Alors que les dirigeants
internationaux cherchaient à présenter sous son meilleur jour le
sommet du G20 qui s'est tenu la semaine passée à Toronto, il n'a
pas été possible de dissimuler l'ampleur des divisions existant
entre les principaux acteurs mondiaux, notamment les Etats-Unis et
l'Allemagne.
La presse européenne a en
général jugé négativement le sommet qui n'a pas réussi à
s'accorder sur une quelconque décision concrète. Le quotidien
français Le Figaro, titrait « G20 : le retour du
chacun-pour soi » en écrivant que la tentative d'aboutir à
un consensus fondé sur une politique économique pour sortir de la
crise s'était révélée être un échec. Le journal a poursuivi
en disant qu'« entre une Allemagne obsédée par la
réduction des déficits [...], des Etats-Unis soucieux de ne pas
brider la croissance par une austérité trop rude et une France à
mi-chemin entre les deux, on cherche en vain une ligne directrice
commune. »
Le sommet avait été
précédé d'une guerre des mots et d'une pression très grande
exercée des deux côtés de l'Atlantique par des politiciens et
des économistes plaidant en faveur de stratégies économiques
compétitives.
Dans
une démarche inhabituelle, le président américain Barack Obama
avait envoyé une lettre à tous les chefs d'Etat du G20 les
avertissant que des mesures d'austérité trop rapides pour
combattre l'endettement des Etats pourraient entraver la reprise
mondiale. Obama visait clairement l'Allemagne et la Chine en
appelant les pays disposant de vastes surplus d'exportation à
stimuler leur demande intérieure.
La réaction allemande ne
s'était pas fait attendre. Le 23 juin, le ministre allemand des
Finances, Wolfgang Schäuble, publiait un article dans le Financial
Times pour défendre le plan d'austérité du gouvernement
allemand - une réduction des dépenses publiques de 80 milliards
d'euros sur quatre ans.
L'échange entre les
dirigeants politiques avait été repris dans une guerre des mots
entre les principaux experts économistes des deux côtés de
l'Atlantique. Dans un article rédigé pour le New York Times
et intitulé « Ce sentiment des années 1930 », le
commentateur Paul Krugman avertissait que l'actuelle politique
d'austérité de l'Allemagne rappelait « la politique de
Heinrich Brüning » qui avait scellé « le sort de la
République de Weimar » et qui à son tour avait joué un rôle
en ouvrant la voie aux nazis. Lors d'une visite à Berlin, Krugman
avait jeté tout son venin sur le président de la Bundesbank, Axel
Weber - un fervent défenseur du plan d'austérité du
gouvernement allemand - Weber serait un « risque pour
l'euro, » avait affirmé Krugman.
Les avertissements de
Krugman ont alors été soutenus par l'investisseur américain
George Soros dans un article paru dans le Financial Times
mettant également en garde contre un retour aux années 1930 si la
politique allemande était reproduite de par l'Europe.
Ripostant dans le
quotidien économique influent Handelsblatt, l'économiste
allemand réputé Wolfgang Franz avait sèchement réfuté les
arguments de Krugman en déclarant que c'était avant tout les
Etats-Unis et la Réserve fédérale qui étaient responsables de la
crise financière catastrophique.
L'article de Franz avait
été suivi d'un autre commentaire intitulé « 10 vérités
désagréables pour Obama, » signalant que les Etats-Unis
avaient augmenté de 45 pour cent leur endettement en 2010 (contre 5
pour cent pour l'Allemagne), que 40 millions d'Américains
étaient tributaires de bons alimentaires et que les Etats-Unis
avaient l'économie la plus inégale du monde industrialisé.
L'article poursuit ensuite en énumérant sept autres mises en
accusation du capitalisme américain.
Alors que le Handelsblatt
est tout à fait disposé à fustiger le « capitalisme
anglo-américain » et à critiquer la pauvreté aux
Etats-Unis, le journal est un fervent défenseur de la politique
d'austérité du gouvernement allemand qui augmentera
considérablement le niveau de pauvreté dans le pays.
Les intérêts bancaires
et économiques rapidement divergents entre les Etats-Unis et
l'Allemagne soulignent ces divergences.
Au même moment où le
capitalisme américain subit un déclin prononcé, l'Allemagne
augmente de façon significative sa part du commerce mondial. Au
cours de ces vingt dernières années, le capitalisme allemand a été
en mesure d'accroître énormément le niveau de ses exportations
et qui se situe actuellement à un niveau historique inégalé de 47
pour cent du PIB. En comparaison, l'autre première puissance
exportatrice mondiale, la Chine, exporte à peine 30 pour cent de
son PIB.
Cette croissance des
exportations allemandes est due en grande partie à l'introduction
de l'euro partout en Europe de concert avec les attaques lancées
par le gouvernement social-démocrate (SPD)/Verts (1998-2005) contre
les acquis sociaux allemands et qui ont créé un énorme réservoir
de main-d'ouvre bon marché. L'Allemagne a également été en
mesure de tirer profit de l'ouverture des nouveaux marchés en
Europe de l'Est et en Russie suite à l'effondrement des pays du
bloc stalinien il y a deux décennies. Près des deux tiers des
exportations allemandes (64 pour cent) vont à présent vers les
pays de l'UE. Les Etats-Unis comptent actuellement pour à peine 7
pour cent des exportations allemandes.
Le gouvernement SPD/Verts
a aussi levé un certain nombre de régulations financières clés
dans le pays permettant ainsi aux banques allemandes d'investir
dans le monde entier les bénéfices énormes réalisés par
l'industrie allemande dans des portefeuilles d'actifs de plus en
plus enclins à la spéculation. Reflétant l'accroissement
spectaculaire des exportations allemandes, il y a eu un
accroissement tout aussi remarquable du rôle joué par l'Allemagne
sur les marchés financiers internationaux.
Selon une étude récente,
les banques allemandes détenaient en juin 2008 (c'est-à-dire
immédiatement avant la crise financière internationale) le plus
important portefeuille de crédit international du monde - une
somme de 4,6 mille milliards de dollars, suivies par les banques
françaises (4,2 mille milliards de dollars) et les banques
britanniques (4,1 mille milliards de dollars).
Cet énorme réservoir de
capital financier a été investi sous forme de prêts à des pays
européens, leur permettant à leur tour d'acheter des
exportations allemandes. Des pays tels la Grèce, l'Espagne et le
Portugal, et qui sont à présent confrontés à la faillite
souveraine, se trouvaient en première ligne pour l'obtention
d'emprunts auprès des banques allemandes durant cette même
période. Un montant significatif a également été investi par des
banques allemandes et d'autres banques européennes sur le marché
financier américain, pour le financement d'un bon nombre
d'obligations américaines pourries (« junk » bonds).
Après s'être brûlé
les doigts sur le marché financier américain, les banques
allemandes et européennes réduisent à présent leurs
portefeuilles aux Etats-Unis en cherchant à accroître leurs
investissements qui sont déjà substantiels en Europe. Au cours de
ces quatre dernières années, l'investissement allemand dans les
pays de l'UE (principalement en Europe de l'Est) a augmenté de
100 pour cent.
En dépit des intentions
de la chancelière allemande, Angela Merkel, qui il y a moins d'un
an ne tarissait pas d'éloges envers le modèle social américain
dans son discours devant le congrès américain, le fait est que les
intérêts économiques divergents sont en train de diviser ces
alliés d'après-guerre.
Dans le même temps, la
tentative de l'Allemagne de traduire sa puissance économique et
financière en influence politique en Europe crée de nouveaux
déséquilibres et des frictions avec ses principaux partenaires
européens, notamment la France. Ceci a conduit un expert français
des relations franco-allemandes à prévenir que la vieille question
allemande était de retour, et qu'il était impossible de s'en
défaire.
Les divisions les plus
sérieuses se font jour entre les Etats-Unis et l'Allemagne et au
sein de l'Europe même, depuis la fin de la Seconde Guerre
mondiale. Ces tensions ne sont qu'un signe de la fracturedes
relations de longue date qui une fois de plus constitue la menace
d'une guerre mondiale. Ce danger ne peut être contrecarré que
par l'unification de la classe ouvrière européenne et américaine
sur la base d'un programme socialiste pour le remplacement du
système capitaliste.