Après le sauvetage de l’Irlande: les requins de la finance ciblent de
nouvelles victimes
Par Nick Beams
7 décembre 2010
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Il ne fait pas de doute qu’il n’existe, dans aucun autre domaine de
l’économie ou de la politique, un plus haut degré de mystification que celui
de la manière dont sont décrites les opérations sur les marchés financiers.
Le soi-disant sauvetage irlandais, annoncé dimanche dernier, en est un
exemple frappant. Ce qui s’est passé ce n’est pas le sauvetage de l’Irlande.
En réalité, le gouvernement irlandais a cédé aux exigences des marchés
financiers internationaux pour que toutes les ressources de l’Etat soient
déployées afin de garantir que toutes les dettes irlandaises et toutes les
valeurs financières détenues par les banques et les institutions financières
soient intégralement payées aux dépens de la classe ouvrière. En d’autres
termes, ce n’est pas « l’Irlande » qui a fait faillite et qui nécessite un
sauvetage mais les détenteurs des dettes irlandaises – les banques
européennes et internationales.
L’accord devrait coûter à chaque famille irlandaise une somme
supplémentaire de 4.000 euros, en plus des 4.000 euros qu’elle a déjà perdu
selon des estimations. Et, comme s'il voulait souligner qu’il n’existe pas
de limite pour satisfaire les exigences voraces des marchés financiers, le
gouvernement a accepté que les fonds de pension contribuent au sauvetage à
hauteur de 17,5 milliards d’euros.
A peine l’accord était-il annoncé que les requins financiers commençaient
déjà à aligner leurs prochaines cibles… le Portugal, l’Espagne ou
vraisemblablement la Belgique.
La crise financière européenne grandissante souligne le fait que
l’effondrement en septembre 2008 de la banque d’investissement américaine
Lehman Brothers n’était pas la conséquence d’un déclin cyclique qui serait
suivi par une « reprise » mais marquait le début d’un effondrement de
l’ensemble de l’ordre capitaliste mondial d’après-guerre.
Le début de la crise financière américaine en 2007 avait eu un impact
immédiat sur les banques européennes. Celles-ci étaient soit directement
liées aux opérations sub-prime des institutions financières américaines,
comme c’était le cas des banques d’Etat en Allemagne, soit elles étaient
engagées dans des activités spéculatives identiques.
Si on en était resté là, la crise serait finie depuis longtemps. Mais les
faillites initiales n’étaient que l’expression de contradictions bien plus
profondes au sein de l’économie capitaliste mondiale.
Depuis le début des années 1980, après la fin du boom économique
d’après-guerre, le capitalisme mondial s'est caractérisé par ce qu’on
pourrait appeler la montée incessante de la financialisation. Une importante
statistique éloquente indique l’ampleur de ce processus. Il y a à trois
décennies, le stock des valeurs financières mondiales correspondait à
environ 100 pour cent du PIB mondial. En 2007, il était passé à 350 pour
cent.
Les implications d’un changement aussi énorme se manifestent à présent
dans l’aggravation de l’endettement et de la crise financière.
En dépit des idées fantaisistes de certains porte-parole financiers que
l’argent peut d’une certaine manière de par sa nature, créer indéfiniment de
l’argent, les valeurs financières représentent en fin de compte une créance
sur la richesse produite par le travail social, notamment, la plus-value
extraite de la classe ouvrière dans le processus de la production
capitaliste.
Pendant tout un temps et aussi longtemps que l’argent continuait
d’alimenter le système financier, cette loi économique semblait être en
suspens étant donné que de vastes profits financiers étaient accumulés en
raison de l’augmentation des valeurs et surtout des valeurs immobilières. On
pouvait vraiment avoir l’impression que l’argent était capable de générer de
l’argent en dehors de ce processus de production capitaliste.
Finalement, toutefois, les lois de l’économie capitaliste ont affirmé
leur présence, certes pas de manière pacifique, mais de la manière dont Marx
les avait décrites… tout comme se manifeste la loi de la gravité lorsqu’une
maison s’écroule au-dessus de votre tête. La maison de la finance s’est
effondrée en septembre 2008.
Les gouvernements ont répondu par des sauvetages et des plans de relance
pour éviter de plonger immédiatement dans une dépression. Mais ces mesures
n’ont pas réussi à résoudre la crise, elles l’ont seulement reportée. Des
milliers de milliards de dollars de dettes ont été transférés des banques et
des institutions financières vers les comptes de l’Etat. A présent, il faut
que ces dettes soient payées par la réduction du niveau de vie et des
conditions sociales de la classe ouvrière.
Pendant un temps, il semblait que le capitalisme européen représentait
une sorte d’alternative au système avide de « libre-échange » qui prévaut
aux Etats-Unis. En fait, l’expansion du secteur financier et des dettes
était tout aussi crucial au fonctionnement de l’économie européenne qu’elle
l’était aux Etats-Unis.
L’établissement en 1999 de la zone euro a marqué la tentative de
s’assurer que l’économie européenne était capable de rester compétitive face
à ses rivaux. L’on avait même espéré que l’euro serait en mesure de défier
le dollar comme monnaie de réserve mondiale. Toutefois, l’union monétaire a
eu des conséquences considérables au sein de l’Europe même. Entre autres,
elle rendait impossible aux économies moins compétitives ou soi-disant
périphériques d’améliorer leur position sur les marchés mondiaux en
dévaluant leurs monnaies. Le déficit de leur balance de paiement était
couvert par un apport en capital des banques et des institutions financières
des soi-disant pays « core », en particulier l’Allemagne et la France. Ce
capital a servi à financer des développements dans l’immobilier et des
projets touristiques ainsi qu’à promouvoir la croissance économique, ce qui
créa à son tour de nouveaux marchés d’exportation pour les économies
européennes plus puissantes. C’est ainsi que s'est établi un cercle vertueux
économique.
Le capitalisme allemand a joui d’avantages énormes. En 1990, au moment de
la réunification, les exportations constituaient environ 25 pour cent du
PIB. En 2008, elles avaient grimpé à 47,2 pour cent, soit la plus grande
proportion mondiale et dont la majorité provenait d’exportations vers le
reste de la zone euro.
De plus, le taux de conversion de l’euro par rapport aux autres monnaies
étant inférieur à ce qu’aurait été celui du deutschemark, a procuré un
avantage compétitif aux exportations allemandes sur les marchés
internationaux. Cette phase du développement capitaliste, rendue possible
par l’expansion de la dette, touche maintenant à sa fin. Une nouvelle
période a commencé dans laquelle toutes les contradictions qui avaient
déchiré l’Europe durant la première partie du vingtième siècle refont
surface.
Le soi-disant sauvetage irlandais n’est que le début. Les marchés
financiers n’exigent pas juste une période limitée d’austérité mais la
destruction de l’ensemble du système social européen d’après-guerre.
Parallèlement, les mesures d’austérité imposées à présent créent les
conditions pour un cercle vicieux économique dans lequel une croissance
faible exacerbe la crise économique en conduisant à son tour à une
aggravation de la dette et de l’insolvabilité – des banques, des
institutions financières et même des gouvernements.
L’avenir même de l’Union européenne est incertain avec la menace d'un
retour des conflits intra-européens qui ont conduit à deux guerres
mondiales. Les divisions et les conflits nationaux se multiplient. Dans le
Financial Times d’hier, le directeur du Conseil européen des relations
étrangères (ECFR) à Madrid, José-Ignacio Torreblanca, a reproché à
l’Allemagne d’être responsable des problèmes économiques croissants que
connaît l’Espagne.
Durant les années 1980 et 1990, le processus d’intégration européen a
mené à un «cercle vertueux de croissance économique : la périphérie s’est
accrue plus vite que le centre… mais l’Allemagne et les autres en ont
profité considérablement parce que cette croissance était fondée sur leurs
exportations et sur l’investissement étranger direct. » Maintenant, le
cercle semble « irrémédiablement brisé » et l’Allemagne tente de faire
cavalier seul.
La classe ouvrière doit faire face à la crise en avançant et en luttant
pour son propre programme indépendant. La dictature du capital financier et
ses exigences insatiables d’appauvrissement de la population laborieuse doit
être renversée par l’expropriation des banques et des institutions
financières ainsi que par l’annulation de leurs dettes.
Il n’y a pas de solution nationale à la crise. Une Europe divisée ne peut
signifier qu’un retour aux catastrophes de la première moitié du vingtième
siècle. L’Europe doit être unifiée sur une base progressiste ce qui n’est
possible que par l’établissement des Etats socialistes unis d’Europe – la
perspective du Comité international de la Quatrième Internationale, le parti
mondial de la révolution socialiste.
(Article original paru le 1er décembre 2010)