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WSWS : Nouvelles et analyses : Canada

Québec solidaire et le piège de l’indépendance du Québec

Par Louis Girard
9 février 2010

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Québec solidaire (QS), un parti qui se présente comme étant de gauche, a tenu en novembre dernier son premier congrès d’orientation. Celui-ci avait pour but de commencer l’élaboration du programme du parti qui, selon QS, sera complété d’ici quatre ans.

Devant la pire crise économique du système capitaliste depuis la crise des années trente, devant la montée du militarisme et l’augmentation des tensions entre les grandes puissances et devant la montée des inégalités sociales accompagnée d’attaques sur les droits démocratiques, Québec solidaire a décidé, lors des premières discussions officielles sur l’élaboration de son programme, de mettre l’accent sur la question de l’indépendance du Québec et sur les questions dites identitaires.

Lors de ce congrès, QS a décidé de se décrire comme un parti souverainiste et indépendantiste. À travers le Conseil de la souveraineté, dont QS fait partie, les membres ont décidé de lancer une campagne pour bâtir une coalition de tendances politiques en faveur de la souveraineté. Le Conseil de la souveraineté est un organisme dominé par le Parti québécois (PQ), un parti de la grande entreprise qui a fortement évolué vers la droite au cours des trente dernières années.

QS cherche à faire revivre le programme de l’indépendance du Québec en lui donnant une couverture de gauche, c’est-à-dire en proposant un vague projet de société plus « égalitaire, écologiste, féministe et solidaire » et en se présentant comme une supposée alternative « sociale-démocrate » au Parti québécois.

Lors du congrès de QS, Françoise David, la co-porte-parole de QS, a déclaré son accord avec Jacques Parizeau, un membre important de la bourgeoisie québécoise, sur « l’absolue nécessité de renouveler le discours sur la souveraineté ». Parizeau avait notamment imposé des coupures massives en 1982-1983 en tant que ministre des Finances sous le gouvernement péquiste de René Lévesque et ensuite, en tant que premier ministre du même parti, avait lancé un programme de fermetures d’hôpitaux en 1994 lorsque le PQ a repris le pouvoir. Dans le cadre du référendum de 1995, Parizeau avait aussi mis sur pied la coalition arc-en-ciel en faveur de la souveraineté. Cette coalition regroupait des gens du Parti québécois, dont des membres actuels de Québec solidaire, et aussi l’Action démocratique du Québec (ADQ), un parti populiste de droite qui a été rejeté en masse par la population québécoise lors des élections de décembre 2008. C’est ce genre de coalition que QS cherche à faire revivre dans le cadre du Conseil de la souveraineté.

Après s’être rapproché de Parizeau, David a ensuite affirmé : « Au fil des ans, le discours sur l'indépendance a été vidé de son sens par certains souverainistes qui ont voulu faire du Québec un pays sans projet. Qu'on se le dise : l'indépendance sans sens n'a aucun bon sens ! »

Voilà une des principales critiques de Québec solidaire à l’endroit du Parti québécois : selon QS, le PQ n’a pas de projet de société, mais Québec solidaire en a un, prétendument plus de gauche. Mais, contrairement à ce que Françoise David et Amir Khadir, l’autre co-porte-parole et unique député du parti, peuvent prétendre, le PQ a bel et bien un projet de société : défendre les intérêts de la bourgeoisie québécoise. Le projet de souveraineté mis de l’avant par le PQ vise essentiellement à permettre à la bourgeoisie québécoise de se doter de son propre Etat qui serait dédié exclusivement à la défense de ses intérêts propres sans avoir à prendre en compte d’autres intérêts provinciaux et fédéraux. Le PQ estime notamment que la souveraineté permettrait une réorganisation majeure  de l’Etat qui faciliterait le démantèlement des services publics et sociaux.

Afin de comprendre ce que Québec solidaire met de l’avant aujourd’hui et en quoi leur programme représente un piège pour les travailleurs, il faut faire ce que QS refuse de faire : revenir sur l’expérience des travailleurs québécois avec le PQ et avec tout le projet de l’indépendance du Québec.

En effet, QS est silencieux sur le caractère bourgeois du PQ et sur sa longue histoire de collaboration avec la bureaucratie syndicale pour étouffer les luttes de la classe ouvrière et empêcher qu’elles prennent une orientation socialiste. C’est le mécanisme qui a été utilisé pour bloquer toute lutte commune des travailleurs du Québec et du reste du Canada contre le système de profit défendu dans le projet de souveraineté du Québec et par l’État fédéral canadien.

Lors des années 60 et 70, le Québec n’a pas fait exception à la radicalisation de la classe ouvrière mondiale qui a pris place lors de cette période. Par exemple, en 1972, après l’emprisonnement des chefs syndicaux, il y avait eu une grève générale spontanée rassemblant des centaines de milliers de travailleurs. Cependant, ce mouvement, malgré son ampleur, n’a jamais eu de direction politique socialiste et est toujours resté dans les cadres étroits de la politique bourgeoise. La bourgeoisie québécoise, représentée par le PQ et son chef René Lévesque, qui disait avoir un « préjugé favorable envers les travailleurs », a réussi, avec l’aide des bureaucraties syndicales qui bénéficiaient d’un appui parmi les travailleurs, à ramener ceux-ci derrière son programme d’indépendance nationale prétendument de gauche. C’était une façon de les diviser des travailleurs du reste du Canada en présentant les différences culturelles et linguistiques entre les travailleurs québécois et du reste du Canada comme étant plus importantes que les différences de classe entre l’ensemble des travailleurs et le grand patronat.

Après son élection en 1976, le PQ a fait quelques concessions aux travailleurs, notamment par une loi anti-scab et des annulations de 50 millions de dollars d’amendes aux syndicats. Au même moment, le gouvernement a institutionnalisé  la collaboration tripartite entre le gouvernement, le patronat et les syndicats, qui est devenue une partie importante du « modèle québécois » de développement capitaliste.

Lors de son deuxième mandat au début des années 1980, le PQ a opéré un brusque tournant vers la droite. Lors de la récession de 1982-83, Lévesque a imposé une série de concessions à tous les travailleurs du secteur public. Il a notamment rouvert la convention collective des professeurs et a baissé leur salaire de 20 pour cent. De 1994 à 2003, le PQ était de nouveau porté au pouvoir et il a poursuivi sur sa lancée de droite. Après le référendum de 1995, le premier ministre péquiste, avec l’appui des bureaucraties syndicales, a mis de l’avant la campagne du déficit zéro, sabrant dans l’éducation et dans la santé en coupant 40.000 postes permanents. Après toutes ces années passées au pouvoir à implanter des mesures de droite, le PQ, à l’image de nombreux partis d’orientation sociale-démocrate de part le monde, est aujourd’hui discrédité.

C’est dans ce contexte de poussée constante vers la droite du PQ que divers groupes de nationalistes québécois ont décidé de se séparer de lui et de se placer à sa gauche, afin de mieux influencer le PQ « de l’extérieur », comme avait dit Françoise David lors de la campagne électorale de décembre 2008. Québec Solidaire avait été formée en 2006 suite à une fusion de l’Union des forces progressistes menée par Amir Khadir et d’Option citoyenne, dirigée par Françoise David.

Le fait que QS ait décidé de se définir comme un parti à la fois souverainiste et indépendantiste est une façon de tendre la main au PQ afin de collaborer avec lui. Une section de la bourgeoisie québécoise, représentée par le PQ, a développé l’idée de souveraineté du Québec au lieu de celle de l’indépendance afin de laisser une porte ouverte au maintien de certaines institutions économiques et politiques en commun avec le reste du Canada.

Toutes les tendances politiques qui sont présentes dans Québec solidaire, incluant les pablistes de Gauche socialiste, ainsi que toutes les autres forces qui préfèrent rester en dehors de QS, mais qui sont orientées vers celui-ci, cherchent à camoufler le virage à droite de toute la bourgeoisie, incluant le Parti québécois, et les causes objectives de ce virage. Ces causes avaient été expliquées dans un article du WSWS en réponse au manifeste de Québec solidaire intitulé « Pour sortir de la crise : dépasser le capitalisme ? »

Ce que propose QS est une version recyclée du programme du PQ dans les années 1970. L’indépendance du Québec, les mesures protectionnistes et l’accent sur les questions « identitaires » sont toujours présents. Cependant, les quelques timides mesures réformistes que le PQ pouvait présenter à l’époque ne sont plus que vagues références dans le programme de Québec solidaire.

QS présente l’indépendance du Québec comme une façon de répondre à la crise économique. Dans une vidéo diffusée sur le site de Québec solidaire, précisément sur la page de présentation du programme, Françoise David dit ceci : « C’est important de parler de souveraineté en ce moment. On le voit avec la crise… Les peuples veulent se donner des moyens, des outils pour combattre cette crise, pour élaborer une autre vision sociale, une autre vision économique, écologiste. Alors, la souveraineté c’est ça, en plus d’être évidemment la langue, la culture au Québec… »

Mais, de quels « moyens » parle donc Françoise David ? En quoi l’indépendance du Québec serait un « outil » pour le peuple québécois pour « combattre cette crise » ?

Dans l’ébauche de leur programme, Québec solidaire écrit ceci : « L’indépendance économique, c’est le pouvoir d’exercer notre souveraineté économique sur nos ressources naturelles et de contrôler nos leviers économiques. »

Cela fait écho au mot d’ordre de « Maître chez nous », mis de l’avant par René Lévesque et la bourgeoisie québécoise dans les années 1960 et 1970. Ce que QS omet volontairement de dire, c’est qui sera « maître » dans un Québec indépendant ? Qui possèdera les banques, les usines, les ressources naturelles ? Qui dirige dans le reste du Canada ? Les travailleurs anglophones ou la bourgeoisie canadienne ?

Ce programme réactionnaire de nationalisme économique fait suite au plan de sortie de crise de QS qu’Amir Khadir avait élaboré lors d’une tournée provinciale. Le WSWS avait fait une analyse de ce plan (Québec solidaire prône le nationalisme économique). Il avait montré que le nationalisme économique, loin de résoudre la contradiction entre une économie mondialisée et des États-nations rivaux, ne fait au contraire qu’accentuer les tensions entre les grandes puissances et diviser les travailleurs sur des bases nationales.

C’est la tradition péquiste de défense de la bourgeoisie francophone que Québec solidaire veut poursuivre, en lui redonnant un vernis de gauche. Outre leurs vagues références à des mesures de gauche, QS cherche aussi à « réaliser l’indépendance du Québec par la mobilisation sociale et la souveraineté populaire » en mettant sur pied une assemblée constituante.

Dans une entrevue révélatrice accordée à la radio au lendemain de leur congrès, Françoise David, après avoir accusé le PQ de ne pas avoir de « sens » à son projet de souveraineté, a affirmé qu’il y avait un « retour de l’anglais par la porte d’en arrière » dans les milieux de travail, particulièrement les postes de direction dans les entreprises « très québécoises qui ont été fondées par des Québécois francophones ». Elle s’est lamentée du fait que « dès qu’on monte au-dessus d’un certain nombre d’étages du siège social ou de l’entreprise, il faut parler anglais ».

Voilà un sujet qui préoccupe véritablement la petite bourgeoisie représentée par Québec solidaire. À un moment où des milliers de travailleurs, qu’ils soient francophones, anglophones, immigrants ou autochtones, perdent leurs emplois, où les gouvernements préparent de nouvelles coupes drastiques dans les finances publiques, où les tensions entre les grandes puissances s’accentuent et où les droits démocratiques sont attaqués, Québec solidaire, pour leur premier congrès d’orientation, préfère s’inquiéter de l’anglais parlé dans les hauts postes d’entreprises.

À ce programme réactionnaire, la classe ouvrière québécoise doit répondre par son propre programme qui défend ses propres intérêts. Dans sa lutte contre l’État capitaliste canadien, elle doit se séparer de toutes les factions de la classe dirigeante québécoise, tant les tenants du fédéralisme canadien que les promoteurs de la souveraineté du Québec. Elle doit répondre avec un programme socialiste, visant à réorganiser la production sur la base des besoins humains et non sur la base du profit privé, tout en faisant appel à la classe ouvrière du reste du Canada et du monde entier dans une lutte commune contre le capitalisme. Voilà le programme mis de l’avant par le Parti de l’égalité socialiste du Canada et ses partis frères à travers le monde.


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