Certaines
couches de l'élite dirigeante allemande se sont servies de
l'élection présidentielle de la semaine passée pour émettre un
avertissement au gouvernement Merkel : faites votre travail et
appliquez les mesures d'austérité tout en protégeant les
privilèges de l'élite du pays sinon on mettra fin à votre
mandat et à votre gouvernement.
Au cours de ces derniers
mois, le gouvernement, une coalition entre l'Union démocrate
chrétienne (CDU), l'Union chrétienne sociale (CSU) et le Parti
libéral démocrate (FDP), a subi toute une série de revers. Merkel
(CDU) a dû encaisser des critiques de la part des milieux
d'affaires et des milieux financiers ainsi que des médias pour sa
lenteur à réagir à la crise de la dette grecque qui a entraîné
une crise de l'euro et a considérablement augmenté la
contribution que l'Allemagne doit verser au plan de soutien du
système bancaire européen.
Dans le pays, Merkel a été
sous le feu des critiques émanant des cercles d'affaires et des
cercles politiques pour avoir proposé un plan d'austérité de 80
milliards d'euros, débordant de simulacres de calculs et qui ne
contribuera pas à faire vraiment des économies. La proposition
d'une série de mesures d'économie a été critiquée par le
CSU de Bavière qui est déterminé à apaiser sa propre clientèle
bavaroise. Le FDP a dû faire face à une vague de critiques pour sa
manière très ouverte et choquante avec laquelle il a décidé de
récompenser financièrement ses plus importants promoteurs.
Largement considéré par
l'élite patronale du pays comme une « coalition de rêve »
après les élections fédérales d'il y a neuf mois, la coalition
est profondément divisée en raison de sa manière de faire et de
sa perte de faveur à la fois auprès des électeurs et de sections
influentes de la classe politique. Les problèmes de Merkel ont été
aggravés par la perte de deux personnages influents du CDU, les
puissants chefs de gouvernements des Länder, Roland Koch et Jürgen
Rüttgers, qui ont tous deux quitté leur poste récemment. Les deux
hommes appartiennent à l'aile droite du CDU et étaient
considérés comme des adversaires potentiels de Merkel pour la
direction du parti. Tous deux bénéficiaient du soutien d'une
vaste section du parti et qui n'éprouve aucune affiliation ou
attachement particulier à Merkel.
Il y a un mois, Merkel a
été confrontée à la démission controversée du président
allemand, Horst Köhler, candidat ayant été choisi par elle-même
et le CDU. En dépit du fait que Köhler s'était montré réticent
quant aux véritables raisons de sa démission, son départ était
vu par les commentateurs politiques comme une nouvelle expression de
désunion au sein du gouvernement.
La rapide nomination du
ministre-président du Land de Basse-Saxe, Christian Wulff, comme
candidat proposé par la coalition pour le poste de président a été
une tentative du gouvernement de retourner la situation. Finalement,
l'élection présidentielle de mercredi dernier n'a fait que
souligner la crise existant au sein de la coalition.
En dépit du fait que les
partis de la coalition disposaient d'une importante majorité à
l'Assemblée fédérale qui choisit le président allemand, et en
dépit des meilleurs efforts entrepris par les directions des partis
de coalition pour assurer la discipline, 44 délégués du camp
gouvernemental ont refusé de voter pour Wulff lors du premier tour
de scrutin. A la fin, Wulff a été élu à la présidence allemande
mais seulement au bout de neuf heures et trois tours de vote à
bulletins secrets.
Wulff fa finalement été
élu par une majorité absolue bien qu'une majorité simple eut
été suffisante. Le message envoyé par les 44 dissidents des rangs
du gouvernement était clair : « nous n'avons rien
contre la candidature de Wulff et nous aurions pu l'élire dès le
premier tour. Mais notre priorité était d'exprimer notre
hostilité à l'encontre de la direction de Merkel. » Selon
un député CDU de base cité par le Financial Times,
« C'était une journée tout à fait épouvantable. Le fait
que les rebelles aient continué à voter contre M. Wulff, ou se
soient abstenus, montre l'intensité de leur sentiment. Peut-être
que l'élection en soi sera oubliée dans quatre semaines. Mais le
misérable état de la coalition ne le sera pas. »
Le « nouveau
départ » du gouvernement s'est transformé en débâcle et
il est d'ores et déjà question dans la presse allemande de la
probabilité d'une fin anticipée de la coalition. Le journal
Süddeutsche Zeitung a écrit de façon cinglante, « Il
n'y a jamais eu de coalition qui se soit infligée autant de
souffrances en si peu de temps que celle-ci. Le fait que Christian
Wulff a été élu au dernier tour de scrutin est symptomatique de
la faiblesse de la coalition. Quasiment rien ne fonctionne d'emblée
pour cette désastreuse coalition. Ceux qui considèrent une telle
situation comme normale peuvent gentiment sourire après neuf heures
et demie passés à l'Assemblée fédérale, comme l'a fait la
chancelière, et trouver le résultat 'satisfaisant.' Dans de tels
moments, Angela Merkel paraît tenir fermement la poignée de porte
dans sa main au moment où les coulées de boue emportent le reste
de la maison. »
Le journal conservateur
Frankfurter Allgemeine Zeitung (FAZ) a décrit
l'élection présidentielle comme une « manifestation contre
Merkel » qui manque à présent d'un soutien politique
suffisant pour appliquer le programme gouvernemental. Selon le FAZ,
chaque « question politique est à présent une question de
pouvoir. »
La spéculation autour de
l'avenir du gouvernement Merkel a été renforcée par la
publication d'une étude commanditée par la chaîne de télévision
publique ARD qui a révélé que 68 pour cent des Allemands sondés
pensent que l'élection présidentielle a été une « honte »
pour Merkel avec 77 pour cent d'entre eux déclarant qu'elle ne
contrôle plus sa propre coalition gouvernementale. Soixante-deux
pour cent des sondés croient que le gouvernement Merkel ne survivra
plus très longtemps.
Durant le week-end, Merkel
a cherché à faire bonne figure en déclarant ne pas vouloir dévier
de son programme politique. Elle a dit qu'il n'y aurait pas de
changement aux mesures d'austérité proposées par le
gouvernement. Le budget devrait être voté la semaine prochaine,
mais son contenu est très controversé. Des personnalités
influentes du CSU ont réclamé des modifications pour éviter de
donner l'impression que les riches, les banques et les grosses
entreprises ne seront absolument pas affectées.
La liste des questions
devant être traitées immédiatement par le gouvernement s'allonge.
A commencer par la réforme du service de santé, après que les
caisses d'assurance ont annoncé la semaine passée des déficits
massifs pour l'année en cours et un risque de faillite pour
certaines entreprises défaillantes. Lors d'une réunion
ministérielle jeudi dernier, les experts de la santé des deux
partis de l'Union (CDU et CSU) et du FDP ont été incapables de
s'accorder sur une stratégie commune pour récupérer le déficit
de 11 milliards d'euros. Le ministre FDP de la Santé, Philipp
Rösler, veut introduire une cotisation forfaitaire par tête tandis
que le CSU y est strictement opposé.
D'autres questions sur
lesquelles il y a divergence entre les partenaires comprennent
l'allongement de la durée de vie des centrales nucléaires
au-delà de 2021, l'échéance actuelle de leur fermeture. Tous
deux, le CSU et le FDP sont opposés à la date limite préconisée
par le CDU. La suppression du service militaire obligatoire de la
Bundeswehr au profit d'une armée de métier proposée par le
ministre CSU de la Défense, Karl-Theodor zu Guttenberg, est
également contestée. Le FDP soutient la proposition mais nombreux
sont ceux au sein du CDU à être contre.
L'une des conséquences
de l'élection présidentielle a été de rappeler à l'ordre le
Parti La Gauche (Die Linke) dans le but de son éventuelle
intégration dans une future coalition gouvernementale. Suite à
l'échec de Wulff de remporter suffisamment de voix aux premier et
second tours de scrutin, les directions du Parti social-démocrate
(SPD) et des Verts ont invité des personnalités influentes de La
Gauche, y compris l'ancien dirigeant Oskar Lafontaine, à
participer à une réunion à huis clos dans le bureau du président
du groupe parlementaire du SPD au Bundestag (parlement),
Frank-Walter Steinmeier. Sous la pression exercée par les Verts et
le SPD pour soutenir leur candidat droitier anti-communiste commun,
les dirigeants du Parti La Gauche ont accepté un compromis en
consentant à laisser tomber leur candidate au troisième tour tout
en s'abstenant lors du vote.
Après le vote, La Gauche
a été dénigrée par les membres dirigeants du SPD et des Verts
pour n'avoir pas soutenu leur candidat. La réaction de La Gauche
a été de déclarer que pour commencer c'était un signe positif
que d'avoir été invité à des pourparlers avec le SPD et les
Verts. Dans la dernière édition du magazine Der Spiegel, le
président du SPD, Sigmar Gabriel, a appelé La Gauche, qui est
formée par une alliance entre une ancienne section du SPD et de
l'appareil syndical avec l'ancien parti stalinien du socialisme
démocratique (PDS) de l'ex Allemagne de l'Est, « à
affronter l'avenir et à cesser d'embellir le passé, »
après quoi le parti « aura suffisamment de choses en commun
avec le SPD pour pouvoir former des alliances au niveau des Länder
et au niveau fédéral. »
Une section de l'élite
dirigeante allemande veut impliquer au gouvernement le SPD, avec ses
liens étroits avec les syndicats, afin de mieux pousser de l'avant
la politique de rigueur. Et, quand bien même, en dépit de tous les
efforts entrepris par La Gauche pour générer des illusions dans le
SPD, un récent sondage réalisé par Infratest a révélé que
seuls 19 pour cent des personnes interrogées croient qu'une
coalition dirigée par les sociaux-démocrates serait meilleure que
la coalition actuelle. Soixante-treize pour cent croient que la
situation serait tout aussi désastreuse ou même pire si le SPD se
trouvait à la tête du gouvernement.