Ces
procédures sont amenées dans le cadre d'un rôle de représentant du gouvernement
suédois. »
La référence aux « agents » ne répond pas à
la question si la Grande-Bretagne s’est fait demandée ou non de continuer
la détention d’Assange, après qu’elle ait dit que la Suède avait
appelé de la décision.
Pendant la durée des audiences de jeudi, le CPS a
offert une série de raisons spécieuses selon lesquelles Assange ne devrait pas
être libéré sous caution. Il a été mentionné que la station de police rurale la
plus proche de la maison du capitaine Vaughan Smith, où il a accepté de
demeurer pendant sa libération sous caution, n’est ouverte que deux
heures par jour et serait fermée pendant la période de Noël. Des doutes ont
ensuite été émis quant à ceux qui se sont portés garant d’Assange.
Les partisans d’Assange ont recueilli 200
000 £ en argent comptant lors des 48 heures qui ont suivi l’émission
de la caution mardi. Le réalisateur de film documentaire, Michael Moore, a
contribué pour 20 000 dollars à cette somme. Le CPS a argumenté que
c’était des montants d’argent relativement petits, tout comme
plusieurs autres contributions individuelles. La partie plaignante a argumenté
que Moore et les autres partisans d’Assange pourraient ne pas
s’objecter à perdre ce montant d’argent s’il prenait la
fuite.
Le juge, Duncan Ouseley, a mis en doute les motifs des
partisans d’Assange, suggérant que leur soutien pour son travail à
Wikileaks pourrait s’étendre jusqu’à lui permettre de fuir le pays.
Ils pourraient voir cela comme un « acte vertueux », a-t-il
argumenté. Il a conséquemment insisté sur de futures cautions et a sélectionné
un certain nombre de noms de la liste de ceux qui ont offert de se porter garant
et a augmenté les sommes requises des personnalités éminentes.
Les cinq personnes que le juge a nominé sont
l’auteur et le journaliste sir Phillip Knightley, l’éditeur Felix
Dennis, le lauréat du prix Nobel sir John Sulston, lord Matthew Evan, qui est
le président de Faber&Faber et la professeure Patricia David.
Cependant, le juge fut forcé d’accepter
qu’Assange n’était pas entré en
Grande-Bretagne en tant que fugitif comme ce fut largement rapporté dans les
médias. Il était d’accord pour dire qu’Assange avait été en contact
avec la Police métropolitaine lors de son séjour en Grande-Bretagne et les
autorités savaient où il se trouvait. Le juge a aussi accepté
qu’Assanges’était volontairement rendu à une station de police de
Stockholm le 30 août, où il avait répondu à toutes les questions qui lui
avaient été posées. Il avait coopéré avec les autorités suédoises et avait
quitté le pays lorsqu’il en avait obtenu la permission le 27 septembre.
Depuis ce temps, Assange demeurait au Frontline Club
et était resté en contact avec le bureau de la partie plaignante suédoise.
Lorsque le mandat d’arrêt européen a été émis, il s’est présenté à
la station de police de Londres.
Le juge Ouseley n’a pas accepté l’idée que
l’éloignement de la maison de Vaughan Smith à Suffolk la rendait non
viable pour quelqu’un en liberté sous caution comme Assange. Il a décidé
que les responsables de l’extradition devraient loger un appel à la
maison pendant la période de Noël, lorsque la station de police est fermée. Il
a mentionné que la façon habituelle par laquelle le procureur suédois avait
traité ce genre de cas donnait à Assange une base raisonnable pour
s’attendre à ce qu’il soit acquitté si la causeétait entendu en
cour. Selon Ouseley, cela est un facteur qui diminue le risque d’une
fuite.
La loi britannique présume que la caution est
accordée. Pour nier une caution, il faut craindre que l’accusé puisse
fuir, auquel cas des garanties peuvent être exigées, telles l’obligation
de demeurer à une adresse définie par la cour, une garantie en argent ou que
des personnes de bonne réputation se portent garantes de l’accusé. Toutes
ces provisions ont été exigées dans ce cas.
Malgré que la libération sous caution ait été
accordée, plusieurs questions restent sans réponse sur le délai pour la
libération d’Assange. Il est difficile de croire que la prévarication de
mardi, alors que le CPS affirmait qu’il consultait les procureurs
suédois, et celle de la Haute Cour hier n’ait rien à voir avec une
tentative de gagner du temps pour discuter de la situation avec Washington. Sur
ABC News, John Bellinger, un ancien conseiller en droit pour le
département d’État américain sous l’administration Bush, a expliqué
comment il croyait que la situation se développerait : « Je crois que
notre département de la Justice considère présentement un large éventail de
possibilités pour condamner M.Assange, y compris la loi de 1917 sur
l’espionnage, selon laquelle c’est un crime pour une personne qui a
obtenu une information relevant de la sécurité nationale sans autorisation de
la divulguer. »
Il a aussi souligné qu’il peut être difficile
d’accuser une personne avec la loi sur l’espionnage, alors
« il s’agit probablement d’une des raisons expliquant
qu’il n’y a pas eu d’accusation à ce jour, au moins
publiques ».
L’actuel conseiller en droit du département
d’État « a écrit une lettre très sévère à M. Assange et ses avocats
il y a environ dix jours », a dit Bellinger. Cette lettre avait pour but,
a-t-il continué, de renforcer la cause du gouvernement américain si jamais il
réussissait à emmener Assange devant une cour.
Il est aussi devenu clair que l’administration
américaine tente de prouver que le soldat Bradley Manning a conspiré avec
Assange pour la publication de documents secrets. Des accusations de
conspiration pourraient être plus facile à prouver.
Tony Harden, l’éditeur du Daily Telegraph
pour les États-Unis, a suggéré que les autorités américaines avaient déjà
préparé le mandat d’arrestation. « Ce qui se passe », a-t-il
argumenté, « c’est que les États-Unis veulent attendre le bon moment
et le bon endroit pour lui mettre le grappin dessus. Cela deviendra une immense
controverse transatlantique si, comme il semble possible, des accusations
d’espionnage sont déposées et que l’on cherche à obtenir
l’extradition de Grande-Bretagne ou de Suède. »
Alors qu’il est en route pour Suffolk et, en
fait se trouve en état d’arrestation à domicile, l’avenir
d’Assange est encore incertain. Son sort aux mains du système légal
anglais est très différent de celui qu’avait obtenu le général Augusto
Pinochet, l’ancien dictateur militaire du Chili.
Pinochet a été arrêté à Londres en octobre 1998 sur la
base d’un mandat émis par le magistrat espagnol Baltazar Garcon. Il
n’a pas été emprisonné, même si l’acte d’accusation officiel
stipulait qu’il était impliqué dans 3000 morts. Pinochet était en fait
responsable pour encore plus de morts que ce nombre en plus d’être
responsable de la torture et du viol systématique de milliers d’opposants.
Malgré la nature horrible de ses crimes, Pinochet a
été gardé à vue dans une maison confortable dans le quartier chic de
WentworthEstate à Surrey, plutôt qu’à la prison de Wandsworthoù Assange
est détenu. La baronne Margaret Thatcher a demandé qu’il soit libéré et
l’a visité à de nombreuses reprises. Finalement, le ministre de
l’Intérieur travailliste, Jack Straw, a rejeté l’extradition du
dictateur sur la base de son état de santé. Les deux cas ont en commun la
soumission complète de l’élite politique britannique aux dictats de
Washington, les deux étant impliqués dans les crimes en question.
(Article original anglais paru le 17 décembre 2010)