Nous reproduisons ici
pour nos lecteurs un article de James P. Cannon, publié dans The
Militant le 16 juillet 1951. Cannon (1890-1974) était un des
membres fondateurs du mouvement trotskyste aux États-Unis et
dirigea longtemps le trotskysme américain.
J'ai toujours été un fan
du Quatre Juillet, et grand amateur des pétards, des pique-niques
et des fanfares qui l'accompagnent. Vous pouvez m'interrompre à
n'importe quel moment pour me raconter la glorieuse histoire de la
grandeur de notre pays et la façon dont tout cela a commencé. Le
continent où nous habitons existe depuis des temps immémoriaux -
mais en tant que nation, que peuple indépendant, que choyés de la
destinée, favorisés plus que tous les autres, nous remontons à la
déclaration d'indépendance et au Quatre Juillet.
Les représentants au
Congrès réunis il y a 175 ans en ont été les grands initiateurs.
Quand ils ont dit : « Nous tenons pour évidentes pour elles-mêmes
les vérités suivantes », ils ont commencé quelque chose qui
a ouvert une nouvelle ère de promesses pour toute l"humanité.
C'est ce que je suis prêt à fêter dès que les fanfares entament
un morceau - le début et les promesses. Mais personne ne me fera
avaler les discours du Quatre Juillet qui dépeignent le début
comme une fin en soi et les promesses comme des réalisations. J'ai
cessé d'y croire il y a bien longtemps. Dès que j'ai été en âge
de regarder autour de moi et de voir ce qui se passait dans ce pays
- toutes les inégalités et les injustices qui persistent -
ceux qui bénéficiaient de privilèges, prétendant à l'héritage
de notre première révolution, m'apparaissaient comme des
imposteurs. Je considérais les orateurs habituels du Quatre
juillet comme des hypocrites, les profanateurs d'une noble
aspiration. Ils ne ressemblaient pas aux Liberty Boys de
1776.
Mais cela ne m'a jamais
fait fuir le Quatre Juillet, contrairement à de nombreux radicaux
et révolutionnaires américains par le passé. Je pensais que le
Quatre Juillet appartenait au peuple. J'ai toujours considéré la
renonciation au Quatre Juillet comme une erreur du radicalisme
américain. Il ne faut pas confondre l'internationalisme avec
l'anti-américanisme ; il ne faut pas abandonner les traditions
révolutionnaires de notre pays aux réactionnaires ; il ne faut pas
laisser le mouvement révolutionnaire ouvrier moderne, héritier
légitime des hommes de 1776, apparaître comme quelque chose
d'étranger à notre pays.
C'est pourquoi cela m'a
fait chaud au cour de voir le Militant paraître cette année
dans une édition spéciale pour le Quatre Juillet, avec son
manifeste en première page saluant les peuples d'Asie qui luttent
pour leur indépendance, au nom de notre propre révolution de 1776
- ainsi que toute une page d'articles spécifiques consacrés à
cette révolution et ses dirigeants authentiques. Les articles de
cette édition spéciale sont de toute évidence de résultat
d'études sérieuses et de recherches historiques. Ils apportent un
éclairage nouveau sur les caractéristiques principales de la
révolution qui ont été longtemps obscurcies, et même
délibérément cachées, pour servir les intérêts spéciaux des
Tories [conservateurs] d'aujourd'hui. Ces révélations
mettent une puissante arme de propagande entre les mains de ceux qui
voient dans la révolution prochaine des travailleurs américains
non une négation, mais une continuation et un aboutissement de la
révolution pour l'indépendance nationale il y a 175 ans.
Les auteurs de ces
articles remarquables étaient guidés dans leurs recherches par une
théorie qui exigeait d'eux qu'ils se penchent sur les faits
essentiels et les étudient dans leurs relations mutuelles. Ils ont
cherché à révéler les forces motrices de la lutte des classes -
la clef de la véritable compréhension de toute l'histoire. La
théorie qui a inspiré les auteurs de ces articles pour qu'ils
étudient la première révolution américaine, et les guident vers
leur travail, est le marxisme - que le Congrès et les cours de
justice voudraient mettre hors-la-loicomme doctrine «
étrangère », et dont l'enseignement à l'école est maintenant
interdit.
La manière dont ces
articles de l'édition du Quatre Juillet du Militant ont été
rédigés est une histoire intéressante elle aussi. C'est le
travail d'étudiants de l'école marxiste de notre parti. Nous
adhérons à l'idée que les cadres de notre parti ont une tâche
historique à accomplir. Cette tâche est d'organiser et diriger la
révolution de la classe ouvrière américaine à venir. Comment
mieux se préparer à prendre un rôle actif dans une entreprise
aussi colossale sinon en étudiant la révolution d'où est née
cette nation ? Et comme peut-on étudier l'histoire révolutionnaire
sérieusement et avec profit sans l'aide de la seule théorie
révolutionnaire de l'histoire existante ? En tout cas, c''est ainsi
que nous voyons les choses. Et nous sommes suffisamment sérieux à
ce propos pour retirer de l'activité politique quotidienne durant
six mois chaque année un groupe des dirigeants de notre jeune
génération pour qu'ils étudient l'histoire de leur pays et cette
doctrine « étrangère » qui peut seule l'expliquer.
Vous ne trouverez jamais
deux sujets qui s'accordent mieux que ceux-là. Marx a décrit les
grandes lignes du capitalisme américain tel qu'il est aujourd'hui
en anticipant son développement. En retour, le capitalisme
américain dans tous ses traits principaux est la preuve par
excellence de la justesse du marxisme. Nos étudiants vont vers Marx
pour étudier l'Amérique, et étudient l'Amérique pour vérifier
Marx.
Le Marxisme a cent ans, et
a été réfuté un millier de fois par des commentateurs
professionnels. Ne se contentant pas de cela, ses opposants - qui
ont bien plus qu'un intérêt scientifique en la matière -
continuent à réfuter le marxisme quotidiennement, semaine après
semaine, mois après mois, dans toutes leurs publications et autres
moyens de désinformation et de contre-éducation. Nos étudiants
savent tout cela, et examinent toutes les réfutations
consciencieusement comme une partie de leur étude de la doctrine
elle-même. Au cours de cet examen et contre-examen, ils deviennent
de vrais marxistes. Ils apprennent leur doctrine à fond, et en
l'apprenant, ils se mettent à l'appliquer. Le marxisme n'est pas un
dogme qui doit être étudié pour lui-même, mais une théorie de
l'évolution sociale et un guide pour l'action dans la lutte des
classes. Ce n'est pas un substitut à la connaissance de la réalité
concrète, passée et présente, mais un outil théorique pour son
étude et son interprétation. Nos étudiants le comprennent de
cette manière. Ils sont allés vers Marx - et ont découvert
l'Amérique.
Et à mon avis c'est une
découverte très importante. Nous n'avons rien à voir avec le
chauvinisme, ou aucune autre sorte de basse vanité ou arrogance
nationale. Nous sommes des internationalistes, et nous savons très
bien que notre sort est lié à celui du reste du monde. La
révolution qui va transformer la société et apporter l'ordre
socialiste est une affaire mondiale, une tâche qui requiert la
coopération internationale à laquelle nous ne faisons qu'apporter
notre part. Mais notre part dans cette coopération internationale
est la révolution ici chez nous. Nous devons nous y mettre,
l'étudier et la connaître. Et nous ne pouvons faire cela
correctement sans connaître notre pays, son histoire et ses
traditions. Elles sont, pour l'essentiel, bonnes. Le pays lui-même
est bon, tout comme la grande majorité des gens qui le peuplent.
Leurs réalisations sont nombreuses et grandioses. Il n'y a rien de
vraiment mauvais en ce qui concerne les États-Unis, à part le fait
que les mauvaises personnesont usurpé le pouvoir et mènent
le pays dans le mur.
Le remède à cette
situation ne consiste pas à rejeter le pays et ses traditions, mais
à se débarrasser de ces usurpateurs par un procédé popularisé
par nos ancêtres sous le nom de révolution. Cette nouvelle
révolution aura pour tâche de compléter le travail commencé par
les hommes de 1776. Ils ont garanti l'indépendance de la nation. La
seconde révolution américaine des années 1860, connue sous le nom
de guerre civile, a mis fin au système de l'esclavage, unifié le
pays et ouvert la voie à un développement industriel sans
entraves. La tâche de la troisième révolution américaine sera de
retirer cette grande machine industrielle des mains d'une clique
parasitaire qui la dirige pour son propre profit, et de la diriger
pour le bénéfice de tous.
C'est l'idée générale.
Mais ce n'est pas aussi simple que ça en a l'air. Il y a des
complications et des complexités. Les travailleurs doivent trouver
leur chemin à travers toute une jungle de pièges et d'illusions.
Ils ont besoin d'une carte et d'une boussole. Ils ont besoin d'une
généralisation des expériences du passé et d'une ligne
directrice théorique pour l'avenir. C'est le marxisme. Les
travailleurs américains viendront à Marx, et avec lui ils seront
invincibles. « Marx deviendra le mentor des travailleurs américains
avancés, » a dit Trotsky. Nous avons la même opinion, et nous
travaillons pour la réaliser.
Karl Marx, ce juif
allemand, qui a vécu et travaillé sa grande théorie en
Angleterre, est natif de tous les pays. Cet analyste suprême du
capitalisme est chez lui en premier lieu aux États-Unis, là où le
développement du capitalisme a atteint son apogée. Marx aidera les
travailleurs américains à connaître leur pays, et à le changer
et en faire réellement le leur.