Le mois dernier, l’organisation française de
« gauche » des classes moyennes, Lutte Ouvrière (LO), a publié son
bilan des grèves d’octobre-novembre menées les étudiants et par les
travailleurs des secteurs pétrolier et portuaire contre la réduction des
retraites du président Nicolas Sarkozy. L’objectif principal de LO est de
couvrir le rôle joué par les syndicats dans la trahison de la grève et par
extension, son propre rôle.
Avec
la réduction des retraites, à présent promulguée, le rôle des syndicats et de
leurs partisans de « gauche » est évident : ils ont refusé la
mobilisation entière et totale de la classe ouvrière et permis que des attaques
historiques contre le niveau de vie continuent de par l’Europe. La
bureaucratie syndicale a organisé un certain nombre de journées d’action
nationale de protestations tout en isolant les grèves des travailleurs et en
permettant à la police d’infiltrer les manifestations et de briser les
blocages de dépôts de pétrole. Dans le même temps, ils ont participé à des
manifestations communes avec le Parti socialiste (PS) en contribuant à la
promotion de ce parti pro-patronal pour les élections présidentielles de 2012.
Le groupe Lutte Ouvrière – dont bon nombre de
membres sont actifs dans les syndicats et ont défilé dans les cortèges avec le
PS – a participé à cette action anti-classe ouvrière. En falsifiant ces
événements, LO est en train de blanchir son propre bilan droitier.
LO commence par nier que les syndicats ont travaillé avec
Sarkozy pour appliquer ces coupes sociales : « Les dirigeants
syndicaux étaient en droit d’espérer que, sur une réforme concernant un
problème social, ils seraient associés aux négociations et qu’ils
pourraient justifier leur rôle et leur préférence pour les négociations par
quelques succès susceptibles d’être brandis face au mécontentement de la
base. Eh bien, associés aux négociations, ils ne l’ont pas
été ! »
LO fait remarquer ici en passant la politique cynique des
syndicats consistant à justifier leur rôle par de fausses affirmations selon
lesquelles ils pourraient obtenir des concessions mineures. Mais LO nie par la
suite que les syndicats ont travaillé avec Sarkozy. Ceci est un mensonge
absurde.
Malgré la détermination de Sarkozy de faire ces coupes,
les syndicats ont travaillé ouvertement avec le gouvernement par
l’intermédiaire de personnalités tel le conseiller social de Sarkozy,
Raymond Soubie. Durant les grèves d’octobre, un conseiller de Sarkozy
avait même dit au journal Le Monde que « La méthode Soubie est à
son apogée. » Le dirigeant de la Confédération française démocratique du
Travail (CFDT), François Chérèque avait dit : « Que personne ne
vienne me dire qu’il n’a pas eu Soubie pendant deux mois. »
L’objectif de cette collaboration était de faire
passer les coupes malgré une opposition de masse. Le dirigeant du syndicat
Force Ouvrière, Jean-Claude Mailly, a expliqué que Soubie « a dû penser
qu’il y aurait le rituel des manifestations, que personne ne dirait oui,
mais que cela [les coupes] passerait. » En faisant remarquer que ceci
avait provisoirement échoué en octobre, tandis que des grèves et des
protestations des étudiants avaient eu lieu, Mailly a ajouté : « à
force de tirer des ficelles, on fait des nœuds. »
Mailly, dont le syndicat a également participé à cette
mascarade, ne voyait visiblement pas d’inconvénient à ce qu'on tire ses
ficelles. Il n’est nullement une exception en cela : partout en
Europe les syndicats ont appelé à des journées de protestation de 24 heures
politiquement impuissantes pour « exercer une pression » sur
l’Etat durant l’entrée en vigueur des coupes sociales au printemps
dernier en Grèce et en automne en Espagne et en France. Aucun de ces événements
n’a modifié la politique de l’Etat.
LO fait l'éloge de ce jeu politique corrompu avec
l’explication mineure que les syndicats ne le faisaient qu’en
raison de la pression exercée par les travailleurs. Cependant, selon LO, en
appelant à faire grève pour préserver « leurs intérêts d’appareil,
les confédérations syndicales ont ouvert des vannes dont les travailleurs ont
profité pour exprimer leur ras-le-bol… Les premiers à s’engouffrer
dans la brèche ouverte par les dirigeants syndicaux ont été les militants
syndicaux eux-mêmes. »
La rhétorique guerrière utilisée par LO, qui semble
raconter les exploits héroïques des chevaliers de la Table ronde, est
complètement absurde quand elle s’applique à des bureaucrates tels
Chérèque et Mailly.
LO a cependant une logique politique bien définie :
encourager les travailleurs et les jeunes à croire qu’en exerçant une
certaine « pression », les syndicats mèneront la lutte sociale en
provoquant peut-être un changement dans la politique gouvernementale. En fait,
les leçons tirées des récentes grèves montrent exactement le contraire :
si les syndicats continuent de contrôler les grèves c’est pour les
étouffer. Les coupes sociales de Sarkozy ont été promulguées sans modification
aucune.
Durant les grèves d’octobre, le gouvernement
s’est trouvé totalement isolé au moment où, à plusieurs reprises, plus de
3 millions de travailleurs défilaient dans des manifestations contre sa
politique. Des sondages d’opinion montraient un soutien populaire de 70
pour cent en faveur des grèves qui se propageaient parmi les travailleurs des
transports publics, des services municipaux, des services des transports
routiers, de l’industrie automobile et de la grande distribution.
Néanmoins, les syndicats n’ont pas appelé à
d’autres grèves et ont refusé de mobiliser la classe ouvrière pour
défendre les blocages des raffineries de pétrole attaqués par la police.
Privées d’une perspective pour s’opposer aux coupes sociales
– ce qui aurait nécessité le renversement de Sarkozy et la lutte pour un
gouvernement ouvrier basé sur une politique socialiste – les grèves se
sont dissipées après le vote des coupes à l’Assemblée nationale.
LO juge irréprochable l’attitude des syndicats:
« Il est puéril d’en accuser l’absence d’appels dans ce
sens [pour une grève générale] de la part des confédérations syndicales. »
Au lieu de cela, LO impute la faute à la classe ouvrière. En affirmant de façon
absurde qu’il y avait très peu de grèves dans les autres secteurs
industriels, LO absout de toute responsabilité les confédérations
syndicales : « Mais elles n’ont rien freiné non plus car, en
l’occurrence, elles n’avaient rien à freiner. »
LO mène ici ses falsifications vers leur conclusion
logique: si les syndicats n’ont rien trahi, c’est parce qu’il
n’y avait pas d’opposition à trahir au sein de la classe ouvrière.
Seul un parti lié aussi servilement à la bureaucratie syndicale, comme Lutte
Ouvrière, et hostile aux intérêts de vastes couches de travailleurs peut
avancer une telle position.
En effet, LO considère la promulgation des coupes de
Sarkozy comme une quasi-victoire. Le groupe insiste pour dire que personne ne
devrait imiter « certains militants démoralisés qui parlent d’échec
parce que Sarkozy n’a pas reculé. » Après avoir coupé court toute
discussion réelle sur les grèves, LO dit que sa tâche est à présent de
« dévoiler les manœuvres des partis réformistes, à commencer par le
Parti socialiste. »
LO écrit: « Les gouvernements socialistes des autres
pays d’Europe ne se comportent pas différemment des autres… les
travailleurs ne s’attendent pas à être protégés par un gouvernement
socialiste. » En remarquant que les travailleurs ne voteraient pour le PS
que pour battre Sarkozy, LO précise qu’« une prime sur ce terrain
[va] à Strauss-Kahn [le directeur du Fond monétaire international et candidat
probable du PS en 2012] qui a le plus de chances de l’emporter. »
Toutefois, LO ajoute, « bien malin est celui qui pourrait dire en quoi
consiste son côté ‘homme de gauche’ ».
En dépit des commentaires tièdes de LO la chose
n’est pas difficile à comprendre. Strauss-Kahn est un banquier, un membre
de groupe de pression corporatiste et un ténor de longe date du PS qui a
supervisé l’imposition des coupes du FMI en Grèce et en Irlande. Ce
n’est pas un homme de gauche ou un réformiste, mais un tueur à gages
financier organisant l’appauvrissement de masse des travailleurs.
LO en est parfaitement conscient en écrivant :
« Aussi, si les directions syndicales ont quelques raisons d’espérer
trouver, avec un gouvernement de gauche [PS], une meilleure place pour
elles-mêmes, l’entente entre elles et le gouvernement de gauche ne se
fera pas à l’avantage de la classe ouvrière, mais à son détriment. »
C’est là un commentaire révélateur. Bien que le
groupe discute pour savoir si certains responsables du PS sont « de
gauche » et laisse passer le fait que la bureaucratie syndicale a étouffé
les grèves, LO sait pleinement que l'on a affaire là à des individus de droite
qui planifient des attaques historiques contre la classe ouvrière. Cela ne
l’incite toutefois pas à reconsidérer son soutien aux syndicats.
Ceci soulève la question suivante: Est-ce-que LO est un
parti de gauche ? Sans aucun doute LO avancerait la conclusion de sa
déclaration pour prouver que le groupe est de gauche. Il exprime l’espoir
que les travailleurs adopteront une forme de « politique qui, en cessant
de respecter la propriété privée des moyens de production, les lois du marché
et la dictature du profit individuel, ouvrira une autre perspective devant la
société. »
Ceci paraît être radical, même presque marxiste, à un
détail près : Tout en appelant les travailleurs à cesser de respecter le
capitalisme, LO maintient son respect sans bornes pour la bureaucratie
syndicale qui impose vraiment l’austérité capitaliste aux
travailleurs. Malgré ses slogans creux, LO – tout comme ses co-partis
« d’extrême gauche » tels le Nouveau Parti anticapitaliste
(NPA) et le Parti ouvrier indépendant (POI) – met en fait en avant une
politique pro-establishment.
Ces partis défilent régulièrement dans les manifestations
avec les contingents du PS en contribuant à donner au candidat potentiel
Strauss-Kahn des références de « gauche » totalement injustifiées.
Leurs campagnes présidentielles sont tributaires de l’obtention de
centaines de signatures de responsables PS locaux pour être inscrits sur les
listes électorales. Ils ne sont pas moins indépendants du PS qu’ils le
sont des bureaucraties syndicales et qu’ils traitent tous comme de vrais
dirigeants de la lutte de la classe ouvrière.
L’évaluation pro-syndicale de LO du récent mouvement
de grève est tout à fait en accord avec son rôle plus général de défenseur
soi-disant de gauche d’une élite politique foncièrement hostile à la
classe ouvrière.