Le premier ministre italien Silvio Berlusconi reste
provisoirement au pouvoir. Mardi, dans une atmosphère tendue, il a survécu par
une courte majorité à une motion de censure.
A la Chambre des députés, 314 ont voté pour et 311 contre
Berlusconi. Au Sénat, le résultat a été le suivant, comme on pouvait s’y
attendre : 162 sénateurs ont soutenu le premier ministre et 135 étaient
contre.
En mai 2008, Berlusconi avait été élu premier ministre
pour la quatrième fois depuis 1994. Son gouvernement de coalition, comprenant
son parti le Peuple de la Liberté (PDL) et la xénophobe Ligue du Nord,
disposait d’une majorité sûre dans les deux Chambres du parlement.
Toutefois, l’impact de la crise économique
internationale a rapidement miné le gouvernement Berlusconi. Après la Grèce, la
dette publique de l’Italie est la deuxième plus élevée de l’Union
européenne. Le chômage des jeunes est de 25 pour cent, et 8 millions
d’Italiens sur les 60 millions que compte le pays vivent avec moins de
800 euros par mois.
Confronté à cette crise, le gouvernement était fortement
paralysé et trébuchait d’un scandale à un autre. Des allégations de
corruption et d’implication de la mafia dans l’empire médiatique de
Berlusconi, qui avait déjà maintenu son précédent gouvernement dans les limbes,
ont été suivies de scandales sexuels impliquant Berlusconi âgé de 74 ans et des
mineures et fait les gros titres pendant des semaines. A Naples, les montagnes
d’ordures ménagères que Berlusconi avait promis d’éliminer durant
la campagne électorale, s'empilent plus haut que jamais.
Dans les rangs de ses propres partisans, Berlusconi perd
de plus en plus de soutien. D’influents représentants industriels se
détournent de lui. La présidente de l’organisation patronale, Emma
Marcegaglia, l’a attaqué publiquement. Son prédécesseur, le patron de
Ferrari Luca di Montezemolo, a dit, « Après 15 ans d’inaction, il
est temps de mettre un terme au one man show. »
Finalement, le président du parlement, Gianfranco Fini a
pris la tête de l’opposition. En 2009, cet ancien fasciste avait fusionné
son Alliance nationale (Alleanza Nazionale, AN) avec le parti de Berlusconi. A
présent, voyant s’évanouir ses chances de devenir le successeur de
Berlusconi, il a décidé de se rebeller. En été 2010, avec ses 36 députés il a
rompu avec le parti gouvernemental pour fonder son propre groupe appelé
« Futur et Liberté pour l’Italie » (FLI), en privant ainsi
Berlusconi de sa majorité à la Chambre des députés.
Après une certaine hésitation, le FLI de Fini a déposé une
motion de censure. Ce qui s’ensuivit fut une bataille de chiffonniers
sans pareil en Italie. Le camp de Berlusconi aurait versé des pots de vin
d’un montant de 500.000 euros à deux députés, il aurait promis une
commande à l’entreprise d’un autre et un siège dans le futur
gouvernement à un quatrième. D’autres ont été menacés de la perte de
leurs sièges et appâtés avec la promesse de figurer sur une prochaine liste.
Un jour avant le vote de confiance, Berlusconi avait mis
en garde que sa destitution plongerait le pays au cœur de la crise de la
dette européenne. Qu’au vu des spéculations continues sur les marchés
financiers, ce serait « une folie politique de provoquer une crise sans
raisons évidentes et crédibles», a-t-il dit. Dans le même temps, il offrait à
l’opposition chrétienne-démocrate (UDC) des postes dans un futur
gouvernement.
Plusieurs partisans de Fini se sont montrés réceptifs aux
attraits présentés par Berlusconi et à ses menaces. Six des 36 députés FLI ont
dit qu’il n’était pas raisonnable de risquer une telle crise
gouvernementale et qu’ils voteraient pour Berlusconi « en raison
d’une profonde préoccupation pour le pays ». Néanmoins, le vote de
confiance été extrêmement juste et la séance a été interrompue lorsqu’une
bagarre a éclaté entre les députés.
Le résultat du vote de confiance ne résoudra pas la crise
politique en Italie. Compte tenu de sa majorité restreinte et précaire, le
gouvernement sera à peine en mesure d’agir. Avant le vote, le partenaire
de coalition de Berlusconi, Umberto Bossi de la Ligue du Nord, avait insisté
pour la tenue d’élections anticipées. « Vous ne pouvez pas gouverner
avec une majorité d’une seule voix, la seule solution c’est une
nouvelle élection, » a-t-il dit.
En Italie, le déclin des institutions démocratiques en
plein tourbillon d’affaires de corruption, de pots de vin et de sexe a
atteint un niveau qui n’a généré qu’horreur et dégoût de la part
des nombreux électeurs.
Des intellectuels et des personnalités culturelles sont
descendus à maintes reprises dans la rue pour exprimer leur indignation à
l’égard de Berlusconi. Samedi dernier, des dizaines de milliers ont
répondu à l’appel du Parti démocrate (PD) en protestant à Rome contre la
politique du chef du gouvernement. « Cette manifestation sera le début d’un
changement historique qui mettra fin au gouvernement Berlusconi, » a
annoncé le dirigeant du PD. Ceux qui protestent « forment l’Italie
de demain, » a-t-il déclaré.
Désespérés de voir Berlusconi survivre en apparence à
chaque affaire et aux nombreux revers subis, pour toujours retourner au pouvoir
durant ces 16 dernières années, de nombreux intellectuels en ont imputé la
faute aux masses de la population.
L’auteur de best-seller, Umberto Eco a dit au
journal Frankfurter Rundschau, « De
nombreux Italiens admirent Berlusconi parce qu’il leur fait miroiter ce
que tout Italien aimerait faire – s’amuser avec des femmes et ne
pas payer d’impôts. Berlusconi incarne leurs rêves les plus fous. »
Comme solution, Eco propose un « renouveau moral » de la société
italienne.
En réalité, la responsabilité pour la persistance de
Berlusconi au pouvoir revient à la soi-disant opposition dirigée par les
Démocrates qui sont issus du Parti communiste en 1991. A chaque fois
qu’ils ont été impliqués dans le gouvernement – de 1996 à 2001 et
ensuite de 2006 à 2008 – ils ont imposé des coupes massives dans les
programmes sociaux ainsi que des attaques à l’encontre des travailleurs,
ouvrant la voie au retour au pouvoir de Berlusconi.
Les partis d’« opposition » sont soutenus
et défendus par une multitude de groupes petits-bourgeois rassemblés au sein du
parti Rifondazione Comunista. Rifondazione
affirme que les Démocrates représentent un moindre mal et ont même rejoint en
2006 le gouvernement du politicien bourgeois Romano Prodi – se
décrédibilisant politiquement de ce fait. En l’espace de deux ans, le
gouvernement Prodi avait à tel point déçu ses électeurs que Berlusconi fut
capable de revenir au pouvoir en triomphe.
Les démocrates n’attaquent pas Berlusconi pour sa
politique mise en oeuvre dans l’intérêt des riches et des puissants. Ils
sont surtout préoccupés que le gouvernement n’impose pas les mesures
d’austérité avec la même vigueur que le font en Grèce, en Espagne et au
Portugal les amis sociaux-démocrates du PD. La soi-disant « gauche »
s’est tellement distancée de la masse de la population qu’elle
craint une nouvelle élection et préfèrerait la formation d’un
« gouvernement composé de technocrates. »
Alors que la xénophobe Ligue du Nord insiste pour que
soient organisées de nouvelles élections, et que Berlusconi espère une
réélection, les Démocrates se cachent derrière le fasciste Fini en lui laissant
l’initiative politique. « Nous sommes obligés de suivre la volonté
des anciens néo fascistes, une expérience quelque peu étrange, » a
remarqué, samedi lors d’une manifestation à Rome, Enrico Letta, un
Démocrate influent et proche associé de l’ancien premier ministre Prodi.
Le problème clé auquel sont confrontés les travailleurs
partout en Europe et dans le monde est très clairement exposé en Italie :
parmi les partis traditionnels, pas un n'exprime ni ne représente les intérêts
de la classe ouvrière. Les partis et les programmes réformistes qui promettent
des améliorations sociales tout en laissant le système capitaliste intact, sont
tous en faillite. Seule une offensive internationale de la classe ouvrière sur
la base d’un programme socialiste peut stopper la réaction politique et
sociale que le personnage de Berlusconi représente si clairement.