L'approbation officielle donnée par des représentants haut
placés du gouvernement à une émeute policière signale une accentuation du
virage vers une politique droitière et sécuritaire du gouvernement du président
Nicolas Sarkozy. Le 10 décembre, 200 policiers ont organisé une émeute devant
le tribunal de Bobigny dans la banlieue nord-est de Paris, pour protester
contre le procès de sept de leurs collègues pour tentative d'accuser faussement
un innocent.
L'éditorial du journal Le Monde du 13 décembre
rapporte ainsi ce que l'on ne peut qualifier que d'émeute policière orchestrée:
« Les Français incrédules ont découvert
vendredi soir les images du tribunal de Bobigny cerné de policiers en tenue,
éclairés par leurs gyrophares, 200 représentants de l'ordre cédant au désordre
de la rue, sirènes hurlantes. Ils protestaient contre la condamnation de sept
d'entre eux à des peines allant jusqu'à un an d'emprisonnement ferme. La
justice leur reproche d'avoir imputé à un innocent un accident survenu à l'un
des leurs. Ces policiers poursuivaient un voleur de voiture et, dans le feu de
l'action, avaient percuté un collègue, le blessant à la jambe. Plutôt que
d'avouer leur cafouillage, ils avaient rédigé un faux procès-verbal. »
Si l'homme
que les policiers avaient essayé d'accuser avait été déclaré coupable, il
aurait pu être condamné à une peine de prison à vie.
La
tentative de coup monté de la police a eu lieu dans un quartier marqué par de
graves tensions sociales. Il existe en France 751 zones urbaines sensibles
(ZUS) et le département de la Seine-Saint-Denis où se trouve Bobigny en a la
plus forte concentration. L'Observatoire national des ZUS (OZUS) vient de
publier un rapport disant que fin 2009, 43 pour cent des jeunes hommes et 37
pour cent des jeunes femmes de ces quartiers étaient au chômage, soit le double
du taux national déjà catastrophique pour cette tranche d'âge.
Dès qu'il a entendu que les policiers avaient été condamnés
à de la prison ferme, Christian Lambert, le préfet nouvellement nommé du
département de la Seine-Saint-Denis, s'est aussitôt rendu au commissariat
d'Aulnay-sous-Bois où travaillent les policiers condamnés. Il a déclaré,
« La faute commise
est indéniable » mais qu'il était «très étonné de la décision du tribunal. » Il a aussi dit qu'il « comprenait » la
manifestation des policiers.
La
déclaration de Lambert a été suivie d'autres déclarations de soutien de la part
de représentants haut placés du gouvernement, ce qui montre clairement qu'il
avait le soutien de l'exécutif, à savoir de Sarkozy. Brice Hortefeux, ministre
de l'Intérieur et un des plus proches associés politiques de Sarkozy, a déclaré
que la peine « peut
légitimement apparaître, aux yeux des forces de sécurité, comme disproportionné. »
Sarkozy
n'a rien dit sur la question, mais plusieurs députés du parti au pouvoir, UMP
(Union pour un mouvement populaire) ont fait des déclarations de soutien à
Hortefeux.
Le fait
que le gouvernement foule aux pieds les droits démocratiques est d'autant plus
scandaleux que personne n'a en fait remis en question les conclusions du
tribunal selon lesquelles les policiers étaient impliqués dans un délit grave.
Les
syndicats de police se sont montrés hostiles aux principes fondamentaux de
preuves bien établies et de présomption d'innocence et ont attaqué les
magistrats et les juges qui appliquent ces principes et qu'ils accusent
régulièrement de laxisme. «Ce tribunal est
connu pour receler les pires idéologues de la culture de l’excuse quand
il s’agit de remettre dehors à tour de bras les trafiquants de
stupéfiants, braqueurs, auteurs de tentatives d’homicide, etc., »
a déclaré le syndicat de police Synergie-officiers.
Jean-Claude
Delage, secrétaire général du syndicat de police Alliance, s'est plaint dans
les médias de ce que «des
multi-récidivistes, dans ce tribunal et ailleurs, ne sont pas, eux, condamnés
comme il se doit, ou remis en liberté. »
Les organisations de magistrats ont protesté devant les
déclarations d'Hortefeux. Interviewé par le Nouvel Observateur, Matthieu
Bonduelle, secrétaire général du syndicat des magistrats (SM) a fustigé
Hortefeux pour avoir «bafou[é] le principe de
la division des pouvoirs. »
Bonduelle
a cité la section 434-25 du code pénal qui déclare: « le fait de chercher à jeter le discrédit publiquement sur
une décision juridictionnelle ...est puni de plus de 6 mois d'emprisonnement et
de 7.500 euros d'amende. » Néanmoins le
SM n'envisage pas de poursuites judiciaires contre Hortefeux.
Bonduelle
a ajouté: «La prise de position de Brice
Hortefeux n'est pas une première. Au mois de juillet, un
policier avait tué un gitan à Saint-Aignan et le
ministre lui avait apporté son soutien.»
Sarkozy
avait utilisé cet assassinat pour lancer une vague de déportations de Roms, qui
avait été largement impopulaire et avait même conduit à la condamnation de la
commissaire européenne Viviane Reding. Mais par la suite, Reding avait fait
marche arrière.
Les
réactions politiques et des médias critiquant les déclarations d'Hortefeux ont
été des paroles creuses. Personne n'a appelé au licenciement d'Hortefeux ni des
policiers émeutiers. Le message envoyé aux forces de police est qu'elles
peuvent braver l'autorité des tribunaux en toute impunité, ce qui est
caractéristique essentielle d'un Etat policier.
Le premier ministre François Fillon lors d'une réunion avec
des préfets a affirmé que les policiers condamnés avaient commis « des
faits injustifiables » et que «l'honneur de la police » exigeait «un
comportement exemplaire. » Mais son objectif réel était le renforcement de
la capacité de la police à intervenir contre la population. Il s'est inquiété
de ce que le conflit entre la police et les magistrats puisse conduire à «un
affaiblissement de l'Etat. »
Parlant au
nom du Parti socialiste qui a récemment publié un document sur la sécurité
critiquant Sarkozy pour le manque d'investissement dans la police, la première
secrétaire Martine Aubry s'est contentée de déclarer: « Nous ne pouvons pas accepter que monsieur Hortefeux une
fois de plus attaque les magistrats pour une décision qu’ils ont prise...On ne peut pas tenir de grands discours aux jeunes pour
qu’ils respectent les lois et ne pas respecter la justice de notre pays. »
L'éditorial du Monde déclare: «L'irruption du ministre de l'intérieur dans ce processus
équilibré, où chacun peut faire valoir son point de vue, viole la loi. Le code
pénal proscrit, il faut le redire, les déclarations qui jettent le discrédit
sur une décision de justice... » Puis le
journal se plaint de ce qu'Hortefeux est intouchable parce que c'est un ami de
Sarkozy, mais s'arrête là.
La
capacité de la police à organiser une émeute sans réelle opposition de l'Etat
ou des cercles politiques est le signe que le gouvernement Sarkozy revient à la
politique droitière, tel son ciblage des Roms, qui avait été provisoirement
freinée durant les grèves de l'automne contre les coupes dans les retraites. La
suppression et la trahison de ces grèves a permis à l'Etat de revenir à ses
provocations policières et à attiser l'hystérie sécuritaire. L'absence de tout
mouvement réellement de gauche et l'étouffement des luttes ouvrières est la
condition préalable essentielle rendant possible la poursuite de l'arbitraire
étatique et des attaques contre les droits démocratiques.
La réponse
de la classe dirigeante de par l'Europe aux troubles sociaux provoqués par la
crise économique et les mesures d'austérité réduisant de façon draconienne le
niveau de vie de la masse de la population a été de se tourner vers des mesures
d'Etat policier ou militaire. Pour exemples, l'utilisation de l'armée en Grèce
et en Espagne contre les travailleurs en grève, la répression policière massive
en Grande-Bretagne contre les manifestations des étudiants s'opposant à
l'augmentation vertigineuse des frais d'inscription à l'université,
l'intervention des CRS contre les travailleurs des raffineries en grève en
France.
(Article
original publié en anglais le 20 décembre)