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WSWS : Nouvelles et analyses : Europe

Un échange de courrier sur l’interdiction du foulard islamique en France

12 février 2010

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Le 26 janvier, une commission parlementaire française chargée d'étudier la possibilité d'imposer une interdiction de la burqa ou du niqab a publié un rapport appelant au passage d'une loi rendant illégal le port de ces vêtements couvrant tout le corps, porté par certaines femmes musulmanes.

Le WSWS republie ici un échange de lettres publié à l'origine le 8 avril 2004, au sujet de la loi interdisant les symboles religieux dans les écoles publiques, lequel visait les filles portant le foulard islamique. Il montre que contrairement à ce qui était affirmé, l'interférence de l'Etat dans les croyances privées des citoyens, loin de protéger la laïcité et les droits des femmes, représente une attaque fondamentale contre les droits démocratiques et la laïcité elle-même.

Ces attaques racistes contre la liberté de religion sont conçues pour diviser la classe ouvrière et lancer un appel aux éléments les plus arriérés et les plus réactionnaires de la société française dans le but de faciliter la destruction des droits et des conditions de vie des travailleurs et des jeunes.

Cher M. Lefebvre

J'ai trouvé intéressant de lire un point de vue différent sur la nouvelle loi française interdisant les symboles religieux dans les écoles publiques (Voir L'Assemblée nationale interdit le foulard islamique à l'école). J'admets qu'une loi de ce genre risque d’avoir des conséquences négatives, y compris une séparation plus prononcée et moins de compréhension entre ceux qui ont des croyances religieuses différentes.

Cependant, ayant vécu l'intrusion perturbante des chrétiens de droite dans la vie publique et politique des États-Unis, je me retrouve à souhaiter des dirigeants politiques qui auraient le courage de réaffirmer ce que nous appelons la séparation de l'Église et de l'État ou ce que les Français semblent appeler l'État laïc.

Je veux dire que les politiciens américains ont été fortement intimidés par la droite chrétienne, comme le montre le récent exemple d'Howard Dean [Dean était alors encore en lice dans la course à la candidature présidentielle démocrate lors des primaires en vue de l’élection présidentielle de novembre 2004, n.d.t.] Dean avait initialement refusé de répondre à des questions sur ses croyances religieuses. Lorsque la question a été reposée, il a déclaré qu'il se rendait rarement à l'Église, mais il finit par faire des déclarations publiques sur le fait qu'il faisait des prières privées et autres activités plus dévotes. J'ai interprété cela comme le fait qu'il avait été intimidé, alors qu'il aurait dû être capable de citer le principe de la séparation de l'Église et de l'État comme raison de ne pas répondre du tout à cette question.

Que les dirigeants politiques français aient pris la position qui est la leur sur les symboles religieux me semble indiquer que le principe de la laïcité de l'État y est plus fort que l'idée de la liberté religieuse parce que la liberté religieuse consiste apparemment à mettre la religion en valeur, au lieu d'adopter une position neutre à son égard.

La religion a servi de justification à des actes horribles de cruauté, de violence et de persécution à travers toute l'Histoire. Bien que ce fait soit bien connu, il s'applique hélas au présent aussi bien qu'au passé.

La conception selon laquelle les gens doivent avoir le droit de croire en n'importe quelle religion semble admettre une réalité immuable. C'est-à-dire, que la croyance religieuse semble être tellement puissante que les gens sont condamnés à croire ce qu’ils croient, quoi que fassent ceux qui ont des convictions différentes pour les en dissuader.

Le concept selon lequel les gens doivent être autorisés à pratiquer n'importe quelle religion suivant leur volonté, d'un autre côté, implique des interférences extérieures et un certain contrôle, dans la mesure où des pratiques comme les sacrifices humains ou d'autres mutilations, dommages et discriminations ont été, et continuent à être trop répandues.

Vous faites remarquer que l'éducation est essentielle au soutien et à la promotion de la laïcité ou de la liberté religieuse. Je partage votre avis. L'éducation qui me semble la plus importante est l'éducation sur les excès des pratiques religieuses à travers l'Histoire ainsi que l'éducation à faire la différence entre les croyances religieuses qui sont justement protégées, et les pratiques religieuses, qui doivent être contrôlées d'une manière appropriée.

Puisque je considère la nouvelle loi française comme une tentative de réglementer les pratiques religieuses et non les croyances, et ayant été témoin de l'intimidation de certains politiciens américains par des démagogues religieux, ainsi que de la transformation d'autres politiciens américains en démagogues religieux, j'ai adopté un point de vue positif sur l'action du gouvernement français sur cette question.

Très sincèrement,

AK

 

Cher AK,

Merci de votre lettre. Même si votre hostilité envers l'influence du fondamentalisme chrétien dans la politique américaine soit compréhensible, je dois d'emblée vous dire que votre évaluation de la loi française contre le foulard s'appuie sur une sérieuse erreur d'appréciation de la situation politique en France, et aussi sur des conceptions de la religion et de la croyance religieuse que nous ne partageons pas.

Vous indiquez que vous soutenez la loi française contre le foulard parce que vous croyez qu'elle montre que les politiciens français affirment le principe de séparation de l'Église et de l'État.

Ainsi, vous écrivez à propos des États-Unis, « je me retrouve à souhaiter des dirigeants politiques qui auraient le courage de réaffirmer ce que nous appelons la séparation de l'Église et de l'État ou ce que les Français semblent appeler l'État laïque. »

Vous opposez la laïcité à la liberté de religion, préférant votre idée de la première parce qu'elle accorde à l'État une plus grande autorité pour réglementer les pratiques religieuses.

Je ne peux pas être en accord avec ces deux positions. Soit on accorde la liberté de croyance et la liberté d'exprimer ces croyances par des actions qui ne causent pas de dommages aux autres, soit on n'accorde pas de liberté de religion. Votre formulation de la « laïcité » dit en substance que tout le monde a le droit de croire aux convictions qu'il choisit, mais que personne n'a le droit de les exprimer si elles entrent en conflit avec celles de l'État. C'est tout ce dont un dictateur a besoin.

Nous avons une conception différente du contenu du principe de la séparation de l'Église et de l'État. Du point de vue de l'Histoire et de la défense des droits de l'Homme, le principe de laïcité, ou de séparation de l'Église et de l'État, ne signifie pas céder aux élites politiques les outils nécessaires pour contrôler la religion, mais plutôt l'opposé. Ce principe insiste sur le fait que l'Etat n'a aucun droit à faire peser sa conception de la religion sur les croyances privées des gens. De ce point de vue, il est faux, et en fin de compte réactionnaire, de faire la distinction entre la séparation de l'Église et de l'État et la liberté de conscience et de croyance.

Cette conception de la laïcité n'implique pas d'entretenir des illusions sur la religion elle-même. La religion est un reflet fantasmé de la réalité matérielle, née de l'incompréhension et de l'aliénation de l'Homme vis-à-vis du monde naturel et social dans lequel il existe. Cependant, au lieu de voir les illusions religieuses comme une « réalité immuable », nous les considérons comme un élément variable en fonction des évolutions sociopolitiques et liées à la lutte de l'humanité pour sa libération matérielle, sociale et spirituelle.

Les superstitions religieuses ne seront complètement renversées que par la fin de la division de la société en classes et le développement du socialisme, lequel rendra possible une profonde avancée des forces productives et de la culture de l'humanité. Cela présuppose une transformation révolutionnaire dans laquelle le système d'exploitation du capitalisme est aboli et les masses elles-mêmes dirigent consciemment et rationnellement la vie sociale suivant leurs besoins.

Les racines matérielles et psychologiques de la religion seront balayées au cours d'un bond en avant de la culture matérielle et spirituelle humaine. Les premières phases de ce processus impliquent l'éducation politique et l'élévation morale des masses ouvrières au cours de leur lutte consciente pour mettre fin au capitalisme et établir les fondations politiques et économiques du socialisme.

L'application du principe de laïcité et de son corollaire, la liberté de religion, reste partout et en toutes circonstances incomplète, affaiblie et hypocrite sous le capitalisme. La religion n'est qu'une des formes de la mystification des relations sociales créées par l'évolution historique à l'intérieur de laquelle, et à travers laquelle, les gens mènent leur lutte, ancrée dans le processus de production, pour changer, transformer la nature qui les entoure. Les formes mêmes de la production sociale sous le capitalisme obscurcissent la véritable relation entre le capital et le travail, et génèrent l'illusion d'un échange équitable entre les propriétaires des moyens de production et ceux qui sont contraints de vendre leur force de travail au propriétaire capitaliste. Lorsque le travail humain lui-même, sous la forme de la « force de travail » devient une marchandise, le caractère fondamentalement exploiteur de la relation entre le propriétaire et le producteur est obscurci.

Cette mystification nourrit toutes sortes de fausses conceptions sur le monde, y compris des conceptions religieuses. La classe dirigeante a de plus un intérêt particulier à maintenir la masse des travailleurs dans l'ignorance, et la religion est un instrument qui a fait ses preuves pour laisser la population laborieuse désorientée et apathique.

Cependant, en appeler à l'État bourgeois pour qu'il prescrive ce que les masses doivent ou ne doivent pas croire ne nous rapproche pas du jour où elles seront libérées de l'ignorance et de la superstition. C'est plutôt le contraire : ce genre de politiques augmente les illusions placées dans l'État et renforce les obstacles auxquels les travailleurs sont confrontés lorsqu'ils cherchent à comprendre le monde dans lequel ils vivent, pour le changer.

La véritable histoire de la lutte démocratique pour la laïcité et contre le financement des religions par l'État comme elle s'est déroulée dans les colonies américaines, culminant dans la guerre révolutionnaire pour obtenir l'indépendance de l'Angleterre et l'établissement des États-Unis comme république, montre les liens entre le principe de séparation de l'Église et de l'État, d'une part, et la liberté de conscience, d'autre part.

Même si les colonies d'origine ont été fondées en grande partie par des réfugiés fuyant la persécution religieuse en Europe, beaucoup d'entre-elles – en particulier la colonie de la baie du Massachusetts – ont établi des gouvernements théocratiques dans le Nouveau Monde. L'atmosphère religieuse de l'époque trouva son expression la plus tragique dans les procès des sorcières de Salem en 1692.

Au cours du XVIIIe siècle pourtant, les principes théocratiques ont dans l'ensemble perdu du terrain devant l'influence grandissante de la pensée démocratique et anti-cléricale des Lumières européennes. William Nelson écrit dans The Americanisation of the Common Law (L'américanisation du droit commun), « Pris ensembles, les divers changements libertaires du droit [de la fin du dix-huitième et du début du dix-neuvième siècle] ont fait bien plus que simplement restructurer les institutions, protéger les droits des accusés devant les tribunaux, et accorder l'égalité des droits à certaines classes qui en étaient auparavant privées. Ces changements ont contribué d'une manière importante à mettre fin à l'idéal hérité de la période prérévolutionnaire selon lequel les communautés devraient être unies par la poursuite d'un but éthique commun. »

Ainsi, le sentiment de plus en plus favorable à une séparation de l'Église et de l'État était intimement lié à la montée d'un mouvement favorable aux libertés individuelles et religieuses dans les Etats-Unis du début.

Le Memorial and Remonstrances Against Religious Assessements (Mémoire et remontrances contre les jugements religieux) de James Madison dans lequel il s'opposait aux propositions qui auraient permis aux citoyens de donner l'argent de leurs impôts à des institutions religieuses en Virginie, a puissamment exprimé ces idéaux. Il y a écrit : « La religion […] de chaque homme doit être laissée aux convictions et à la conscience de chaque homme ; et c'est le droit de chaque homme de les exercer comme ils s'imposent à lui. Ce droit est par nature un droit inaliénable ; parce que l'opinion des hommes, ne dépendant que des preuves examinées par leur propre esprit, ne peut se conformer aux injonctions d'autres hommes. »

Comparées à cette conception originaire de la laïcité, les prétentions du gouvernement Raffarin à défendre la laïcité en prenant pour cible une minorité relieuse spécifique sont absurdes. L'engagement supposé du gouvernement Raffarin en France en faveur de la laïcité fournit un exemple concret de la position hypocrite et inconsistante de l'élite capitaliste dirigeante sur cette question, comme sur toutes les autres, impliquant les droits démocratiques.

Le gouvernement français est loin de considérer sa campagne « pour la laïcité » comme une réaffirmation de sa « position neutre » envers les religions, comme vous le dites. En fait, un thème récurrent des déclarations du gouvernement sur le débat au sujet du foulard a été la nécessité d'encourager et de promouvoir la religion. Pour ne citer qu'un exemple parlant, le premier ministre Raffarin a déclaré au Journal du Dimanche, le 25 janvier, que « Notre société a besoin d'espoir, c'est pourquoi je ne veux pas d'une laïcité agressive. » Raffarin, catholique pratiquant, a ensuite déclaré au journaliste qu'il avait rencontré l'archevêque de Paris, le Cardinal Lustiger, à plusieurs reprises pour discuter de ses intentions et de ses plans pour la rédaction de la nouvelle loi.

Comme tout le monde le sait, l'interdiction du port du foulard ne vise pas toutes les manifestations de la foi dans toutes les écoles publiques, mais uniquement expression des croyances religieuses par des membres de la minorité musulmane. L'État français, et le gouvernement Raffarin, font toutes sortes de concessions aux autorités religieuses mieux établies et plus puissantes.

L'hypocrisie totale de la croisade anti-foulard du gouvernement Raffarin apparaît clairement lorsque l'on se penche sur ses liens à peine voilés avec l'Église catholique. L'exemple peut-être le plus parlant de l'interférence de l'État sur les questions religieuses est le statut religieux spécial de trois départements du Nord-Est de la France — la Moselle, le Haut-Rhin et le Bas-Rhin. Ces zones ayant été sous contrôle allemand entre la guerre franco-prussienne de 1870-1871 et la Première Guerre mondiale, la loi française de 1905 sur la séparation de l'Église et de l'État ne s'y applique pas. À la place, c'est une combinaison étrange de lois napoléoniennes et de loi du deuxième Reich allemand qui s'applique, trois religions officielles sont reconnues – catholique, protestante et juive. Les représentants de ces religions (mais pas de l'Islam) sont considérés et payés comme des fonctionnaires. Les élèves des écoles publiques doivent choisir des cours dans une de ces trois religions, ou passer par une procédure assez contraignante pour demander une exemption.

On pourrait également mentionner le financement généreux par l'Etat français des écoles privées sous contrat, dont la très grande majorité sont catholiques. Le budget de 2004 du ministère de l'éducation français indique pour une dépense totale de 55,5 milliards d'euros, que 10 pour cent — 6,8 milliards — vont au financement des écoles privées. En plus du salaire des enseignants, l'Etat paye pour les livres de cours, les fournitures scolaires et les frais de scolarité.

L'image d’un gouvernement Raffarin partant en guerre contre la démagogie religieuse ne peut être conciliée avec la réalité d'un gouvernement qui, accordant des subsides massifs à l'Église catholique et cachant à peine ses sympathies pro chrétiennes, alimente le sentiment anti-immigré en excluant les jeunes filles musulmanes de l'école publique.

Sincèrement,

Alex Lefebvre

(Article original anglais paru le 8 avril 2004)


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