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Aung San Suu Kyi et la démocratie en Birmanie
Par K. Ratnayake
10 décembre 2010
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La libération, le 14 novembre, de la dirigeante de l’opposition birmane
Aung San Suu Kyi est devenue l’occasion d’un nouveau concert médiatique de
panégyriques en faveur de cette « icône de la démocratie » et de
spéculations sur la possibilité de « réforme » et de « démocratie » dans ce
pays.
Suu Kyi a cependant déjà clairement indiqué qu’elle n’a nullement
l’intention de défier la junte birmane. Bien au contraire, avec le soutien
notamment des Etats-Unis elle cherche à passer un accord avec les généraux
du pays. Suu Kyi a laissé entendre qu’elle est prête à revenir sur son
attitude passée en réclament un assouplissement ou la levée des sanctions
américaines et européennes en échange de concessions de la part des généraux
– le tout au nom de l’aide au peuple birman.
Toutes ces manoeuvres politiques de Suu Kyi n’ont rien à voir avec une
préoccupation pour les droits démocratiques ou les conditions de vie
déplorables des masses birmanes. Sa volonté de négocier avec la junte est
liée à un virage tactique initié par le gouvernement Obama depuis septembre
2009. Washington a adopté une méthode d’approche du « bâton et de la
carotte » à l’égard des généraux birmans : une proposition d’améliorer les
relations diplomatiques et économiques au cas où un arrangement avec Suu Kyi
était obtenu et la menace de mesures plus dures, y compris des accusations
d’atteintes aux droits de l’homme contre les dirigeants de la junte, dans le
cas contraire.
La politique d’Obama à l’égard de la Birmanie fait partie d’une poussée
agressive dans l’ensemble de l’Asie afin de miner l’influence du rival de
Washington – la Chine. Obama et ses responsables politiques sont engagés
dans un débordement d’activité diplomatique destiné à renforcer des
alliances militaires existantes, y compris avec le Japon et la Corée du Sud,
à forger des liens stratégiques plus étroits avec des pays tels l’Inde, et à
extraire de la sphère d’influence de Beijing des partenaires proches de la
Chine telle la Birmanie.
Les appels des Etats-Unis pour la « démocratie » en Birmanie sont un
écran bien commode derrière lequel des pourparlers avec le régime
dictatorial auront lieu. Obama a exigé la libération de Suu Kyi comme
condition préalable à de meilleures relations non pas parce qu’elle est une
« championne de la démocratie » mais parce qu’elle représente des sections
de la bourgeoisie birmane qui sont orientées vers l’Ouest et aussi pour
promouvoir la transformation du pays en une plateforme de main-d’œuvre bon
marché pour les groupes transnationaux.
Suu Kyi est aussi une soupape de sûreté utile contre l’hostilité
profondément enracinée au sein des grandes masses de travailleurs à
l’encontre du régime répressif de la junte. Dans le passé, elle a exploité
les mouvements d’opposition contre l’armée pour faire pression et obtenir
des concessions tout en empêchant à la fois que les protestations ne
menacent les fondements du régime capitaliste. C’était là avant tout le rôle
joué par Suu Kyi et son parti dans les événements tumultueux
d’août-septembre 1988.
Les mouvements de protestation des étudiants contre le régime au début de
1988 avaient commencé à inclure de plus larges couches de la population,
lassées par le manque de droits démocratiques, la dégradation des conditions
de vie et la répression policière. Les manifestations s’étaient sérieusement
intensifiées après la démission en juillet du dirigeant de la junte, le
général Ne Win, et son remplacement par Sein Lwin qui est tristement célèbre
pour ses méthodes répressives. Avant de procéder à une importante
manifestation nationale le 8 août, il y avait eu une série de protestations
plus petites, la formation de comités de grève et un appel à une grève
générale.
La junte avait réagi aux vastes protestations du 8 août en tirant sur la
foule, tuant des centaines de personnes mais, la grève générale fut décidée,
et les manifestations se poursuivirent. Des débrayages à Rangoon, Mandalay
et dans d’autres villes avaient impliqué des fonctionnaires du gouvernement,
des travailleurs du secteur pétrolier, des cheminots, des dockers et
d’autres travailleurs qui avaient paralysé les transports et l’activité
économique. A Rangoon, des quartiers entiers étaient contrôlés par des
comités de résistance. A la campagne, les agriculteurs avaient commencé à
protester pour soutenir leurs revendications.
Pendant plus d’un mois, la junte avait été paralysée. Le 12 août, Lwin
quittait ses fonctions sans donner d’explications pour être remplacé par
Maung Maung, un partisan civil de la junte qui paraissait être conciliant.
Il leva la loi martiale et décida d’organiser un référendum sur le
multipartisme. Des soldats et des policiers agirent plus prudemment ce qui
incita les gens à rejoindre l’opposition. Le 22 août, des centaines de
milliers de personnes participèrent à de nouvelles manifestations
nationales.
Ce ne fut que le 26 août que Suu Kyi ainsi que d’autres figures
bourgeoises de l’opposition y adhérèrent – pour agir comme un frein sur le
mouvement de masse, constitué surtout de travailleurs, qui avait poussé la
junte au bord de l’effondrement. S’adressant ce jour-là à une foule évaluée
à 500.000 personnes, elle demanda instamment aux gens d’« essayer d’oublier
ce qui s’était passé. » Elle fit appel aux manifestant « de ne pas perdre
leur affection envers l’armée » et de gagner leurs revendications par « des
moyens pacifiques. »
L’intervention de Suu Kyi donna à la junte le temps de se ressaisir qui
lui manquait désespérément. Tout en rejetant les propositions de Maung pour
un référendum, Suu Kyi créa l’illusion fatale que les revendications des
travailleurs pouvaient être obtenues par une élection. Jusqu’au moment même
de la répression militaire du 18 septembre, les dirigeants de l’opposition
demandaient aux gens d’être « patients » en disant qu’ils étaient sûrs que
Maung transmettrait le pouvoir à un gouvernement intérimaire et autoriserait
des élections libres.
Au lieu de cela, le général Saw Maung dissout le gouvernement, établit le
Conseil d’Etat pour la restauration de la loi et de l’ordre (State Law and
Restoration Council, SLRC) et donna l’ordre aux troupes d’écraser les
protestations. Trois mille personnes au moins furent tuées rien qu’à Rangoon
et bien plus à Mandalay et dans d’autres régions. Des milliers furent
arrêtés. D’autres fuirent le pays ou se réfugièrent à la campagne.
Suu Kyi condamna la répression mais demanda aux gens d’attendre les
élections que le régime avait promises. Tandis que son parti, la Ligue
nationale pour la Démocratie (National League for Democracy, NLD),
remportait une victoire électorale écrasante en 1990, la junte, après s’être
assuré le contrôle du pays, rejeta les résultats. Les généraux assignèrent
Suu Kyi à la résidence, emprisonnèrent d’autres personnalités de la NLD et
ignorèrent les sanctions imposées par les Etats-Unis et leurs alliés
européens.
Suu Kyi et la NLD jouèrent un rôle identique en 2007 lorsque de vastes
manifestations contre la junte éclatèrent, déclenchées tout d’abord par les
protestations des moines. Dès le début, Suu Kyi insista pour dire que le
mouvement ne devait pas défier les généraux. « Il ne devrait pas y avoir
d’agitation pour renverser le régime militaire. Cela rendra les gens
beaucoup plus méfiants à l’égard d’une réaction militaire et les gens
rechigneront à rejoindre le mouvement, » avait-elle dit.
La conclusion que Suu Kyi a cherché à inculquer depuis le soulèvement
politique de 1988 est que les protestations sont allées trop loin, qu’elles
ont provoqué la répression de l’armée et qu’elles ne devraient jamais se
répéter. En fait, C'est tout le contraire. Le mouvement d’opposition est
resté sous la domination de figures comme Suu Kyi qui l’a retenu au moment
précis où les généraux étaient le plus vulnérables. La classe ouvrière qui
avait joué le rôle majeur en mettant à genoux la junte a manqué de la
direction nécessaire pour défier la NLD et pour exiger la mise en place d’un
gouvernement ouvrier et paysan fondé sur une politique socialiste.
Les événements de 1988 et 1990 sont un exemple pratique de la Théorie de
la Révolution permanente de Léon Trotsky qui prouve l’incapacité organique
de n’importe quelle section de la bourgeoisie des pays connaissant un
développement capitaliste attardé telle la Birmanie de satisfaire les
aspirations démocratiques et les besoins sociaux des travailleurs. C'est
seulement la classe ouvrière, en gagnant la confiance des pauvres des villes
et de la campagne, qui peut accomplir ces tâches qui participent d'une lutte
plus large pour le socialisme en Asie du sud-est et internationalement.
Telle est la perspective révolutionnaire pour laquelle lutte le Comité
international de la Quatrième Internationale. Nous invitons les travailleurs
et les jeunes à étudier sérieusement notre histoire et notre programme afin
de relever le défi de la construction d’une section du mouvement trotskyste
mondial en Birmanie.
(Article original paru le 26 novembre 2010)